Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 16 juin 2025, n°25/01889

Le contrôle juridictionnel des hospitalisations psychiatriques sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. L’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux le 16 juin 2025 illustre la mise en œuvre de ce contrôle dans le cadre d’une admission à la demande d’un tiers selon la procédure d’urgence.

Un homme avait été admis en hospitalisation complète le 7 juin 2025 au centre hospitalier spécialisé Charles Perrens, après avoir été retrouvé par les forces de l’ordre courant nu sur la voie publique et tenant des propos délirants. Cette admission fut prononcée par le directeur de l’établissement en application de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique, sur la base d’un seul certificat médical eu égard à l’urgence de la situation. Le directeur maintint ensuite cette hospitalisation à l’issue de la période d’observation de trois jours prévue par l’article L. 3211-2-2 du même code.

Conformément à l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention avant l’expiration du délai de douze jours suivant l’admission. Le patient, présent à l’audience et assisté de son avocat commis d’office, indiqua que son hospitalisation se déroulait convenablement et que ses consommations étaient nulles. Il exprima néanmoins le souhait de rentrer chez lui. Son conseil souleva une exception tirée de l’irrégularité du certificat médical accompagnant la saisine, lequel était daté du 12 juin 2025 et non des vingt-quatre heures précédant l’audience du 16 juin.

La question posée au juge était double : d’une part, le non-respect allégué du délai de vingt-quatre heures pour l’établissement de l’avis médical de saisine constituait-il une irrégularité de nature à affecter la procédure ; d’autre part, les conditions légales du maintien de l’hospitalisation complète étaient-elles réunies en l’espèce.

Le juge des libertés et de la détention rejeta l’exception de nullité comme irrecevable, au motif qu’elle n’avait pas été soulevée in limine litis conformément à l’article 74 du code de procédure civile. Sur le fond, il autorisa le maintien de l’hospitalisation complète après avoir constaté la régularité de la procédure et relevé que l’état mental du patient nécessitait toujours des soins assortis d’une surveillance médicale constante.

Cette décision appelle une analyse portant tant sur le régime procédural des exceptions en matière d’hospitalisation psychiatrique (I) que sur l’appréciation des conditions de fond du maintien de la mesure (II).

I. La rigueur procédurale du contrôle juridictionnel

Le juge écarte l’exception soulevée par le conseil du patient en se fondant sur les règles classiques de la procédure civile (A), tout en relevant la conformité formelle de la procédure administrative aux exigences légales (B).

A. L’application stricte de l’article 74 du code de procédure civile

Le conseil du patient avait soulevé un moyen tiré de l’irrégularité de l’avis médical accompagnant la saisine. Ce certificat, daté du 12 juin 2025, avait été établi quatre jours avant l’audience du 16 juin, alors que la défense soutenait implicitement qu’un tel document devait être plus récent pour refléter fidèlement l’état actuel du patient.

Le juge répond à ce moyen de manière lapidaire : « Au terme de l’article 74 du Code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fins de non-recevoir. Les exceptions n’ont pas été soulevées in limine litis et sont irrecevables. »

Cette application de l’article 74 du code de procédure civile en matière d’hospitalisation psychiatrique mérite attention. La jurisprudence admet traditionnellement que les règles du code de procédure civile s’appliquent devant le juge des libertés et de la détention, sous réserve des dispositions spéciales du code de la santé publique. L’exigence de soulever les exceptions avant toute défense au fond répond à une logique de loyauté procédurale et d’économie des moyens.

La solution retenue peut néanmoins susciter une réserve. Le patient hospitalisé sous contrainte se trouve dans une situation de particulière vulnérabilité. L’assistance d’un avocat, fût-il commis d’office, ne suffit pas toujours à garantir une défense pleinement éclairée dans les délais très brefs impartis par la procédure. Une appréciation plus souple des règles procédurales aurait pu se justifier au regard de l’enjeu en cause, à savoir la privation de liberté d’une personne.

