Tribunal judiciaire de Avignon, le 17 juin 2025, n°25/00199

L’ordonnance rendue le 17 juin 2025 par le juge des référés du Tribunal judiciaire d’Avignon statue sur un litige locatif opposant un bailleur social à une locataire défaillante. Cette décision illustre le mécanisme d’acquisition de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation et ses conséquences sur l’expulsion du preneur.

Un bailleur social a consenti à une locataire, par actes sous seing privé des 23 juin 2020 et 29 avril 2024, un bail portant sur un logement et un emplacement de stationnement moyennant un loyer mensuel de 578,99 euros hors charges. Face à des impayés, le bailleur a fait délivrer le 29 octobre 2024 un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 3 477,81 euros. La locataire n’ayant pas régularisé sa situation dans le délai imparti, le bailleur l’a assignée devant le juge des référés le 4 mars 2025 aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion et obtenir condamnation au paiement des arriérés locatifs ainsi que d’une indemnité d’occupation.

En première instance devant le juge des référés, le bailleur sollicitait le constat de la résiliation du bail, l’expulsion de la locataire, sa condamnation provisionnelle au paiement de la dette locative actualisée à 5 990,32 euros et l’allocation d’une indemnité mensuelle d’occupation de 764,16 euros. La défenderesse, citée à étude, n’a pas comparu.

Le juge était confronté à la question de savoir si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies et, dans l’affirmative, quelles conséquences devaient en être tirées quant à l’expulsion et aux condamnations pécuniaires.

Le magistrat a déclaré la demande de résiliation recevable, constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 29 décembre 2024, ordonné l’expulsion et condamné la locataire au paiement d’une provision de 2 350,92 euros ainsi qu’à une indemnité d’occupation mensuelle de 764,16 euros. Le juge a toutefois limité la condamnation provisionnelle aux termes de l’assignation, refusant l’actualisation non notifiée à la défenderesse.

Cette ordonnance appelle une analyse tant des conditions strictes d’acquisition de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation (I) que des effets de cette acquisition sur la situation du locataire défaillant (II).

I. Les conditions rigoureuses d’acquisition de la clause résolutoire

L’ordonnance met en lumière le formalisme protecteur encadrant la mise en œuvre de la clause résolutoire (A) ainsi que l’articulation délicate entre les dispositions légales nouvelles et les stipulations contractuelles antérieures (B).

A. Le respect du formalisme protecteur du locataire

Le juge des référés vérifie minutieusement le respect des formalités préalables à l’acquisition de la clause résolutoire. L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne l’effet de toute clause résolutoire pour défaut de paiement à la délivrance d’un commandement de payer demeuré infructueux pendant un délai minimal. Le magistrat relève que « l’assignation a été régulièrement dénoncée à la préfecture » au moins six semaines avant l’audience et que « la CAF a été avisée le 23 juillet 2024, au moins deux mois avant l’assignation ». Ces vérifications traduisent la volonté du législateur de permettre l’intervention des services sociaux avant toute mesure d’expulsion.

La rigueur procédurale s’étend également au respect du contradictoire. Le juge constate que la défenderesse a été « citée à étude » et applique l’article 472 du code de procédure civile selon lequel « lorsque le défendeur ne comparaît pas, le tribunal fait droit à la demande s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». L’absence de comparution ne dispense donc pas le magistrat d’un contrôle approfondi de la régularité de la procédure et du bien-fondé des prétentions.

B. L’articulation entre la loi nouvelle et les clauses contractuelles antérieures

La décision aborde une question d’application de la loi dans le temps d’un intérêt certain. Le juge rappelle la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin 2024 selon laquelle les dispositions de la loi du 27 juillet 2023 « n’ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi ». Cette solution préserve la sécurité juridique des relations contractuelles en cours.

En l’espèce, le bail stipulait un délai de deux mois pour régulariser la dette après commandement. Le juge vérifie que « Madame [B] [S] n’a pas satisfait aux termes du commandement de payer dans le délai de deux mois imparti, soit avant le 29 décembre 2024 ». Les conditions d’acquisition de la clause sont donc réunies conformément aux stipulations contractuelles, indépendamment des modifications législatives postérieures à la conclusion du bail. Cette analyse illustre le principe de survie de la loi ancienne pour les effets des contrats en cours.

II. Les conséquences de l’acquisition de la clause résolutoire

L’acquisition de la clause résolutoire emporte des effets tant sur l’occupation des lieux par le preneur (A) que sur les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre (B).

A. L’expulsion du locataire devenu occupant sans droit ni titre

Le juge tire les conséquences de la résiliation en constatant que la locataire « est occupante sans droit ni titre des locaux précités depuis le 29 décembre 2024 ». Il fonde son raisonnement sur l’article 544 du code civil selon lequel « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». L’expulsion apparaît comme le moyen de rétablir le bailleur dans la plénitude de ses prérogatives.

Le magistrat encadre néanmoins les modalités de l’expulsion. Celle-ci ne pourra intervenir qu’« à la suite du délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement délivré par huissier de justice d’avoir à quitter les lieux ». Ce délai légal, prévu par l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, constitue une ultime protection accordée à l’occupant. Le juge précise également que le sort des meubles sera régi par les articles L. 433-1 et L. 433-2 du même code, garantissant ainsi le respect des biens du locataire lors de l’exécution de la mesure.

B. La détermination des condamnations pécuniaires

Le juge procède à une appréciation mesurée des condamnations provisionnelles. Il limite la provision au titre de l’arriéré locatif à 2 350,92 euros, correspondant aux termes de l’assignation, alors que le bailleur sollicitait une actualisation à 5 990,32 euros. Le magistrat justifie cette limitation par le fait que « l’actualisation à la hausse n’ayant pas été notifiée à Madame [B] [S], celle-ci ne peut se voir condamner au maximum qu’à hauteur des termes de l’assignation ». Cette solution garantit le respect du contradictoire et interdit au demandeur de bénéficier, en l’absence du défendeur, d’une condamnation excédant ses prétentions initiales.

S’agissant de l’indemnité d’occupation, le juge se fonde sur l’article 1240 du code civil pour retenir qu’« en occupant sans droit ni titre les lieux susvisés », la locataire « a causé un préjudice » au bailleur. Cette indemnité est fixée à 764,16 euros mensuels, somme correspondant au montant du loyer augmenté des charges. Le choix de fixer l’indemnité à un niveau équivalent au loyer contractuel, sans majoration, traduit une conception réparatrice plutôt que punitive de l’indemnité d’occupation. Cette solution permet au bailleur d’être indemnisé de la perte de jouissance de son bien sans pour autant aggraver excessivement la situation de la locataire défaillante.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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