- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Béthune en date du 18 juin 2025 illustre le mécanisme de la provision en cours d’instance lorsque l’obligation du débiteur ne souffre d’aucune contestation sérieuse. Une locataire avait été victime d’une chute dans une fosse contenant des compteurs d’eau appartenant à son bailleur social. La responsabilité de ce dernier ayant été définitivement établie par un jugement du 26 avril 2022, confirmé par la cour d’appel de Douai le 12 octobre 2023, la victime sollicitait une provision complémentaire à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel.
Les faits remontent au 14 décembre 2017. La demanderesse, locataire d’un logement social situé à Vermelles, a chuté dans une fosse abritant les compteurs d’eau de l’établissement public bailleur. Elle a assigné ce dernier ainsi que son assureur devant le tribunal judiciaire de Béthune sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1 du code civil. L’organisme de sécurité sociale a été attrait à la procédure. Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal a déclaré le bailleur entièrement responsable du préjudice, l’a condamné au versement d’une provision de 8 000 euros et a ordonné une expertise médicale. La cour d’appel de Douai a confirmé cette décision le 12 octobre 2023. L’expert a déposé son rapport le 8 janvier 2024. La demanderesse a alors saisi le juge de la mise en état d’une demande de provision complémentaire de 30 000 euros.
La victime évaluait son préjudice corporel, hors dépenses de santé, à 79 077,75 euros. L’établissement public défendeur, dans ses conclusions au fond du 23 janvier 2025, proposait une indemnisation limitée à 53 033,75 euros. La caisse primaire d’assurance maladie n’a pas conclu à l’incident.
La question posée au juge de la mise en état était de déterminer si une provision complémentaire pouvait être accordée lorsque le défendeur, tout en contestant partiellement le quantum du préjudice, reconnaît devoir une somme supérieure à celle réclamée à titre provisionnel.
Le juge de la mise en état a fait droit à la demande et condamné l’établissement public au paiement de 30 000 euros à titre de provision, relevant que « même après déduction de la provision ordonnée, d’un montant de 8 000 euros, la proposition formulée par l’établissement public défendeur est supérieure à la somme demandée ».
Cette décision met en lumière tant le régime de la provision devant le juge de la mise en état (I) que les effets de la reconnaissance partielle du débiteur sur l’octroi de cette mesure (II).
I. Le fondement textuel de la compétence provisionnelle du juge de la mise en état
Le juge de la mise en état tire de l’article 789 du code de procédure civile une compétence exclusive pour accorder des provisions (A), laquelle suppose toutefois l’absence de contestation sérieuse de l’obligation (B).
A. Une compétence exclusive jusqu’au dessaisissement
L’ordonnance rappelle expressément le fondement de l’intervention du juge de la mise en état en matière de provision. L’article 789 du code de procédure civile dispose que ce magistrat « est exclusivement compétent, jusqu’à son dessaisissement, pour accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Cette compétence exclusive confère au juge de la mise en état un véritable pouvoir juridictionnel, distinct de ses fonctions de régulation de l’instance.
Le caractère exclusif de cette compétence emporte plusieurs conséquences. Le tribunal, saisi au fond, ne saurait statuer sur une demande de provision tant que le juge de la mise en état n’est pas dessaisi. Cette règle garantit l’unité du traitement des demandes provisionnelles au cours de l’instruction. Elle permet également d’éviter que le tribunal ne préjuge du fond en accordant une provision alors que l’affaire n’est pas en état d’être jugée.
En l’espèce, la responsabilité du bailleur ayant été définitivement tranchée par l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Douai du 12 octobre 2023, seule demeurait en discussion la liquidation du préjudice. Le juge de la mise en état était donc pleinement compétent pour examiner la demande de provision complémentaire formulée par la victime.
B. L’exigence d’une obligation non sérieusement contestable
La provision ne peut être accordée que si l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Cette condition, posée par l’article 789 du code de procédure civile, constitue le critère déterminant de la recevabilité de la demande. Le juge de la mise en état ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire en la matière. Il doit vérifier que le créancier justifie d’un droit suffisamment vraisemblable.
La notion de contestation sérieuse renvoie à l’existence d’arguments juridiques ou factuels susceptibles de remettre en cause le principe même de la créance. Une simple discussion sur le quantum ne constitue pas une contestation sérieuse dès lors que le débiteur admet le principe de sa dette. En l’espèce, l’établissement public défendeur ne contestait plus sa responsabilité, définitivement jugée. Il se bornait à proposer une évaluation du préjudice inférieure à celle de la demanderesse. Cette divergence sur le montant n’affectait pas l’existence de l’obligation indemnitaire.
Le juge de la mise en état pouvait donc accorder une provision sans préjuger du montant final de l’indemnisation. La provision n’anticipe pas sur la décision au fond. Elle permet seulement au créancier d’obtenir un paiement partiel correspondant à la fraction incontestable de sa créance.
II. L’incidence de la reconnaissance partielle du débiteur sur le quantum de la provision
La proposition d’indemnisation formulée par le défendeur crée un plancher incontestable (A), ce qui simplifie considérablement l’office du juge de la mise en état (B).
A. L’aveu implicite résultant de la proposition d’indemnisation
L’originalité de cette décision réside dans le raisonnement adopté par le juge de la mise en état pour justifier l’octroi de la provision. La motivation est particulièrement sobre. Le magistrat constate que « la proposition formulée par l’établissement public défendeur est supérieure à la somme demandée » à titre de provision, après déduction des 8 000 euros déjà versés.
Ce raisonnement repose sur une logique imparable. Le défendeur, en proposant dans ses conclusions au fond une indemnisation de 53 033,75 euros, reconnaissait implicitement devoir au moins cette somme. La demande de provision, d’un montant de 30 000 euros, venait s’ajouter à la provision initiale de 8 000 euros. Le total provisionnel s’élevait donc à 38 000 euros, somme inférieure à celle que le défendeur lui-même admettait devoir.
Dans ces conditions, aucune contestation sérieuse ne pouvait prospérer sur le montant de la provision sollicitée. Le défendeur se trouvait en quelque sorte lié par sa propre proposition. Il ne pouvait raisonnablement contester le versement d’une somme inférieure à celle qu’il offrait de payer. Cette situation illustre la portée des conclusions au fond sur les incidents de mise en état.
B. La simplification de l’office du juge
L’existence d’une proposition chiffrée émanant du défendeur facilite considérablement l’examen de la demande de provision. Le juge de la mise en état n’a pas à se livrer à une appréciation complexe du préjudice. Il lui suffit de comparer les montants en présence. Cette méthode présente l’avantage de la sécurité juridique. Elle évite que le magistrat de la mise en état ne préjuge de l’évaluation définitive du dommage.
La portée de cette décision mérite d’être soulignée. Elle incite les défendeurs à la prudence dans la formulation de leurs propositions d’indemnisation. Une offre trop généreuse peut servir de fondement à une demande de provision. Inversement, une offre manifestement insuffisante expose le défendeur à une condamnation au fond majorée par l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance réserve les dépens et les frais irrépétibles, qui suivront le sort de l’instance principale. Cette solution classique permet de ne pas multiplier les condamnations accessoires au stade de l’incident. Elle préserve également l’appréciation globale des frais de justice lors du jugement au fond. L’affaire est renvoyée à l’audience de mise en état du 17 septembre 2025, démontrant que la provision ne met pas fin au litige mais permet à la victime d’obtenir une indemnisation partielle dans l’attente de la liquidation définitive de son préjudice.