Tribunal judiciaire de Bordeaux -, le 17 juin 2025, n°23/03199

La présente décision du tribunal judiciaire de Bordeaux du 17 juin 2025 constitue un jugement de divorce rendu aux torts exclusifs de l’époux. Les époux s’étaient mariés le 14 février 2009 à Poissy sans contrat de mariage. De cette union sont issus trois enfants nés en 2010, 2012 et 2016.

L’épouse a saisi le juge aux affaires familiales d’une demande de divorce pour faute. Elle sollicitait également une prestation compensatoire, des dommages et intérêts, ainsi que la fixation de la résidence des enfants à son domicile. Le père demandait l’organisation d’un droit de visite et d’hébergement.

Le juge aux affaires familiales était ainsi confronté à plusieurs questions. Il devait déterminer si les faits reprochés à l’époux constituaient des violations graves ou renouvelées des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune. Il devait également apprécier l’existence d’une disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux. Enfin, il devait statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien des enfants.

Le tribunal prononce le divorce aux torts exclusifs de l’époux. Il fixe la résidence des enfants chez la mère et organise un droit de visite du père en espace de rencontre médiatisé. Une prestation compensatoire de 25 000 euros est mise à la charge de l’époux. La contribution paternelle à l’entretien des enfants est fixée à 260 euros par enfant.

Cette décision présente un intérêt particulier en ce qu’elle articule le prononcé du divorce pour faute avec l’organisation d’un droit de visite protégé dans un contexte de violences conjugales alléguées. Elle illustre également les mécanismes de l’intermédiation financière des pensions alimentaires. Il convient d’examiner le prononcé du divorce pour faute et ses conséquences patrimoniales (I), puis l’organisation protectrice de l’autorité parentale (II).

I. Le prononcé du divorce pour faute et ses conséquences patrimoniales

Le jugement prononce le divorce aux torts exclusifs de l’époux tout en tirant les conséquences financières de la rupture du lien matrimonial. L’analyse du fondement de la faute conjugale (A) précède celle de l’évaluation de la prestation compensatoire (B).

A. L’établissement de la faute exclusive de l’époux

Le tribunal judiciaire de Bordeaux prononce le divorce aux torts exclusifs de l’époux sur le fondement de l’article 242 du code civil. Cette disposition exige la démonstration de « faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage » rendant « intolérable le maintien de la vie commune ».

Les motifs de la décision étant occultés, le dispositif ne révèle pas la nature exacte des fautes retenues. Toutefois, plusieurs indices permettent d’en saisir la gravité. Le jugement mentionne expressément qu’une « plainte déposée ou une condamnation prononcée à l’encontre du parent débiteur pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l’enfant » figure au dossier.

Cette référence aux violences conjugales éclaire le prononcé du divorce pour faute exclusive. La jurisprudence considère traditionnellement que les violences physiques ou psychologiques entre époux constituent une violation caractérisée du devoir de respect mutuel prévu à l’article 212 du code civil. La cour de cassation rappelle régulièrement que de tels comportements rendent par eux-mêmes intolérable le maintien de la vie commune.

Le rejet des demandes de dommages et intérêts de l’épouse peut surprendre au regard de la gravité des faits suggérés. L’article 266 du code civil permet pourtant au juge d’accorder des dommages et intérêts à l’époux victime des fautes de son conjoint lorsque la dissolution du mariage lui cause des préjudices particuliers. Cette décision de rejet traduit sans doute l’appréciation souveraine du juge quant à l’absence de préjudice distinct de celui résultant de la rupture elle-même.

B. L’octroi d’une prestation compensatoire de 25 000 euros

Le tribunal fixe la prestation compensatoire à 25 000 euros en capital. L’article 270 du code civil prévoit que cette prestation est destinée à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux. L’article 271 du même code énumère les critères d’évaluation parmi lesquels figurent la durée du mariage, l’âge et l’état de santé des époux, leurs qualifications professionnelles et leurs situations respectives en matière de droits à la pension de retraite.

Le mariage aura duré seize années. Trois enfants sont issus de cette union. Ces éléments laissent présumer que l’épouse a pu consentir des sacrifices professionnels pour se consacrer à l’éducation des enfants. Le montant retenu de 25 000 euros apparaît modéré au regard de la durée de l’union et du nombre d’enfants.

