Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 16 juin 2025, n°24/01785

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Rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux, 16 juin 2025, le jugement tranche une action en responsabilité dirigée contre l’État pour durée excessive de jugement au regard de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et de l’article 6 § 1 de la Convention européenne. L’instance initiale, ouverte devant le conseil de prud’hommes de [Localité 6] le 18 juin 2013, a connu une conciliation le 3 septembre 2013, une audience au fond et un partage de voix le 19 décembre 2014, puis un jugement de départage le 12 décembre 2016 ordonnant une expertise. L’expert, souffrant de graves problèmes de santé, n’a pas déposé de rapport définitif malgré deux pré-rapports, un dernier le 9 juillet 2019, avant un jugement du 14 janvier 2020.

Sur appel de l’employeur, la cour d’appel de [Localité 6], 29 mars 2023, a confirmé le jugement. Le demandeur a ensuite assigné l’État le 4 mars 2024 pour faire reconnaître un déni de justice et obtenir réparation. Il sollicitait 21 250 euros et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le défendeur concluait au rejet ou à la réduction, soutenant que l’appréciation devait être in concreto et que les délais liés à un sursis ou à l’expertise n’étaient pas imputables au service public de la justice.

La question de droit portait sur l’imputation des lenteurs procédurales et, partant, sur l’existence d’un déni de justice engageant la responsabilité de l’État. Le tribunal retient une durée déraisonnable partielle devant le conseil de prud’hommes, après déduction d’un sursis et des délais d’expertise, et caractérise, s’agissant de l’appel, une durée excédant le raisonnable. Il énonce notamment que « L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire (…) s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure », et juge qu’« En l’espèce, la durée globale afin qu’il soit statué de 37 mois a dépassé le délai raisonnable. Il s’apparente à un déni de justice ». L’État est condamné à verser 4 125 euros à titre de dommages-intérêts et 250 euros sur le fondement de l’article 700.

I. L’appréciation in concreto du délai raisonnable et ses conséquences

A. La méthode d’évaluation retenue: globalité du délai et particularités prud’homales

Le tribunal confirme l’office du juge indemnitaire en rappelant que « Le déni de justice mentionné à l’article L. 141-1 (…) doit s’entendre comme correspondant à tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridique de l’individu ». Il précise la méthode: le contrôle se fait globalement, au regard de la nature de l’affaire, du comportement des parties et des spécificités de la procédure. D’où l’affirmation, centrale, selon laquelle « Le délai de procédure imposé au justiciable doit être considéré de façon globale et ne peut être découpé en phases ». La juridiction mentionne cependant les phases propres au contentieux prud’homal, y compris le départage, et rappelle l’exigence d’audience dans le mois prévue par l’article R. 1454-29 du code du travail.

Au vu des éléments, la durée totale devant le conseil de prud’hommes atteint soixante-dix-huit mois, très au-delà de la référence de dix-huit mois retenue en principe. Le juge corrige néanmoins ce constat par un examen circonstancié des incidents de parcours, articulant une globalité de principe avec des exclusions ciblées lorsque le temps perdu ne procède pas d’un dysfonctionnement du service.

B. Les périodes non imputables: sursis à statuer et défaillance de l’expert

L’office réparateur oblige à soustraire du calcul les délais non imputables à l’État. Le tribunal retient d’abord l’existence d’un sursis antérieur au 12 décembre 2016, déduit d’un dispositif indiquant qu’il n’y a « plus lieu de surseoir », alors même que la décision n’est pas produite. Il en conclut qu’« il ne peut être imputé à un dysfonctionnement des services de la justice, les délais engendrés par un sursis à statuer ». Ensuite, il écarte la période d’expertise, en rappelant que « Il est de jurisprudence constante que les éventuelles défaillances des collaborateurs judiciaires, distincts et autonomes de l’institution judiciaire (…) n’engagent pas la responsabilité de l’Etat ».

Ces deux exclusions ramènent le délai déraisonnable devant le conseil de prud’hommes à huit mois. La démarche, fidèle à la logique in concreto, distingue les lenteurs relevant du cœur juridictionnel de celles issues d’aléas procéduraux ou de tiers participants, pour n’indemniser que le premier segment.

II. La valeur et la portée de la solution

A. Une exigence probatoire rigoureuse quant au sursis et un contrôle mesuré

La juridiction retient l’existence d’un sursis sans production de la décision, en s’appuyant sur une mention dispositive postérieure: « Cette formulation (…) implique qu’une décision avait préalablement ordonné un sursis à statuer ». Elle reproche au demandeur l’absence de pièces relatives aux événements procéduraux intermédiaires. Ce choix, strict sur la charge de la preuve, renforce la cohérence du raisonnement par rapport au principe de non-imputabilité des délais provoqués par un sursis. Il interroge toutefois la sécurité des justiciables lorsque des lacunes matérielles de dossier entravent la reconstitution des séquences procédurales.

L’équilibre recherché demeure cependant clair: préserver la responsabilité de l’État pour son office juridictionnel propre, tout en évitant d’en faire l’assureur général des aléas de procédure. La réduction à huit mois se veut l’illustration d’un filtrage probatoire vigilant, sans porter atteinte au droit à une décision dans un délai raisonnable.

B. Une indemnisation modérée et un signal fort sur la phase d’appel

S’agissant de l’appel, l’analyse est plus ferme. En retenant qu’« En l’espèce, la durée globale (…) de 37 mois (…) s’apparente à un déni de justice », la juridiction fixe une référence d’un an comme délai raisonnable de traitement et isole un dépassement de vingt-cinq mois. La caractérisation, nette, conforte l’exigence conventionnelle et rappelle la responsabilité de l’État dans la maîtrise des flux d’audiencement et de délibéré en degré d’appel.

L’indemnisation est pourtant contenue à 4 125 euros, le juge relevant l’absence d’éléments établissant un préjudice moral aggravé au-delà de l’atteinte nécessairement causée par l’attente. Cette solution s’inscrit dans une pratique d’évaluation modérée, centrée sur l’anxiété procédurale et le temps perdu au-delà du seuil tolérable. Elle emporte une double portée: inciter les plaideurs à documenter toute aggravation spécifique, et encourager les juridictions d’appel à maintenir un horizon d’un an, désormais rappelé de manière explicite, pour prévenir toute qualification de déni de justice.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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