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Le droit au logement, consacré comme objectif à valeur constitutionnelle, trouve dans les délais accordés avant expulsion une traduction procédurale délicate. Le juge de l’exécution doit en effet concilier les droits du propriétaire avec la protection des personnes vulnérables.
Le tribunal judiciaire de Bobigny, par jugement du 19 juin 2025, offre une illustration éclairante de cette mise en balance.
Un occupant sans droit ni titre se maintenait dans un logement depuis l’ordonnance de référé du 2 décembre 2019 rendue par le tribunal d’instance de Saint-Denis. Cette décision avait constaté son occupation irrégulière, fixé une indemnité d’occupation et accordé un délai de vingt-quatre mois pour quitter les lieux. La cour d’appel de Paris, par arrêt du 13 octobre 2021, confirma l’expulsion tout en supprimant le délai initialement accordé. Un commandement de quitter les lieux fut délivré le 23 mai 2022.
Par requête du 17 mars 2025, l’occupant saisit le juge de l’exécution afin d’obtenir un délai jusqu’au 31 octobre 2025. Il invoquait sa situation sanitaire, ses faibles ressources et ses démarches de relogement. Le bailleur s’opposait à cette demande, arguant de l’irrégularité des paiements, de l’importance de la dette locative et du caractère tardif des démarches entreprises après six années d’occupation.
La question posée au juge de l’exécution était de déterminer si un occupant dont l’expulsion avait été ordonnée plusieurs années auparavant pouvait bénéficier d’un délai supplémentaire malgré le caractère récent de ses démarches de relogement.
Le tribunal judiciaire de Bobigny accorde le délai sollicité jusqu’au 31 octobre 2025. Il retient que « si ces démarches sont tardives au regard de l’antériorité de la décision d’expulsion, elles ne permettent pas de caractériser sa mauvaise volonté dans l’exécution de ses obligations » compte tenu de la fragilité et de l’isolement du demandeur.
Cette décision invite à examiner les critères d’appréciation de la bonne foi de l’occupant (I), avant d’analyser l’influence déterminante de l’état de santé sur l’octroi des délais (II).
I. L’appréciation nuancée de la bonne foi de l’occupant
Le juge de l’exécution neutralise le grief tiré du retard dans les démarches de relogement (A), tout en valorisant la régularisation partielle des paiements (B).
A. La neutralisation du retard par la vulnérabilité personnelle
L’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution impose au juge de tenir compte « de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations ». Le bailleur soutenait que les démarches de relogement, entreprises seulement à compter de décembre 2024, étaient trop tardives au regard d’une décision d’expulsion remontant à 2019.
Le tribunal reconnaît expressément ce retard. Il juge toutefois que cette circonstance « ne permet pas de caractériser sa mauvaise volonté ». Cette position s’appuie sur le constat que le demandeur « est particulièrement fragile et isolé et n’était pas en capacité d’effectuer de telles démarches sans l’aide d’une association ou d’un travailleur social ».
Le juge opère ainsi une distinction entre l’inertie fautive et l’incapacité objective d’agir. La vulnérabilité de l’occupant devient une cause exonératoire du retard. Cette approche s’inscrit dans la philosophie protectrice des articles L. 412-3 et L. 412-4 qui visent à permettre un relogement « dans des conditions normales ».
La solution paraît équilibrée. Elle évite de sanctionner mécaniquement le retard sans considération des circonstances personnelles. Le rapport de l’association Interlogement 93 vient objectiver cette incapacité. Le juge ne se contente pas des allégations du demandeur mais s’appuie sur des éléments extérieurs.
Cette interprétation extensive de la bonne foi interroge néanmoins. Un délai de six années entre la décision d’expulsion et les premières démarches reste considérable. Le juge admet implicitement que durant cette période, aucune intervention sociale n’avait permis d’accompagner l’occupant. La tardiveté des démarches traduit peut-être autant un défaillance de l’accompagnement social qu’une impossibilité personnelle d’agir.
B. La valorisation de la régularisation des paiements
Le tribunal retient que « des versements partiels au titre de l’indemnité d’occupation sont effectués depuis décembre 2024 ». Cette date coïncide avec la perception intégrale des droits à la retraite par le demandeur.
Le juge précise que les ressources antérieures, d’un montant de 555 euros mensuels, ne permettaient pas de reprocher l’absence de règlement. Cette motivation révèle une analyse concrète de la capacité contributive de l’occupant. L’indemnité d’occupation mensuelle s’élevant à 502,15 euros, son paiement aurait absorbé la quasi-totalité des ressources antérieures.
