Tribunal judiciaire de Béthune, le 18 juin 2025, n°22/00240

Tribunal judiciaire de Béthune, 18 juin 2025, n° RG 22/00240. Le litige naît d’une acquisition immobilière précédée de l’effondrement d’une marquise et suivie d’infiltrations, puis d’une infestation par la mérule. Des travaux de toiture et de chéneaux ont été réalisés, avant une expertise amiable concluant à la présence du champignon, puis une expertise judiciaire ordonnée en référé. Le demandeur a recherché la responsabilité de l’entrepreneur et de l’expert amiable, tandis que l’assureur de l’entrepreneur intervenait volontairement et discutait l’étendue de la garantie. L’expert amiable sollicitait l’annulation du rapport judiciaire pour atteinte au contradictoire, et tous débattent de la faute, du lien causal et des préjudices.

Deux questions commandaient la solution. D’abord, l’atteinte alléguée au contradictoire justifiait-elle la nullité de l’expertise judiciaire et, partant, la mise à l’écart de ses conclusions en droit positif ? Ensuite, le régime de responsabilité de l’expert amiable, tenu d’une obligation de moyens, et celui de l’entrepreneur, astreint à un résultat et au devoir de conseil, devaient-ils conduire à une condamnation, et selon quelle répartition et évaluation des préjudices ? La juridiction rejette la nullité, écarte toute faute de l’expert amiable, retient la contribution fautive de l’entrepreneur à hauteur d’un quart, et indemnise la perte de jouissance et le préjudice moral, l’assureur étant tenu in solidum faute de preuve de la franchise.

I. Le contradictoire de l’expertise et la responsabilité de l’expert amiable

A. Le grief d’irrégularité et le rejet de la nullité
L’office du juge face aux irrégularités d’expertise est rappelé par la décision, qui cite le texte et l’exigeante preuve du grief. Elle énonce que « L’article 276 du code de procédure civile dispose que l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu’il aura donnée aux observations ou réclamations présentées. » L’atteinte au contradictoire n’est pas automatique et suppose la démonstration d’un préjudice concrètement subi. Le juge ajoute : « L’inobservation des formalités prescrites par l’article 276, ayant un caractère substantiel, n’entraîne la nullité de l’expertise qu’à charge pour la partie qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité. Tel n’est pas le cas lorsque l’expert a implicitement répondu dans son rapport aux dires qu’il avait omis d’y mentionner. » Le contrôle est complété par le rappel selon lequel « L’article 246 dudit code précise que le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien. » Ainsi, même l’insuffisance argumentative de l’expert judiciaire relève de l’appréciation souveraine de la valeur probante par le juge du fond. La conclusion s’impose alors en des termes dépourvus d’ambiguïté : « Dès lors, la demande tendant à l’annulation du rapport d’expertise sera rejetée. » La solution, classique, réaffirme la primauté du grief et la liberté du juge d’écarter ou de pondérer un avis technique sans recourir au couperet de la nullité.

B. L’obligation de moyens de l’expert amiable et la charge de la preuve
La juridiction rappelle d’abord la nature du lien d’obligation applicable : « La responsabilité de l’expert amiable est contractuelle, et consiste dans un manquement dans une obligation de moyens. » L’expertise amiable est jugée à l’aune de diligences attendues, non d’un résultat thérapeutique sur l’ouvrage. Le cœur du raisonnements tient au standard probatoire : il incombait au demandeur d’établir, après mise en œuvre des préconisations, la persistance ou l’aggravation imputable aux conseils litigieux. À cet égard, la juridiction souligne la consistance méthodologique du rapport amiable : « Cette considération constitue un point de vue de l’expert, largement étayé par une démonstration théorique fournie. » Elle ajoute, sur la portée des silences du rapport judiciaire, que « Le fait que l’expert judiciaire ne détaille pas les raisons techniques de sa propre prise de position relève de l’appréciation de la qualité de son rapport par le juge saisi du fond de l’affaire, lequel n’est pas lié par les constatations ou les conclusions qui y figurent. » En l’absence d’éléments établissant un manquement déterminant et causalement opérant, la responsabilité de l’expert amiable est écartée. La solution s’inscrit dans une ligne équilibrée : elle préserve l’utilité des expertises amiables informatives, tout en rappelant l’exigence de preuve d’une faute qualifiée et efficace.

II. L’obligation de résultat de l’entrepreneur et la réparation des préjudices

A. Devoir de conseil, malfaçons et causalité partagée
La décision caractérise le régime applicable au constructeur dans des termes constants : « Il résulte de ces dispositions que l’entrepreneur est tenu d’une obligation de résultat, celle de réaliser des travaux exempts de vices, conformes aux règles de l’art, aux stipulations contractuelles et à la réglementation en vigueur. Il est également tenu envers le maître de l’ouvrage d’une obligation de conseil. » Sur le devoir de conseil, le juge estime qu’au jour de la pose de la marquise, l’infestation n’était pas nécessairement décelable depuis l’extérieur et que les conditions d’accès ne permettaient pas d’imputer un défaut d’alerte. Le grief se déplace alors vers l’exécution défectueuse des travaux de chéneaux et de couvertines, identifiée comme l’un des foyers d’humidité ayant alimenté la mérule. La causalité demeure toutefois diffuse en présence de sources multiples et d’un bâti dégradé. La juridiction le formule nettement : « Aucun élément produit au débat ne permet de connaître l’origine de cette infestation, et notamment de faire le lien avec les malfaçons constatées sur les chéneaux de la façade avant, alors qu’il est constant que l’habitation présentait des zones d’humidité et d’infestation multiples. » La part contributive de l’entrepreneur est ainsi justement circonscrite à un quart, ce qui concilie la sanction des malfaçons et la pluralité des causes.

B. Perte de jouissance, préjudice moral et garantie d’assurance
L’évaluation de la perte de jouissance repose sur les constatations techniques de l’expert judiciaire, fixant un quantum mensuel de 400 euros jusqu’à la dernière visite utile. La juridiction valide cette base en ces termes : « Aucun élément produit au débat ne permet de contester cette évaluation réalisée par l’expert. » Le calcul temporel aboutit à 19 800 euros, avant répartition selon la part de responsabilité retenue, puis la condamnation in solidum du constructeur et de son assureur. Le préjudice moral est également reconnu, au regard des troubles inhérents à la présence de mérule et aux démarches techniques imposées. S’agissant de la couverture, l’exception de franchise demeure inopérante faute de preuve contractuelle, le juge notant que « Elles se prévalent d’une franchise, sans néanmoins verser au débat le contrat. » L’allocation de sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile achève une solution mesurée, qui articule la force probante de l’expertise judiciaire, la modération causale et les mécanismes assurantiels de garantie.

La décision explique avec clarté les critères d’éviction d’une nullité d’expertise non griefée, fixe le standard probatoire applicable à l’expert amiable, et encadre la responsabilité de l’entrepreneur par une juste prise en compte des causalités concurrentes. Elle précise la méthode d’évaluation d’une perte de jouissance adossée au temps objectivé par l’expertise, et confirme l’exigence probatoire pesant sur l’assureur qui invoque une franchise.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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