Tribunal judiciaire de Bobigny, le 13 juin 2025, n°25/05237

Le contrôle judiciaire des mesures d’hospitalisation psychiatrique sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. L’ordonnance rendue le 13 juin 2025 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny illustre le fonctionnement de ce mécanisme protecteur dans le cadre d’une admission sur décision du représentant de l’État.

Un homme, né en 1979, a été admis en soins psychiatriques sans consentement par arrêté préfectoral du 3 juin 2025, sous la forme d’une hospitalisation complète. Le préfet a prolongé cette mesure le 6 juin 2025 et a saisi le même jour le magistrat du siège conformément aux dispositions légales. Le certificat médical initial relevait des troubles du comportement à type d’hétéro-agressivité physique, une instabilité motrice, une irritabilité, une anosognosie totale et un refus des soins. Les avis médicaux ultérieurs confirmaient la persistance d’une excitation psychique, d’idées délirantes de persécution et d’une imprévisibilité comportementale.

Le ministère public a émis un avis favorable au maintien de la mesure. L’audience s’est tenue le 6 juin 2025 dans la salle d’audience aménagée de l’établissement hospitalier. Le patient, absent pour motifs médicaux, était représenté par son avocat commis d’office.

La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales justifiant la poursuite de l’hospitalisation complète étaient réunies, tant sur le plan procédural que sur le fond médical.

Le magistrat a autorisé la poursuite de l’hospitalisation complète, estimant que « les troubles psychiatriques de la personne hospitalisée persistent » et qu’« une surveillance médicale constante dans un cadre hospitalier est nécessaire ».

Cette décision invite à examiner successivement le cadre procédural du contrôle judiciaire de l’hospitalisation sous contrainte (I), puis les critères de fond conditionnant le maintien de la mesure (II).

I. Le cadre procédural du contrôle judiciaire de l’hospitalisation sous contrainte

Le législateur a institué un mécanisme de contrôle systématique et encadré dans des délais stricts (A), dont la mise en œuvre obéit à des modalités adaptées aux contraintes psychiatriques (B).

A. Un contrôle systématique encadré par des délais impératifs

L’ordonnance vise expressément l’article L. 3211-12-1, I-1°, du code de la santé publique qui impose une intervention judiciaire « avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de l’admission ». Ce délai constitue la traduction procédurale de l’exigence constitutionnelle selon laquelle nul ne peut être arbitrairement détenu.

En l’espèce, l’admission est intervenue le 3 juin 2025 et la saisine du juge le 6 juin, soit dans le délai de huit jours prévu par le texte. L’ordonnance a été rendue le 13 juin, respectant ainsi le délai de douze jours. Cette rigueur temporelle n’est pas une simple formalité. Elle garantit qu’aucune privation de liberté pour motif psychiatrique ne puisse se prolonger sans examen judiciaire.

Le juge relève d’ailleurs qu’« il ressort des pièces du dossier que la procédure est régulière ». Cette formule, apparemment laconique, traduit une vérification méthodique des différentes étapes procédurales. Elle englobe la compétence de l’autorité administrative, le respect des délais de saisine et la production des certificats médicaux requis.

Cette architecture procédurale traduit la volonté du législateur, depuis la loi du 5 juillet 2011 réformée par celle du 27 septembre 2013, de judiciariser le contrôle des hospitalisations contraintes. Le juge n’intervient plus seulement sur recours du patient mais de manière automatique, systématique et préventive.

B. Des modalités d’audience adaptées aux contraintes psychiatriques

L’ordonnance précise que « les débats se sont déroulés à l’audience publique tenue le 6 juin 2025 dans la salle d’audience aménagée de l’établissement public de santé ». Cette délocalisation du prétoire répond à une double préoccupation. Elle évite un transfert potentiellement déstabilisant pour le patient tout en permettant au juge de statuer au plus près de la réalité clinique.

