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La présente ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux le 16 juin 2025 porte sur un litige né dans le cadre de travaux de construction. Une société chargée de la création d’une verrière réclame le paiement du solde de son marché tandis que le maître d’ouvrage oppose des pénalités de retard et une retenue de garantie.
Les faits de l’espèce révèlent qu’une société à responsabilité limitée s’est vue confier par une société civile immobilière des travaux de création d’une verrière dans le cadre de la rénovation d’une maison individuelle. Par acte d’engagement du 28 février 2022, l’entrepreneur s’est soumis à un Cahier des Clauses Administratives Particulières. Il s’était engagé à finaliser la pose pour le 20 janvier 2023 selon courriel du 10 juin 2022. La livraison n’est intervenue que le 5 juillet 2023 avec réserves levées le lendemain. Le maître d’ouvrage a refusé de réceptionner les travaux à cette date et a établi un procès-verbal de réception le 14 juin 2024 comportant des mentions contradictoires puisque la réception y apparaît comme refusée.
L’entrepreneur a assigné le maître d’ouvrage en référé le 29 novembre 2024 aux fins d’obtenir le paiement d’une provision de 71 680,64 euros correspondant au solde du marché, la réception judiciaire de l’ouvrage au 6 juillet 2023 ou subsidiairement au 14 juin 2024, et des dommages et intérêts pour rétention abusive. La défenderesse a sollicité le rejet de ces demandes et formulé des demandes reconventionnelles en paiement pour procédure abusive et préjudices économiques et moraux.
La question de droit principale soumise au juge des référés était de déterminer si l’existence d’une obligation de paiement à la charge du maître d’ouvrage était suffisamment certaine pour justifier l’octroi d’une provision au sens de l’article 835 du code de procédure civile, et si le juge des référés pouvait prononcer la réception judiciaire d’un ouvrage en présence de contestations sérieuses.
Le juge des référés a rejeté l’ensemble des demandes de provision et de réception judiciaire présentées par l’entrepreneur au motif que l’obligation n’était pas établie de manière non sérieusement contestable. Il a toutefois ordonné une expertise judiciaire sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Le rejet des demandes principales révèle une application rigoureuse des limites du pouvoir juridictionnel du juge des référés (I) tandis que l’organisation d’une mesure d’expertise témoigne de la fonction préparatoire de cette juridiction dans la résolution des litiges complexes de construction (II).
I. Les limites du pouvoir juridictionnel du juge des référés en matière de provision
Le juge des référés rappelle avec fermeté les conditions d’octroi d’une provision (A) avant d’en tirer les conséquences quant à l’impossibilité de prononcer une réception judiciaire en présence de contestations sérieuses (B).
A. Le rejet de la demande de provision pour existence d’une contestation sérieuse
Le juge des référés fonde son analyse sur l’article 835 du code de procédure civile aux termes duquel une provision peut être accordée dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. L’ordonnance précise que la demande ne doit se heurter à aucune contestation sérieuse, ce qui suppose la certitude des faits de la cause et du droit applicable.
L’entrepreneur réclamait la somme de 71 680,64 euros présentée comme le solde de son marché. Le juge relève que cette somme correspondait en réalité aux pénalités de retard de 48 971,52 euros et à la retenue de garantie de 24 485,76 euros appliquées par le maître d’ouvrage. L’ordonnance constate que selon acte d’engagement signé par la demanderesse le 28 février 2022, cette dernière a entendu se soumettre au Cahier des Clauses Administratives Particulières, lequel prévoit en son article 2 du Titre VI l’application de pénalités de retard. Elle observe également que l’entrepreneur indique que la livraison de l’ouvrage est intervenue le 6 juillet 2023 alors qu’elle s’était engagée selon courriel du 10 juin 2022 à finaliser la pose de l’ouvrage le 20 janvier 2023.
Cette motivation illustre la démarche du juge des référés qui se borne à constater l’existence d’un fondement contractuel aux retenues pratiquées sans trancher leur bien-fondé. La créance réclamée se heurtait ainsi à une contestation sérieuse tirée de l’application des stipulations contractuelles librement acceptées par l’entrepreneur. Le juge des référés ne saurait apprécier la validité des pénalités ni leur quantum sans empiéter sur les pouvoirs du juge du fond.
La demande indemnitaire pour rétention abusive subissait le même sort. Le juge relève qu’aucune rétention abusive de la part du maître d’ouvrage n’est démontrée compte tenu de l’existence de stipulations contractuelles justifiant les retenues pratiquées. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle le juge des référés ne peut allouer une provision que si la créance présente un degré suffisant de certitude.
