Tribunal judiciaire de Annecy, le 11 septembre 2025, n°23/00528

Rendu par le tribunal judiciaire d’Annecy le 11 septembre 2025, ce jugement statue sur l’action en responsabilité civile d’un justiciable contre son ancien avocat, à la suite d’une condamnation pénale pour outrage et de ses effets professionnels. Les faits tiennent en quelques étapes majeures. Le demandeur a été condamné le 8 février 2018. Le 11 décembre 2018, l’autorité compétente l’a informé de l’impossibilité d’exercer son activité et du retrait de sa carte. Une requête d’exclusion de la mention au bulletin n° 2 a abouti par décision du 27 mai 2019, permettant la reprise de l’activité à la fin du mois de juin 2019. L’intéressé a assigné son ancien conseil pour faute, invoquant une perte de revenus, une inéligibilité aux aides liées à la pandémie et un préjudice moral. Le défendeur a conclu au rejet, soutenant l’absence de faute, le périmètre limité du mandat et l’absence de lien causal. La juridiction a rejeté l’intégralité des demandes indemnitaires et condamné le demandeur aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La question de droit portait sur l’étendue du devoir d’information et de conseil de l’avocat, notamment quant à la dispense d’inscription au bulletin n° 2 lors de l’audience pénale et à la temporalité de cette démarche.

I. Les fondements du rejet de la faute

A. Le périmètre du mandat et la stratégie adoptée

La juridiction fonde d’abord sa décision sur le contenu et les limites du mandat confié. Elle constate que la défense avait été construite sur une plaidoirie de relaxe, explicitement envisagée et portée à la connaissance du client. La pièce versée révèle en effet la proposition stratégique suivante: « je pense que nous aurons la possibilité tout de même de tenter de plaider une relaxe, à mon sens les éléments de l’outrage n’étant pas caractérisés Néanmoins, il y a de fortes probabilités que la juridiction suive le Parquet et retienne votre culpabilité ». En retenant cette ligne de défense, la juridiction affirme que « Dès lors, cette stratégie de défense ne peut être constitutive d’une faute ». Le point décisif réside dans l’absence de mandat spécifique visant la dispense d’inscription au bulletin n° 2 à l’audience, la juridiction retenant qu’une telle demande ne s’imposait pas à l’avocat en l’absence d’instruction du client.

Cette approche s’articule avec la possibilité de solliciter l’exclusion a posteriori, que la juridiction qualifie de simple faculté procédurale. Le fait que la demande puisse être présentée après la décision pénale a compté dans l’appréciation de l’obligation pesant sur le conseil, en particulier lorsque la stratégie pénale repose sur une contestation de la culpabilité. La mise en balance entre un objectif de relaxe et une requête subsidiaire, susceptible d’affaiblir la ligne principale, soutient l’idée que la décision d’opportunité relevait du choix de défense, convenu avec le client.

B. Le devoir d’information et l’obligation de moyens

Le jugement rappelle ensuite la norme gouvernant la responsabilité de l’avocat. Il cite que « De jurisprudence constante, l’avocat est tenu à une obligation de moyen s’agissant de son devoir de conseil ». Ce rappel situe le contrôle du juge sur le terrain de l’aptitude diligente et pertinente, sans garantie de résultat, ni obligation d’explorer de manière automatique toutes les options subsidiaires à l’audience. Dans cette continuité, la juridiction énonce que « il n’existe pas d’obligation à la charge du conseil du prévenu de l’informer sur les risques de l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire ». La formule est nette. Elle circonscrit l’obligation d’information aux éléments utiles et proportionnés à la stratégie retenue, d’autant que la dispense au bulletin n° 2 peut être recherchée par une requête ultérieure.

L’appréciation tient ici à la fois à la nature des informations attendues et à leur temporalité. La juridiction retient que l’avocat a privilégié la défense au fond et a ensuite agi avec célérité pour déposer la requête d’exclusion, sans retard fautif. L’obligation d’information ne se transforme pas en devoir de proposer, à titre préventif et systématique, une demande subsidiaire à l’audience qui entrerait en tension avec la ligne principale de relaxe convenue, dès lors qu’une voie de rattrapage procédural existe et a été effectivement activée.

II. Causalité et portée de la solution

A. L’absence de lien direct avec le dommage allégué

Le raisonnement se prolonge sur le lien de causalité, que la juridiction écarte en constatant la diligence postérieure de l’avocat. La genèse de la requête d’exclusion et les échanges produits établissent un dépôt rapide, assorti d’informations sur les délais prévisibles. Ainsi est-il écrit: « nous avons fait une démarche spéciale en ce sens pour obtenir une convocation rapide Malheureusement il nous a été répondu que la convocation n’interviendrait pas avant 6 mois ». La temporalité d’audiencement, proche de la durée annoncée, échappe dès lors au contrôle du conseil. Le dommage invoqué — perte de revenus pendant l’hiver et inéligibilité alléguée aux aides — ne se rattache pas à une carence fautive, mais aux conséquences propres de la condamnation initiale et aux délais juridictionnels.

Cette analyse neutralise la demande au fond en l’absence de faute et, subsidiairement, en l’absence de lien causal certain, direct et exclusif. L’évaluation que la juridiction opère se montre pragmatique. Elle refuse d’imputer à l’avocat la durée de traitement d’une requête dont la voie a été ouverte sans retard, alors que la solution favorable a été obtenue quelques mois plus tard, permettant la récupération de la carte professionnelle. Les prétentions chiffrées s’en trouvent privées de fondement, tant dans leur principe que dans leur quantum.

B. La portée pratique pour la défense pénale et le conseil

La solution s’inscrit dans une conception équilibrée de la mission de l’avocat, centrée sur l’option stratégique principale et sur l’usage ordonné des mécanismes accessoires. Elle assumera, en pratique, deux effets. D’une part, elle confirme que le devoir d’information ne commande pas de solliciter à l’audience toutes les mesures conservatoires possibles lorsque celles-ci sont de nature à brouiller la ligne défensive principale et qu’une voie ultérieure demeure ouverte. D’autre part, elle incite les praticiens à documenter, en amont, la discussion stratégique et les implications procédurales, afin de prévenir tout malentendu sur l’étendue du mandat et la chronologie des démarches.

La portée de la formule selon laquelle « il n’existe pas d’obligation à la charge du conseil du prévenu de l’informer sur les risques de l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire » doit cependant se lire à droit constant et au regard des circonstances. Elle n’autorise ni désintérêt ni silence sur des conséquences évidentes et immédiates, lorsque la stratégie l’exige ou lorsque l’information est déterminante pour le choix du client. Elle rappelle plutôt que l’obligation de moyens laisse une marge d’appréciation raisonnable à l’avocat, en fonction des intérêts en présence, des chances de relaxe et des voies de correction disponibles après jugement. Dans cette ligne, la solution validée par le tribunal judiciaire d’Annecy le 11 septembre 2025 paraît conforme au droit positif et à l’économie de la défense pénale, sans excéder ce qu’impose l’exigence de diligence et de loyauté dans l’exécution du mandat.

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