Le patient « ne s’est pas présentée en raison de motifs médicaux, constatés par l’avis médical motivé, faisant obstacle à son audition ». Cette dispense d’audition, prévue par l’article L. 3211-12-2 du code de la santé publique, suppose une attestation médicale circonstanciée. Elle ne saurait devenir un expédient commode pour éviter la confrontation avec le juge.

La représentation par avocat commis d’office garantit toutefois que les droits de la défense ne soient pas sacrifiés à l’impératif sanitaire. L’avocat a été « entendu en ses observations », assurant ainsi le caractère contradictoire de la procédure malgré l’absence physique de son client.

Cette organisation procédurale tente de concilier deux exigences parfois antagonistes : le respect du procès équitable et la prise en compte de la vulnérabilité particulière des personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères.

II. Les critères de fond conditionnant le maintien de l’hospitalisation

Le maintien de la mesure suppose la réunion de conditions cumulatives tenant à l’état mental du patient (A), dont l’appréciation soulève la question de la proportionnalité de l’atteinte aux libertés (B).

A. L’exigence de conditions cumulatives tenant à l’état mental

Le juge rappelle les deux conditions posées par l’article L. 3212-1, I, du code de la santé publique : d’une part, des troubles mentaux rendant « impossible » le consentement, d’autre part, un état mental imposant « des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète ».

Les certificats médicaux produits établissent la persistance de troubles caractérisés. Le certificat initial mentionnait une « anosognosie totale » et un « risque de passage à l’acte hétéro-agressif imminent ». Les avis médicaux motivés du 11 juin 2025 relèvent une « excitation psychique importante », des « idées délirantes de persécution » et une « imprévisibilité comportementale ».

Le juge en déduit que « l’état de santé du patient, tel que rapporté par l’avis médical motivé, ne lui permet pourtant pas de consentir réellement aux soins ». L’emploi de l’adverbe « réellement » traduit une appréciation qualitative du consentement. Un acquiescement formel ou une acceptation de surface ne suffisent pas. La conscience partielle des troubles, relevée par l’un des psychiatres, n’équivaut pas à une capacité de consentir éclairément.

Cette motivation illustre la difficulté inhérente à l’évaluation du consentement en psychiatrie. Le trouble mental peut précisément altérer la faculté de percevoir sa propre pathologie et la nécessité des soins. L’anosognosie constitue ainsi un symptôme qui, par définition, empêche le patient de reconnaître sa maladie.

B. La proportionnalité de l’atteinte aux libertés individuelles

L’ordonnance vise l’article L. 3211-3 du code de la santé publique selon lequel « les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ».

Le juge estime qu’« une surveillance médicale constante dans un cadre hospitalier est nécessaire pour s’assurer de l’observance des soins prescrits » et qu’« une interruption intempestive des soins aurait des conséquences néfastes pour la santé de la personne hospitalisée et son environnement ».

Cette motivation révèle une double préoccupation. La protection du patient lui-même d’abord, contre les conséquences d’une rupture thérapeutique. La protection d’autrui ensuite, le risque hétéro-agressif étant expressément mentionné. Cette dualité fonde la légitimité de la mesure tant au regard de l’intérêt individuel du malade que de l’ordre public.

La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui confère au juge un pouvoir de contrôle effectif mais non de substitution à l’appréciation médicale. Le magistrat vérifie la cohérence et le sérieux des éléments cliniques sans s’ériger en expert psychiatre. Cette répartition des rôles préserve à la fois l’indépendance judiciaire et la compétence technique des praticiens.

La portée de cette ordonnance demeure celle d’une décision d’espèce, rendue dans un contentieux de masse où le juge statue quotidiennement sur des situations individuelles. Elle illustre néanmoins l’équilibre recherché par le législateur entre la protection des personnes vulnérables et le respect de leur liberté fondamentale. Cet équilibre, toujours précaire, appelle une vigilance constante du juge dans l’examen de chaque situation particulière.

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Hassan KOHEN
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