Tribunal judiciaire de Bobigny, le 18 juin 2025, n°24/04867

Un arrêt du juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Bobigny, rendu le 18 juin 2025, apporte un éclairage significatif sur l’articulation entre les règles de conflit de lois et le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal.

En l’espèce, deux époux s’étaient mariés le [date occultée] 2015 au Sénégal. L’épouse, née en 1988 en France, avait assigné son mari, né en 1990 au Sénégal, aux fins de divorce. Elle sollicitait l’application de la loi sénégalaise et formulait une demande de dommages-intérêts sur ce fondement. L’époux demandait quant à lui le divorce aux torts exclusifs de son épouse.

En première instance, le juge aux affaires familiales devait statuer sur plusieurs points. Il convenait d’abord de déterminer la compétence juridictionnelle et la loi applicable. Il fallait ensuite trancher entre les différents fondements de divorce invoqués par les parties. Le juge devait également se prononcer sur les demandes accessoires relatives aux enfants et aux aspects patrimoniaux du mariage.

Le tribunal a déclaré le juge français compétent et la loi française applicable. Il a débouté l’épouse de sa demande de divorce fondée sur la loi sénégalaise ainsi que de sa demande de dommages-intérêts. L’époux a également été débouté de sa demande de divorce pour faute. Le juge a prononcé le divorce sur le fondement des articles 237 et 238 du Code civil, relatifs à l’altération définitive du lien conjugal.

La question de droit principale tenait à la détermination de la loi applicable au divorce d’époux mariés à l’étranger et aux conséquences de cette détermination sur les demandes formées par les parties.

Le tribunal répond en appliquant la loi française et en prononçant le divorce pour altération définitive du lien conjugal, après avoir rejeté les autres fondements sollicités.

Cette décision illustre le rejet des fondements de divorce sollicités par les parties au profit d’une requalification judiciaire (I), tout en mettant en lumière l’application systématique de la loi du for aux demandes accessoires (II).

I. Le rejet des fondements initiaux au profit du divorce pour altération du lien conjugal

Le tribunal écarte successivement les demandes des deux époux avant de substituer un fondement objectif à leurs prétentions respectives.

A. L’inapplicabilité de la loi étrangère invoquée par l’épouse

L’épouse sollicitait l’application de la loi sénégalaise à son divorce. Le tribunal « déboute Madame [épouse] de sa demande de divorce des époux sur le fondement de la loi sénégalaise ». Cette solution s’inscrit dans la logique des règles de conflit de lois en matière de divorce.

Le règlement Rome III du 20 décembre 2010 organise la détermination de la loi applicable au divorce dans l’Union européenne. En l’absence de choix exprès des époux, l’article 8 désigne la loi de la résidence habituelle commune ou, à défaut, la loi de la dernière résidence habituelle si l’un des époux y réside encore. La nationalité commune intervient subsidiairement.

Le juge ayant déclaré la loi française applicable, il faut en déduire que les critères de rattachement conduisaient à cette solution. Le mariage célébré au Sénégal ne suffit pas à rendre la loi sénégalaise applicable. La résidence des époux en France constitue un élément déterminant dans cette analyse. L’épouse ne pouvait donc obtenir le bénéfice de la loi étrangère sans démontrer un rattachement suffisant justifiant son application.

Cette solution protège la prévisibilité juridique. Les époux domiciliés en France relèvent en principe de la loi française pour leur divorce. Le lieu de célébration du mariage n’emporte pas compétence législative automatique pour sa dissolution.

B. Le rejet de la faute au profit de l’altération du lien conjugal

L’époux demandait le divorce aux torts exclusifs de son épouse. Le tribunal l’a « débouté de sa demande de divorce aux torts exclusifs de l’épouse ». Aucun élément du jugement ne permet de connaître les griefs invoqués, les motifs étant occultés.

Le tribunal prononce finalement le divorce « en application des articles 237 et 238 du Code civil ». Ces dispositions régissent le divorce pour altération définitive du lien conjugal. L’article 238 exige une cessation de la communauté de vie depuis au moins un an lors de l’assignation.

Le choix de ce fondement révèle une approche pragmatique. Lorsque la faute ne peut être établie et que la séparation est avérée, l’altération du lien conjugal offre une issue objective. Ce fondement ne suppose aucune imputation de responsabilité. Il constate simplement l’échec du mariage matérialisé par une séparation prolongée.

La réforme du divorce de 2004 avait précisément voulu faciliter la sortie du mariage sans exiger la preuve de comportements fautifs. Le législateur de 2019 a réduit le délai de séparation à un an, accentuant cette évolution. Le présent jugement s’inscrit dans cette logique de dépassionnement du contentieux matrimonial.

II. L’application rigoureuse de la loi française aux conséquences du divorce

Le rejet de la loi étrangère emporte des conséquences sur l’ensemble des demandes accessoires formées par les parties.

A. L’exclusion des dommages-intérêts fondés sur la loi étrangère

Le tribunal « déboute l’épouse de sa demande de dommages-intérêts sur le fondement de la loi sénégalaise ». Cette décision découle directement de la détermination de la loi applicable.

La loi sénégalaise prévoit un régime spécifique de réparation en cas de divorce. Le Code de la famille sénégalais organise notamment l’indemnisation de l’épouse répudiée ou divorcée dans certaines conditions. Ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque la loi française régit le divorce.

En droit français, l’article 266 du Code civil permet au juge d’accorder des dommages-intérêts lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs d’un époux. Ces dommages-intérêts réparent les conséquences d’une particulière gravité subies du fait de la dissolution du mariage. L’article 1240 du Code civil peut également fonder une demande indemnitaire en cas de faute caractérisée.

Le tribunal n’ayant retenu aucune faute, il ne pouvait accorder de réparation sur le fondement de la loi française. Le rejet de la demande indemnitaire procède donc d’une double impossibilité. La loi sénégalaise n’était pas applicable. La loi française ne permettait pas davantage cette indemnisation faute de faute retenue.

B. L’organisation classique des mesures relatives aux enfants

Le jugement fixe la résidence des enfants chez la mère et organise un droit de visite et d’hébergement au bénéfice du père. Le tribunal « maintient à 125 euros par mois et par enfant » la contribution paternelle, soit 375 euros au total pour trois enfants.

Ces mesures relèvent exclusivement de la loi française. L’article 309 du Code civil soumet les effets du divorce à la loi française lorsque les époux résident en France. La Convention de La Haye du 19 octobre 1996 désigne la loi de la résidence habituelle de l’enfant pour les questions d’autorité parentale.

Le dispositif retenu correspond au modèle classique du droit français. La résidence alternée n’a pas été ordonnée. Le père exerce son droit selon le calendrier usuel des fins de semaine paires et des moitiés de vacances. L’intermédiation financière par la CAF est mise en place conformément aux dispositions issues de la loi du 23 décembre 2021.

Le tribunal rappelle les sanctions pénales encourues en cas de non-représentation d’enfant ou de défaut de paiement de la pension alimentaire. Ces rappels systématiques visent à prévenir les difficultés d’exécution. Ils témoignent d’une volonté pédagogique du juge aux affaires familiales dans l’organisation de l’après-divorce.

La condamnation de l’épouse aux dépens peut surprendre alors qu’elle a obtenu le divorce. Cette décision s’explique par le rejet de ses demandes principales fondées sur la loi sénégalaise. Le succès partiel ne suffit pas à faire supporter les dépens à l’autre partie lorsque les prétentions initiales échouent substantiellement.

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Hassan KOHEN
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