Le juge ordonne l’exécution provisoire de la prestation compensatoire « à compter du jour où le prononcé du divorce aura acquis force de chose jugée dans la limite de 12.500 € ». Cette formulation appelle deux observations. D’une part, l’exécution provisoire est limitée à la moitié du montant total. D’autre part, son point de départ est subordonné au caractère définitif du divorce, ce qui constitue une protection pour le débiteur en cas d’appel.

L’article 1079-1 du code de procédure civile encadre cette exécution provisoire partielle qui permet de concilier les intérêts du créancier et du débiteur de la prestation. Cette mesure garantit à l’épouse une compensation immédiate tout en préservant les droits de l’époux en cas de contestation.

II. L’organisation protectrice de l’autorité parentale

Le jugement met en place un dispositif de protection particulier pour l’exercice du droit de visite paternel. L’encadrement du droit de visite en espace médiatisé (A) s’accompagne d’un mécanisme renforcé de paiement de la contribution alimentaire (B).

A. L’encadrement du droit de visite en espace de rencontre

Le tribunal fixe la résidence habituelle des trois enfants chez la mère. Cette décision s’inscrit dans la continuité de la situation antérieure au divorce. L’article 373-2-9 du code civil dispose que la résidence de l’enfant peut être fixée au domicile de l’un des parents.

Le droit de visite du père s’exerce dans des conditions strictement encadrées. Le juge ordonne que les rencontres entre le père et les deux plus jeunes enfants se déroulent pendant six mois « en milieu médiatisé » au point rencontre de l’AEM 33 à Bordeaux. Les deux premiers mois excluent toute possibilité de sortie. Par la suite, les rencontres pourront s’effectuer à l’extérieur.

Cette organisation progressive traduit la prudence du juge face à un contexte de violences alléguées. L’article 373-2-1 du code civil permet au juge aux affaires familiales d’organiser le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet. Ces lieux neutres permettent le maintien du lien parent-enfant tout en garantissant la sécurité de tous.

Le dispositif prévoit une clause de caducité automatique : « faute pour le parent non gardien, d’avoir exercé son droit de visite au cours de trois périodes consécutives, il sera présumé y avoir renoncé et la présente décision en ce qu’elle fixe ce droit deviendra caduque ». Cette stipulation vise à responsabiliser le père dans l’exercice de ses prérogatives parentales. Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de maintenir des mesures théoriques non exercées.

Le juge précise qu’il appartiendra au père de saisir à nouveau le tribunal à l’expiration de la mesure. Cette exigence témoigne d’une volonté de réévaluer la situation après une période d’observation. L’évolution du comportement paternel conditionnera ainsi l’élargissement éventuel de son droit de visite.

B. L’intermédiation financière renforcée de la pension alimentaire

La contribution paternelle à l’entretien des enfants est fixée à 260 euros par enfant, soit 780 euros mensuels au total. Ce montant devra être versé par l’intermédiaire de l’organisme débiteur des prestations familiales.

Le jugement fait application du dispositif d’intermédiation financière prévu aux articles 1074-3 et 1074-4 du code de procédure civile. Ce mécanisme permet à la caisse d’allocations familiales de collecter la pension auprès du débiteur et de la reverser au créancier. Il sécurise le paiement et évite tout contact direct entre les parents.

Le tribunal constate l’existence d’une plainte ou condamnation pour violences et en tire la conséquence prévue par l’article 373-2-2 du code civil. Ce texte impose l’intermédiation financière lorsque des faits de violences sont établis. Le juge rappelle expressément qu’il « ne pourra être mis fin à l’intermédiation financière » dans cette hypothèse.

Cette disposition, issue de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, interdit au débiteur de demander la levée de l’intermédiation. Le législateur a ainsi entendu pérenniser la protection de la victime au-delà du prononcé du divorce. Le parent créancier est définitivement préservé de toute interaction financière directe avec son ancien conjoint violent.

Le partage par moitié des frais exceptionnels complète ce dispositif. Les dépenses relatives aux activités périscolaires, voyages scolaires et frais de santé restant à charge seront assumées à parts égales. Cette répartition égalitaire contraste avec la disproportion des revenus suggérée par l’octroi de la prestation compensatoire. Elle traduit néanmoins la volonté du juge de maintenir l’implication financière du père dans l’éducation de ses enfants.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture