Tribunal judiciaire de Avignon, le 17 juin 2025, n°25/00068

L’ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Avignon le 17 juin 2025 porte sur un contentieux locatif classique : la résiliation d’un bail d’habitation pour impayés de loyers et l’expulsion subséquente du locataire défaillant.

Un bailleur social a consenti à une locataire, par acte sous seing privé du 23 janvier 2020, un bail portant sur un logement situé dans le Vaucluse, moyennant un loyer mensuel de 572,95 euros hors charges. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 24 septembre 2024 un commandement de payer visant la somme de 2 364,75 euros, resté infructueux. L’assignation en référé a été signifiée le 18 décembre 2024.

En première instance, le bailleur sollicitait la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion de la locataire, le paiement de la dette locative arrêtée à 3 107,66 euros et la fixation d’une indemnité d’occupation mensuelle de 731,36 euros. La locataire, régulièrement assignée, n’a pas comparu.

Le juge des référés a soulevé d’office les fins de non-recevoir tirées du respect des obligations de notification à la préfecture et de saisine préalable des organismes de prévention des expulsions.

La question posée au juge était double : les conditions de recevabilité de l’action en résiliation du bail pour impayés étaient-elles réunies et, dans l’affirmative, la clause résolutoire était-elle acquise de plein droit ?

Le juge a déclaré l’action recevable après avoir vérifié que l’assignation avait été notifiée au préfet au moins six semaines avant l’audience et que la caisse d’allocations familiales avait été avisée de la situation d’impayés dans le délai requis. Il a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 24 novembre 2024, ordonné l’expulsion et condamné la locataire au paiement des sommes dues.

Cette décision illustre le contrôle rigoureux des conditions de recevabilité opéré par le juge en matière d’expulsion locative (I) tout en confirmant le caractère quasi automatique de l’acquisition de la clause résolutoire lorsque le commandement de payer demeure infructueux (II).

I. Le contrôle juridictionnel renforcé des conditions de recevabilité de l’action en résiliation

Le juge des contentieux de la protection exerce un contrôle d’office sur le respect des formalités préalables à l’action (A), contrôle qui traduit la volonté du législateur de protéger le locataire vulnérable face au risque d’expulsion (B).

A. L’examen d’office des formalités préalables à l’assignation

L’ordonnance commentée est remarquable en ce que le juge a expressément relevé d’office « les causes d’irrecevabilité liées à la dénonciation de l’assignation auprès du représentant de l’Etat dans le département et à la dénonciation du commandement de payer auprès des services de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ».

Cette démarche procédurale s’inscrit dans le cadre de l’article 24 III et IV de la loi du 6 juillet 1989, qui impose au bailleur de notifier son assignation au préfet « au moins six semaines avant l’audience afin qu’il saisisse l’organisme compétent par le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées ». Le juge constate en l’espèce que cette formalité a été accomplie « suivant courrier électronique du 20 décembre 2024 », soit près de cinq mois avant l’audience du 20 mai 2025.

S’agissant de la saisine préalable de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, le juge relève que le bailleur, personne morale, devait y procéder deux mois avant de délivrer l’assignation. Il admet toutefois que « cette saisine est réputée constituée lorsque persiste une situation d’impayés, préalablement signalée aux organismes payeurs des aides au logement ». La notification à la caisse d’allocations familiales du 2 septembre 2024 satisfait donc à cette exigence.

B. La protection procédurale du locataire défaillant

Ce contrôle d’office des conditions de recevabilité traduit une conception protectrice du droit au logement. Le législateur a multiplié les formalités préalables à l’action en résiliation pour permettre aux dispositifs de prévention des expulsions d’intervenir avant que la procédure judiciaire ne soit engagée.

La décision mentionne d’ailleurs que « le diagnostic social et financier de la commission départementale de prévention des expulsions locatives » a été communiqué. Ce document révèle que la locataire « est sans activité et est indemnisée par France Travail » et qu’elle « souhaitait mettre en place un plan d’apurement ». Ces éléments, qui auraient pu justifier l’octroi de délais de paiement, n’ont toutefois pas été exploités faute de comparution de l’intéressée.

La portée de cette protection procédurale demeure néanmoins limitée lorsque le locataire ne se présente pas à l’audience. L’article 472 du code de procédure civile permet alors au juge de statuer au fond, à condition d’estimer la demande « régulière, recevable et bien fondée ». Le contrôle de recevabilité constitue ainsi l’ultime rempart contre une expulsion précipitée, mais il ne peut suppléer l’absence de défense de fond.

II. L’automaticité de l’acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences

Une fois les conditions de recevabilité vérifiées, le juge constate l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire (A), ce qui entraîne des conséquences patrimoniales et matérielles rigoureuses pour le locataire défaillant (B).

A. Le mécanisme de l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire

Le juge rappelle les fondements textuels de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation. L’article 4 g) de la loi du 6 juillet 1989 autorise l’insertion d’une telle clause « pour trois cas », dont « le défaut de paiement du loyer, des charges ou du dépôt de garantie ». L’article 24 de la même loi « impose, à peine de nullité de forme, la signification au locataire d’un commandement de payer les sommes dues dans un délai de deux mois ».

En l’espèce, le bail du 23 janvier 2020 contenait en son « article 4.5.1 une clause résolutoire pour défaut de paiement des charges et loyers ». Le commandement de payer du 24 septembre 2024 visait une somme de 2 250,50 euros. Le juge constate que la locataire « n’a pas satisfait aux termes du commandement de payer susvisé » et qu’« un délai de deux mois s’est écoulé entre la délivrance de ce commandement de payer resté infructueux et la signification de l’assignation ».

La clause résolutoire est donc « acquise depuis le 24 novembre 2024 au profit du bailleur ». Cette acquisition de plein droit ne laisse au juge aucune marge d’appréciation : il se borne à constater la réunion des conditions légales et contractuelles sans pouvoir moduler les effets de la résiliation. Le référé constitue ainsi le cadre procédural adapté à ce constat, le juge n’ayant pas à trancher une contestation sérieuse.

B. Les conséquences patrimoniales et matérielles de la résiliation

La résiliation du bail emporte des conséquences immédiates. La locataire devient « occupante sans droit ni titre des lieux depuis le 25 novembre 2024 ». Le juge ordonne son expulsion « avec, si besoin est, l’assistance de la force publique à la suite du délai légal de deux mois suivant la délivrance d’un commandement délivré par huissier de justice d’avoir à quitter les lieux ».

Sur le plan financier, la décision distingue deux périodes. Pour la période antérieure à la résiliation, la locataire est condamnée au paiement provisionnel de 2 970,97 euros au titre des loyers et charges impayés. Pour la période postérieure, une indemnité d’occupation mensuelle de 731,36 euros est fixée, somme qui inclut « le coût d’une assurance habitation – en l’absence de justificatif de souscription d’un tel contrat ».

Le fondement de cette indemnité d’occupation mérite attention. Le juge la rattache à l’article 1240 du code civil en considérant que « l’occupation du logement sans droit ni titre […] constitue une faute et cause un préjudice » au bailleur. Cette qualification en responsabilité délictuelle, plutôt que quasi contractuelle, souligne le caractère fautif du maintien dans les lieux après résiliation.

La portée de cette ordonnance de référé demeure néanmoins provisoire. La formule d’usage « au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront » rappelle que le juge des référés statue « par provision », sans trancher définitivement le fond du litige. La locataire conserve donc théoriquement la faculté de contester ces condamnations devant le juge du fond, bien que l’absence de toute contestation sérieuse rende cette perspective peu probable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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