B. La régularité formelle de la procédure administrative

Le juge constate que « les certificats médicaux exigés par les textes figurent au dossier, ils ont été établis dans les délais requis et contiennent des indications propres à répondre aux prescriptions légales ». Cette motivation succincte satisfait aux exigences minimales de contrôle de la régularité formelle.

L’article L. 3212-3 du code de la santé publique, applicable en cas d’urgence, permet l’admission sur la base d’un seul certificat médical lorsqu’il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade. Les certificats ultérieurs doivent alors être établis par deux psychiatres distincts. Le juge vérifie la présence de ces documents sans en détailler le contenu, se bornant à constater leur conformité aux prescriptions légales.

Cette approche formaliste du contrôle de régularité s’inscrit dans une jurisprudence constante. Les juridictions se contentent généralement de vérifier l’existence matérielle des certificats et leur établissement dans les délais légaux, sans procéder à un examen approfondi de leur contenu médical. Cette retenue s’explique par le respect dû à l’expertise psychiatrique, mais elle peut parfois conduire à un contrôle superficiel de garanties pourtant essentielles.

II. L’appréciation des conditions de fond du maintien

Le juge examine successivement la persistance des troubles mentaux justifiant l’hospitalisation (A) avant de conclure à la nécessité du maintien de la mesure (B).

A. La caractérisation des troubles mentaux persistants

L’ordonnance reproduit les éléments de l’avis médical motivé du 12 juin 2025, lequel « relève que l’état mental de l’intéressé nécessite toujours des soins assortis d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, et ce au regard d’une légère instabilité psychomotrice, de la présence d’idées délirantes de culpabilité, de damnation, de mécanisme intuitif ainsi que des hallucinations acoustico-verbales malveillantes et dévalorisantes ».

Le juge se fonde ainsi sur l’expertise psychiatrique pour caractériser la persistance des troubles. Cette déférence envers l’avis médical est habituelle en la matière. Les troubles initiaux ayant justifié l’admission, à savoir la décompensation avec hallucinations, idées délirantes à thématique mystique et messianique, et désinhibition majeure, apparaissent partiellement persistants selon le certificat médical.

On relève toutefois un certain décalage entre les propos tenus par le patient à l’audience et l’évaluation médicale. L’intéressé indiquait que « son hospitalisation se passe bien et ses consommations sont à zéro ». Cette amélioration subjective n’est pas discutée par le juge, qui se réfère exclusivement à l’appréciation médicale. La question de l’articulation entre la parole du patient et l’expertise psychiatrique demeure un enjeu majeur du contrôle juridictionnel.

B. La justification du maintien de l’hospitalisation complète

Le juge justifie le maintien par deux motifs distincts. D’une part, « une sortie prématurée serait de nature à présenter des risques de rechute rapide ». D’autre part, « le maintien de l’hospitalisation complète s’avère encore nécessaire à ce jour en raison de l’impossibilité pour l’intéressé de consentir aux soins de façon pérenne alors qu’ils sont indispensables pour stabiliser son état ».

Cette motivation répond aux exigences de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique, qui subordonne l’hospitalisation à deux conditions cumulatives : l’impossibilité du consentement du fait des troubles mentaux et la nécessité de soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante.

Le juge souligne que « la prise en charge dans un cadre contenant et sécurisé s’impose encore, afin de garantir l’observance des soins, et le cas échéant la réadaptation du traitement, ce qui ne peut se faire qu’en milieu hospitalier ». Cette formulation révèle la tension inhérente à toute mesure de soins sous contrainte entre la protection de la personne et le respect de son autonomie.

La portée de cette décision s’inscrit dans la jurisprudence classique du juge des libertés et de la détention en matière psychiatrique. Elle confirme la prééminence accordée à l’expertise médicale dans l’appréciation de la nécessité du maintien, tout en rappelant l’application des règles procédurales de droit commun. Le contrôle juridictionnel, bien que systématique depuis la loi du 5 juillet 2011, demeure largement tributaire de l’évaluation psychiatrique et peine parfois à s’affirmer comme un véritable contre-pouvoir face à l’institution hospitalière.

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Hassan KOHEN
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