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Le Tribunal judiciaire de Bobigny, ordonnance de référé du 13 juin 2025, statue sur une demande de provisions formée par un prestataire d’entretien. Les prestations portent sur le nettoyage des parties communes, les espaces verts et le gardiennage de plusieurs ensembles immobiliers en copropriété. Les syndicats concernés, agissant sous administration provisoire, ainsi qu’un établissement public foncier, contestent les factures et opposent des paiements antérieurs.
Les contrats de nettoyage ont été conclus en 2007, renouvelés tacitement, puis complétés en 2014 par deux conventions d’espaces verts et de gardiennage. Un premier impayé a fait l’objet d’un protocole d’apurement en 2021, soldé en 2023, tandis que l’exécution s’est poursuivie, avec une réduction des passages décidée en 2022. Plusieurs contrats ont cessé en 2023, puis le dernier a été résilié par le prestataire au début de 2024. Le demandeur a assigné en référé pour obtenir des provisions ventilées par ensembles, intérêts et indemnités procédurales. Les défendeurs ont invoqué des virements réalisés en 2019 et 2020, soutenu une contestation sérieuse des prestations et sollicité des dommages-intérêts pour abus et une indemnité au titre des frais irrépétibles.
La question posée tient au référé-provision de l’article 835 du code de procédure civile : le juge peut-il allouer une somme lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable, au vu de relations contractuelles anciennes, de prestations modulées et de paiements antérieurs allégués. L’ordonnance répond par la négative, relevant que « En l’espèce, il apparait que les demandes s’appuyent sur des contrats anciens […] pour lesquels les prestations réalisées font l’objet de contestations sérieuses ». Elle en déduit que « les demandes en paiement échappent à la compétence du juge de l’évidence qu’est le juge des référés », rejette les demandes dirigées contre l’établissement public foncier comme insuffisamment motivées, refuse les demandes reconventionnelles pour abus, et n’accorde aucune indemnité au titre des frais non compris dans les dépens.
I. Le filtre du référé-provision réaffirmé
A. Une obligation incertaine au regard de relations contractuelles anciennes
La motivation s’ancre d’abord dans la nature et la temporalité des engagements. L’ordonnance souligne que « En l’espèce, il apparait que les demandes s’appuyent sur des contrats anciens dont les périodes d’exécution sont anciennes », avec des prestations modifiées en cours d’exécution. Ce constat pèse sur la certitude de la créance invoquée, car la preuve du service fait se dilue lorsque les modalités évoluent et que les comptes antérieurs ont déjà fait l’objet d’un plan d’apurement.
La juridiction ajoute un élément factuel de nature à renforcer le doute sur l’étendue du solde exigible. Elle retient que « il apparaît que des virements anciens aient pu tenir lieu de règlements de certaines factures », ce qui commande des vérifications de rapprochement comptable, incompatibles avec le temps et l’office du juge des référés. Des paiements partiels, non imputés de manière incontestée, paralysent en pratique l’exigence d’une obligation non sérieusement contestable.
La combinaison de contrats successifs, de prestations adaptées, d’un protocole antérieur et de paiements échelonnés conduit donc à une incertitude globale. L’examen utile des griefs suppose l’établissement précis du service rendu, des imputations et de l’affectation des virements, tâche renvoyée au juge du fond.
B. Le rôle du juge de l’évidence et la charge de la preuve
L’ordonnance rappelle avec netteté l’office du juge des référés-provision. En présence d’éléments contraires plausibles, « les demandes en paiement échappent à la compétence du juge de l’évidence qu’est le juge des référés ». La formule exprime la limite fonctionnelle du référé : la provision requiert une obligation nette, non grevée de contestations sérieuses sur le principe, l’étendue ou l’imputation.
L’évocation de virements antérieurs, même anciens, suffit à déplacer la controverse vers le terrain probatoire, sauf démonstration claire de leur inopérance ou d’une compensation déjà actée. La charge de la preuve pèse sur le créancier qui sollicite une provision, lequel doit présenter un état de compte intelligible, des pièces d’exécution concordantes et un lien certain entre factures et paiements. À défaut, la juridiction ne tranche pas, elle s’abstient.
Enfin, la décision distingue les destinataires des obligations alléguées. Les demandes dirigées contre l’établissement public foncier sont écartées comme insuffisamment motivées, ce qui confirme qu’en référé-provision, la démonstration doit être double : quant au montant exigible et quant à la qualité de débiteur, spécialement en contexte de gestion dégradée d’immeubles.
II. Valeur et incidences de l’ordonnance
A. Une motivation mesurée sur l’abus et l’article 700
La juridiction maintient un équilibre sur les prétentions accessoires. S’agissant de l’abus de la voie de référé, elle juge que « La preuve d’un procédure abusive n’est pas rapportée avec l’évidence requise en référé ». La formule protège l’accès au juge d’urgence lorsque la frontière entre contestation sérieuse et certitude de la créance demeure incertaine. L’absence d’éléments manifestes de malice ou de témérité interdit la sanction.
Dans le même esprit, l’ordonnance refuse l’allocation d’une indemnité au titre des frais irrépétibles, retenant que « L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ». L’économie du litige, dominée par une incertitude objective et partagée, justifie que chacun supporte ses frais. La solution, cohérente avec le rejet des demandes principales et reconventionnelles, renforce la neutralité de l’issue en référé.
Cette mesure de la réponse juridictionnelle illustre une conception exigeante, mais pragmatique, des pouvoirs du juge de l’évidence. Elle évite de préjuger du fond tout en désamorçant les prétentions périphériques lorsque l’équilibre procédural n’est pas rompu.
B. Enseignements pour la gestion des impayés en copropriété
L’ordonnance livre plusieurs enseignements pratiques. D’abord, le référé-provision ne peut suppléer les carences d’administration de la preuve dans des chaînes contractuelles longues. Les créanciers doivent reconstituer un compte certifié, établir le service fait, justifier l’imputation de chaque virement et clarifier l’état des résiliations successives. À défaut, l’action au fond s’impose.
Ensuite, l’identification du bon débiteur est décisive. En présence d’une administration provisoire, l’assignation doit viser la structure débitrice réellement obligée, et articuler précisément les bases juridiques des demandes dirigées contre des tiers institutionnels. Une motivation lacunaire expose à un rejet immédiat, indépendamment du bien-fondé éventuel de la créance.
Enfin, la décision confirme la portée régulatrice de l’article 835 du code de procédure civile. Le référé-provision demeure un instrument de liquidité lorsque la créance est nette et certaine. Il n’est pas un mode de recomptage accéléré de relations contractuelles complexes. L’issue incite les acteurs de la copropriété en difficulté à privilégier la sécurisation préalable des preuves, la consolidation des imputations et, si nécessaire, la saisine du juge du fond.
Ainsi, la solution retenue par le Tribunal judiciaire de Bobigny apparaît conforme à l’économie du référé-provision : en l’absence d’obligation non sérieusement contestable, il convient de s’abstenir. La voie demeure ouverte pour un examen au fond, seul à même d’apurer le compte, d’arbitrer la qualité des prestations et d’imputer utilement les paiements anciens.