Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 13 juin 2025, n°25/00262

L’ordonnance de référé rendue le 13 juin 2025 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux illustre le contentieux classique des impayés locatifs. Elle met en lumière l’articulation entre le mécanisme de la clause résolutoire et la défense fondée sur l’indécence du logement.

En l’espèce, une société civile immobilière avait consenti un bail d’habitation portant sur un logement situé à Bordeaux. La locataire ayant accumulé un arriéré de loyers et charges, le bailleur lui a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 20 novembre 2024 pour une somme de 2020,84 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné la locataire en référé aux fins de constat de la résiliation du bail et d’expulsion.

La locataire, bénéficiaire du revenu de solidarité active, s’est opposée aux demandes du bailleur. Elle soutenait que le logement était indécent et sollicitait une expertise judiciaire pour le constater. Elle formait également une demande reconventionnelle en réparation de son préjudice de jouissance à hauteur de 7644 euros et en condamnation du bailleur à réaliser des travaux sous astreinte. À titre subsidiaire, elle demandait des délais de paiement sur trois ans et un délai de douze mois pour quitter les lieux.

Le juge des référés devait déterminer si l’allégation d’indécence du logement constituait une contestation sérieuse de nature à faire obstacle au constat de la résiliation du bail et à l’octroi de provisions.

Le juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 21 janvier 2025. Il a ordonné l’expulsion de la locataire, l’a condamnée au paiement de la somme provisionnelle de 2024 euros ainsi qu’à une indemnité d’occupation mensuelle jusqu’à libération des lieux. Il a rejeté les demandes d’expertise, de suspension des loyers et de délais, estimant que les éléments invoqués ne caractérisaient pas l’indécence du logement et que les demandes reconventionnelles excédaient ses pouvoirs.

Cette décision invite à examiner successivement le constat de la résiliation du bail en présence d’une contestation fondée sur l’indécence (I), puis les limites des pouvoirs du juge des référés face aux demandes reconventionnelles du locataire (II).

I. Le constat de la résiliation du bail à l’épreuve de l’exception d’indécence

Le juge procède d’abord à la vérification du respect des formalités préalables à la demande en résiliation (A), avant d’écarter la contestation tirée de l’état du logement comme insuffisamment caractérisée (B).

A. Le contrôle rigoureux des formalités préalables

Le juge des contentieux de la protection vérifie scrupuleusement le respect des exigences procédurales posées par la loi du 6 juillet 1989. Il relève que « l’assignation a été régulièrement notifiée au représentant de l’État dans le département par courrier électronique avec accusé de réception du 27 janvier 2025 soit dans le délai légal avant la date de l’audience ». Il constate également que « le bailleur justifie également avoir saisi la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives le 22 novembre 2024 conformément à l’article 7-2 de la loi du 31 mai 1990 ».

Ces vérifications préalables ne relèvent pas d’un simple formalisme. Elles traduisent la volonté du législateur d’encadrer les procédures d’expulsion en garantissant l’information des services sociaux. Le juge des référés exerce ainsi un contrôle de régularité qui conditionne la recevabilité de l’action. En l’absence de ces justifications, le bailleur se serait exposé à une irrecevabilité de sa demande.

Le mécanisme de la clause résolutoire obéit lui-même à un formalisme strict. L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que cette clause « ne produit effet que deux mois après un commandement demeuré infructueux ». Le commandement de payer délivré le 20 novembre 2024 ayant mentionné une somme de 2020,84 euros, le délai de deux mois expirait le 21 janvier 2025. Le juge constate logiquement « le jeu de la clause résolutoire à la date du 21 janvier 2025 ».

B. L’insuffisance des éléments caractérisant l’indécence alléguée

Face à la défense de la locataire invoquant le caractère indécent du logement, le juge oppose une fin de non-recevoir fondée sur l’insuffisance de preuve. Il relève que « les traces d’humidité relevées et l’absence d’une isolation suffisante des murs s’agissant d’un immeuble ancien ne permettent pas de caractériser l’indécence du logement au sens des dispositions de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 ».

