- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Le contrôle judiciaire des soins psychiatriques sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. L’ordonnance rendue le 16 juin 2025 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux illustre les tensions entre protection de la santé du patient et respect de son autonomie.
Une femme avait été admise en hospitalisation complète à la demande d’un tiers selon la procédure d’urgence le 11 janvier 2024. Par jugement du 22 janvier 2024, cette mesure avait été maintenue. Le 5 avril 2024, le directeur de l’établissement hospitalier avait substitué à l’hospitalisation complète un programme de soins ambulatoires. Le 12 juin 2025, à la suite de l’accouchement de l’intéressée et de l’hospitalisation de son nouveau-né en néonatalogie, le directeur a prononcé sa réintégration en hospitalisation complète. Le 13 juin 2025, l’établissement a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de maintien de cette mesure.
L’intéressée, assistée de son avocat, a soulevé plusieurs exceptions de procédure tenant à l’illisibilité de la demande d’admission initiale, à l’absence de justification de l’urgence et à l’incomplétude du dossier médical. Sur le fond, elle a sollicité la mainlevée de son hospitalisation, faisant valoir son adhésion aux soins depuis plus d’un an et l’absence de tout élément justifiant une surveillance constante.
La question posée au juge était double. D’une part, la procédure d’admission et de réintégration en hospitalisation complète était-elle régulière malgré les irrégularités alléguées ? D’autre part, les conditions légales du maintien de l’hospitalisation complète étaient-elles réunies alors que la patiente affirmait consentir aux soins ?
Le juge des libertés et de la détention a rejeté les exceptions de nullité et autorisé le maintien de l’hospitalisation complète. Il a estimé que les certificats médicaux exigés figuraient au dossier et que l’état mental de la patiente nécessitait encore des soins assortis d’une surveillance médicale constante.
Cette décision invite à examiner successivement le contrôle de la régularité procédurale des soins sans consentement (I) puis l’appréciation des conditions de fond du maintien en hospitalisation complète (II).
I. Le contrôle de la régularité procédurale des soins sans consentement
Le juge des libertés et de la détention a écarté les exceptions de nullité soulevées par la défense. Cette position révèle tant les exigences formelles du contentieux (A) que la portée limitée des irrégularités invoquées (B).
A. Les exigences formelles du contentieux des soins psychiatriques
Le code de la santé publique organise un contrôle judiciaire systématique des hospitalisations sans consentement. L’article L. 3211-12-1 impose au directeur de l’établissement de saisir le juge avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de la décision de réintégration en hospitalisation complète. Cette saisine doit être accompagnée d’un avis motivé d’un psychiatre se prononçant sur la nécessité de poursuivre la mesure.
Le conseil de l’intéressée a soulevé in limine litis plusieurs moyens tirés de l’irrégularité de la procédure. Il a invoqué le caractère illisible de la demande initiale d’admission, l’absence de justification de l’urgence et l’incomplétude du dossier médical. L’article 74 du code de procédure civile imposait effectivement de présenter ces exceptions simultanément et avant toute défense au fond.
Le juge a reçu ces exceptions, reconnaissant leur recevabilité formelle. Cette admission au stade de la recevabilité ne préjugeait toutefois pas de leur bien-fondé. Le magistrat a ainsi procédé à un examen méthodique de chacun des griefs articulés par la défense.
B. L’appréciation pragmatique des irrégularités alléguées
Le juge a écarté successivement chaque moyen de nullité. Concernant la demande d’admission initiale du 11 janvier 2024, il a relevé que « pour difficilement lisible que soit la demande d’admission du 11 janvier 2024, elle émane du mari ». Cette formulation reconnaît l’imperfection formelle tout en validant l’essentiel : l’identité du tiers demandeur et la réalité de sa démarche.
S’agissant de l’absence du certificat médical de mars 2024, le juge a observé qu’un programme de soins avait été mis en place le 5 avril 2024. Dès lors, l’obligation de produire des certificats mensuels propres à l’hospitalisation complète ne s’appliquait plus. Cette analyse révèle une lecture téléologique des exigences documentaires : seuls comptent les certificats correspondant à la forme de prise en charge effective.
Le juge a conclu que « les certificats médicaux exigés par les textes figurent au dossier, ils ont été établis dans les délais requis et contiennent des indications propres à répondre aux prescriptions légales ». Cette motivation standardisée traduit une approche fonctionnelle de la régularité procédurale, privilégiant la substance sur la forme.
II. L’appréciation des conditions de fond du maintien en hospitalisation complète
Le maintien de l’hospitalisation complète suppose la réunion de conditions légales strictes. Le juge a retenu l’existence de ces conditions (A) en s’appuyant sur une déférence marquée envers l’évaluation médicale (B).
A. L’examen des critères légaux de l’hospitalisation complète
L’article L. 3212-1 du code de la santé publique subordonne les soins psychiatriques sans consentement à deux conditions cumulatives. Les troubles mentaux doivent rendre impossible le consentement du patient. L’état mental doit imposer des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante.
L’intéressée contestait précisément la réunion de ces conditions. Elle faisait valoir son adhésion continue aux soins depuis plus d’un an, l’absence de rupture thérapeutique et le caractère injustifié d’une hospitalisation complète alors qu’elle passait ses journées auprès de son enfant hospitalisé. Son avocat soulignait que « tous les certificats médicaux vont dans ce sens » et qu’« il n’y a aucun élément d’inquiétude ».
Le juge a écarté cette argumentation en se fondant sur l’avis médical du 13 juin 2025. Ce document relevait que la patiente présentait des « inquiétudes concernant l’hospitalisation et la mesure de soins sans consentement en cours qu’elle ne comprend pas malgré les explications ». Il notait également qu’elle « peut se montrer ambivalente à la poursuite de l’hospitalisation » et « n’entend que partiellement que la situation de stress actuel et que les modifications récentes de traitement puissent majorer les risques de décompensation ».
B. La déférence judiciaire envers l’évaluation médicale
Le juge a adopté une position de retenue à l’égard de l’appréciation des soignants. Il a affirmé expressément qu’« il n’appartient pas au Juge de substituer son appréciation à celles des soignants quant à l’accord sur les soins de la patiente ». Cette formule traduit une conception restrictive du contrôle judiciaire, limité à la vérification des conditions légales sans réévaluation du diagnostic clinique.
Cette déférence se manifeste également dans la motivation relative au risque. Le juge a estimé qu’« une sortie prématurée serait de nature à présenter des risques de rechute rapide ». Il en a déduit que « la prise en charge dans un cadre contenant et sécurisé s’impose encore, afin de garantir l’observance des soins ».
Le maintien de l’hospitalisation est ainsi justifié par « l’impossibilité pour l’intéressée de consentir aux soins de façon pérenne alors qu’ils sont indispensables pour stabiliser son état ». Cette formulation révèle une conception exigeante du consentement : l’adhésion aux soins doit être non seulement actuelle mais aussi durable et éclairée. Le simple fait que la patiente ne comprenne pas pleinement la nécessité de sa prise en charge suffit à caractériser l’impossibilité de consentir au sens légal.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant au juge un pouvoir de contrôle réel mais encadré. Le magistrat vérifie la régularité formelle et l’existence d’éléments médicaux justifiant la mesure, sans pour autant se substituer aux praticiens dans l’évaluation clinique. L’équilibre ainsi défini entre protection des libertés et nécessité thérapeutique demeure toutefois fragile, comme en témoigne la situation paradoxale d’une patiente hospitalisée pour son repos mais autorisée à passer douze heures quotidiennes au chevet de son nouveau-né.