La décision établit un lien entre les moyens financiers et l’exigibilité morale du paiement. Le demandeur n’est pas sanctionné pour une impossibilité objective de payer. Dès que ses ressources l’ont permis, il a repris les versements.
Cette approche protège l’occupant de bonne foi confronté à une situation de précarité. Elle évite de lui opposer une dette locative constituée durant une période d’impécuniosité. Le bailleur conserve néanmoins sa créance. La décision ne remet pas en cause le principe de l’indemnité d’occupation ni son quantum.
Le juge aurait pu assortir le délai accordé d’une obligation de paiement régulier, comme le sollicitait subsidiairement le défendeur. Le dispositif ne comporte pas une telle condition. Cette absence laisse au bailleur le soin de poursuivre le recouvrement par les voies ordinaires.
II. L’influence déterminante de l’état de santé sur l’octroi des délais
La gravité de la pathologie cardiaque emporte la conviction du juge (A), tandis que la durée du délai accordé reflète un équilibre des intérêts (B).
A. La gravité de la pathologie cardiaque comme critère décisif
L’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution mentionne expressément l’état de santé parmi les critères d’appréciation. Le tribunal relève que « l’état de santé de Monsieur est extrêmement fragile ».
Trois éléments médicaux fondent cette appréciation. D’abord, la pose d’un stimulateur cardiaque en octobre 2024 atteste d’une pathologie sérieuse. Ensuite, la nécessité de soins infirmiers quotidiens à domicile démontre une dépendance médicale continue. Enfin, le malaise cardiaque survenu lors de la tentative d’expulsion du 24 avril 2025, fait « non contesté » par le bailleur, illustre le risque vital que représenterait une expulsion immédiate.
Ce dernier élément revêt une importance particulière. Le lien de causalité entre la procédure d’expulsion et l’événement cardiaque, même s’il n’est pas explicitement établi, suggère que l’exécution forcée pourrait mettre en danger la vie de l’occupant.
Le juge tire la conséquence logique de ces constatations. L’octroi d’un délai s’impose pour des raisons humanitaires autant que juridiques. Expulser immédiatement une personne dans cet état de santé serait contraire à l’esprit protecteur des textes applicables.
Cette motivation soulève toutefois une interrogation. Le délai accordé jusqu’au 31 octobre 2025 suppose une amélioration de l’état de santé ou, à défaut, un relogement adapté. Le jugement ne précise pas les perspectives d’évolution médicale. Le terme du délai pourrait se heurter aux mêmes difficultés que celles constatées à la date de la décision.
B. L’équilibre recherché dans la fixation du délai
Le tribunal accorde un délai de quatre mois et demi, soit jusqu’au 31 octobre 2025. Cette durée correspond exactement à la demande formulée par l’occupant. Elle reste inférieure au maximum légal d’un an prévu par l’article L. 412-4.
Ce choix traduit une volonté de conciliation. Le demandeur obtient le temps nécessaire pour poursuivre ses démarches de relogement social. Les procédures DALO et SIAO engagées début 2025 requièrent plusieurs mois d’instruction. Le délai accordé leur laisse le temps d’aboutir.
Le bailleur n’est pas dépourvu de perspective. La date butoir du 31 octobre 2025 lui garantit que la situation ne perdurera pas indéfiniment. Le caractère non renouvelable du délai n’est pas expressément mentionné, mais le jugement « dit que la procédure d’expulsion, suspendue pendant ce délai, pourra être reprise » à son terme.
La condamnation du demandeur aux dépens, malgré le succès de sa prétention, participe de cet équilibre. Le tribunal justifie cette solution inhabituelle par la circonstance que « l’instance a été introduite par ce dernier dans le seul objectif d’obtenir un délai avant son expulsion ». Le demandeur assume ainsi le coût procédural de sa demande.
Le rejet de la demande d’article 700 formée par le bailleur complète cette répartition équitable. Chaque partie conserve la charge de ses frais d’avocat. Le jugement évite d’aggraver la situation financière déjà précaire de l’occupant.
Cette décision illustre la fonction de régulation sociale du juge de l’exécution. Sans remettre en cause le titre exécutoire du bailleur, il aménage ses conditions de mise en œuvre pour préserver la dignité et la santé de l’occupant.