B. L’impossibilité de prononcer la réception judiciaire en présence de contestations
L’entrepreneur sollicitait la réception judiciaire de l’ouvrage au 6 juillet 2023 ou subsidiairement au 14 juin 2024. Le juge des référés rappelle les dispositions de l’article 1792-6 du code civil selon lesquelles la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves et qu’elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement.
L’ordonnance formule une réserve significative en indiquant à supposer qu’il rentre dans les pouvoirs du Juge des Référés de prononcer judiciairement la réception d’un ouvrage. Cette formulation prudente traduit une incertitude doctrinale et jurisprudentielle sur la compétence du juge des référés en cette matière. La réception judiciaire suppose en effet une appréciation de l’état d’achèvement de l’ouvrage et de sa conformité aux stipulations contractuelles qui relève traditionnellement du juge du fond.
Le juge écarte la réception au 6 juillet 2023 en constatant qu’à cette date les travaux n’étaient pas terminés et qu’aucun accord amiable sur une quelconque réception n’était intervenue entre les parties. S’agissant de la date du 14 juin 2024, il relève qu’il existe un débat quant à la réception amiable des travaux puisque le procès-verbal fait apparaître des informations pour le moins contradictoires, à savoir notamment que la réception est refusée. Cette contradiction interne au document censé établir la réception constituait une contestation sérieuse insurmontable en référé.
Cette solution préserve les droits des parties en renvoyant au juge du fond la détermination de la date de réception dont dépendent le point de départ des garanties légales et la libération de la retenue de garantie.
II. La fonction préparatoire du juge des référés dans le contentieux de la construction
L’ordonnance d’expertise répond à un motif légitime de conservation de la preuve (A) tandis que le rejet des demandes reconventionnelles confirme les limites de l’office du juge des référés (B).
A. L’expertise judiciaire fondée sur un motif légitime
Le juge des référés accueille la demande subsidiaire d’expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile qui permet d’ordonner des mesures d’instruction s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
L’ordonnance relève que la demande d’expertise est fondée sur un motif légitime puisque le litige revêt des aspects techniques qui nécessitent le recours à une telle mesure et précise que la mesure d’instruction apparaît nécessaire, notamment pour connaître l’origine des désordres constatés. Le rapport de réserves produit aux débats suffisait à établir l’existence de désordres justifiant une investigation technique approfondie.
La mission confiée à l’expert est particulièrement étendue. Elle comprend la détermination de la date à laquelle l’ouvrage était réceptionnable, la description des désordres et la recherche de leurs causes, l’appréciation des responsabilités encourues et l’évaluation des préjudices. L’expert devra notamment fournir à la juridiction les éléments propres à caractériser une réception tacite ou à déterminer à quelle date l’ouvrage était réceptionnable selon les termes de l’ordonnance.
Cette formulation traduit la complémentarité entre l’expertise et le futur procès au fond. L’expert ne tranchera pas la question de la réception mais fournira au juge les éléments techniques nécessaires à cette appréciation. L’ordonnance précise expressément que la décision ne comporte pas de préjugement quant aux responsabilités et garanties encourues, préservant ainsi l’entière liberté d’appréciation du juge du fond.
B. Le rejet des demandes reconventionnelles révélateur des limites de l’office du juge des référés
Le maître d’ouvrage avait formulé des demandes reconventionnelles en paiement de provisions pour procédure abusive, préjudice moral et préjudices économiques. Le juge des référés les rejette en relevant qu’il n’existe pas de circonstance particulière susceptible de faire dégénérer en abus l’action de la requérante.
Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle le droit d’agir en justice ne dégénère en abus qu’en cas de légèreté blâmable ou d’intention de nuire. L’échec des demandes principales ne suffit pas à caractériser un tel abus dès lors que l’entrepreneur pouvait légitimement contester l’application des pénalités de retard et de la retenue de garantie.
S’agissant des préjudices économiques et moraux, le juge considère que la demande est prématurée et relève de la compétence du Juge du fond, l’expertise judiciaire ayant justement vocation à se prononcer sur ce point. Cette solution est cohérente avec l’économie générale de l’ordonnance qui renvoie au fond toutes les questions supposant une appréciation des responsabilités.
Le juge rejette également la demande de renvoi au fond sur le fondement de l’article 837 du code de procédure civile en constatant l’absence de caractérisation d’une situation d’urgence. Cette disposition permet au juge des référés de renvoyer l’affaire à une audience au fond si l’urgence le justifie. Son inapplication en l’espèce confirme que le litige ne présentait pas le caractère d’urgence requis pour cette procédure accélérée. L’ordonnance d’expertise permettra aux parties de préparer utilement le procès au fond dans des conditions sereines de débat contradictoire.