Cette appréciation mérite examen. La notion de logement décent, définie à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et précisée par le décret du 30 janvier 2002, suppose la réunion de plusieurs critères cumulatifs. La présence de traces d’humidité ou un défaut d’isolation ne suffisent pas nécessairement à caractériser l’indécence, surtout lorsque le logement se situe dans un immeuble ancien.

Le juge relève en outre que « le bailleur a entrepris des travaux pour améliorer le confort de ce logement ancien ». Cet élément factuel vient conforter l’analyse selon laquelle le logement, sans être parfait, ne présente pas les caractéristiques de l’indécence au sens légal. La locataire ne disposait pour étayer sa défense que d’un rapport de visite pour des économies d’énergie, document qui n’a pas vocation à établir l’indécence d’un logement.

Cette analyse rigoureuse des éléments de preuve traduit l’office du juge des référés. Celui-ci ne saurait retenir une contestation sérieuse sur la seule allégation du locataire. Il doit vérifier que les éléments produits sont de nature à remettre en cause l’évidence de la créance du bailleur.

II. Les limites des pouvoirs du juge des référés face aux demandes du locataire

Le rejet de la demande d’expertise illustre l’exigence d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile (A). Le refus des délais de paiement et de grâce s’explique par l’absence de garanties de solvabilité (B).

A. L’absence de motif légitime justifiant une mesure d’instruction

La locataire sollicitait une expertise judiciaire sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin de faire constater l’indécence du logement. Le juge rejette cette demande au motif qu’« il n’est pas justifié d’un motif légitime pour l’ordonner ».

L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Cette disposition suppose donc la démonstration d’un intérêt probatoire réel. Or le juge considère que les éléments produits, à savoir un rapport de visite énergétique, ne révèlent pas l’existence d’un litige potentiel sur l’indécence justifiant une expertise.

Le juge ajoute que « l’existence d’un trouble de jouissance et la réparation d’un préjudice en résultant excède manifestement les pouvoirs du juge des référés ». Cette formulation rappelle que le juge des référés n’est pas le juge du fond. Sa compétence se limite aux mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou qui visent à prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. La demande en réparation d’un préjudice de jouissance suppose une appréciation au fond qui relève du juge du bail.

B. Le refus des délais en l’absence de garanties suffisantes

La locataire sollicitait à titre subsidiaire un délai de trois ans pour apurer sa dette locative et un délai de douze mois pour quitter les lieux. Le juge rejette ces demandes en constatant que « Madame [V] [H] épouse [T] n’apporte aucune garantie de solvabilité n’ayant pour seule ressource que le RSA pour s’acquitter de l’arriéré des loyers et charges sans d’ailleurs s’expliquer sur le montant qu’elle pourrait payer en sus du loyer pendant trois ans pour l’apurement de sa dette locative ».

Cette motivation illustre l’appréciation concrète que doit effectuer le juge. Les délais de paiement prévus à l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 ne constituent pas un droit automatique. Le juge doit vérifier que le locataire présente des perspectives réalistes d’apurement de sa dette. L’octroi de délais à un locataire dont les seules ressources sont constituées du revenu de solidarité active, sans qu’il explicite sa capacité à payer le loyer courant augmenté d’une mensualité de remboursement, reviendrait à différer artificiellement une expulsion inévitable.

La décision témoigne d’un équilibre recherché entre la protection du locataire et les droits du bailleur. Si la loi a multiplié les garanties procédurales en faveur des occupants, elle n’a pas entendu priver les propriétaires de la possibilité de recouvrer leur bien lorsque le locataire est défaillant et ne présente aucune perspective d’amélioration de sa situation.

Cette ordonnance de référé s’inscrit dans une jurisprudence constante. Elle rappelle que l’exception d’indécence, pour prospérer, doit reposer sur des éléments tangibles permettant de caractériser un manquement du bailleur à ses obligations légales. Elle confirme également que l’octroi de délais suppose de la part du locataire une démonstration minimale de sa capacité à régulariser sa situation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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