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Le tribunal judiciaire de Bordeaux, par un jugement du 17 juin 2025, a statué sur une demande en divorce et sur l’allocation d’une prestation compensatoire sollicitée par l’épouse. Cette décision illustre le raisonnement du juge aux affaires familiales dans l’appréciation de la disparité créée par la rupture du mariage.
Deux époux de nationalité ivoirienne s’étaient mariés le 9 août 2014 sans contrat de mariage. Par jugement du 23 septembre 2017, ils ont adopté le régime de la séparation de biens. Un enfant est né de cette union le 8 mars 2016. La vie commune a pris fin le 1er juin 2023, soit après huit années et dix mois de mariage. L’épouse a assigné son conjoint en divorce le 11 août 2023. Une ordonnance sur mesures provisoires a été rendue le 18 décembre 2023, fixant notamment une pension alimentaire au titre du devoir de secours de 230 euros mensuels et une contribution à l’entretien de l’enfant de 350 euros mensuels.
L’épouse, agent de service hospitalier percevant un salaire de 1500 euros par mois, a sollicité une prestation compensatoire en capital de 30 000 euros. À titre subsidiaire, elle demandait un versement échelonné de 312,50 euros mensuels. L’époux, technicien réseau percevant un salaire de 2900 euros par mois ainsi que des revenus locatifs, s’est opposé à cette demande qu’il estimait irrecevable et en tout état de cause infondée.
Le tribunal judiciaire de Bordeaux devait déterminer si la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux justifiant l’allocation d’une prestation compensatoire et, le cas échéant, en fixer le montant.
Le tribunal a prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal et condamné l’époux à verser une prestation compensatoire de 10 000 euros en capital, soit un montant significativement inférieur à la demande initiale de l’épouse.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’analyse des critères d’appréciation de la disparité (I) que des modalités de fixation du quantum de la prestation compensatoire (II).
I. L’analyse des critères légaux d’appréciation de la disparité
Le tribunal a procédé à un examen des éléments patrimoniaux et professionnels des époux (A) avant de se prononcer sur l’existence d’un sacrifice de carrière imputable à l’épouse (B).
A. L’examen des situations économiques respectives des époux
Le juge aux affaires familiales a minutieusement comparé les ressources de chaque époux. L’épouse perçoit un salaire mensuel d’environ 1500 euros en qualité d’agent de service hospitalier, complété par les pensions alimentaires et diverses prestations sociales. L’époux dispose d’un revenu salarial de 2900 euros par mois auquel s’ajoutent des revenus locatifs bruts de 1143 euros.
Le tribunal a relevé que « ce revenu apparaît cependant excessivement minoré si l’on tient compte des revenus salariaux et des revenus locatifs, charges déduites ». Cette appréciation traduit la faculté reconnue au juge de reconstituer la réalité économique au-delà des déclarations des parties. Le tribunal a également noté l’existence alléguée de revenus tirés d’une société de couture en Côte d’Ivoire, élément qualifié de « non spécifiquement vérifiable ».
Par ailleurs, le juge a constaté que l’époux possédait avant le mariage des biens immobiliers, une maison et une parcelle de terre, tandis que l’épouse était alors étudiante. Cette situation patrimoniale préexistante au mariage ne peut toutefois fonder à elle seule une disparité imputable à la rupture.
B. Le rejet de l’argument du sacrifice professionnel
Le tribunal a écarté l’argument selon lequel l’épouse aurait sacrifié sa carrière au profit de celle de son conjoint. La motivation est particulièrement nette : « Madame ne démontre pas avoir sacrifier une quelconque carrière pour s’occuper au quotidien de l’enfant, favorisant par là même la propre carrière de son époux. »
Cette exigence probatoire est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’époux qui sollicite une prestation compensatoire doit établir non seulement l’existence d’une disparité mais également son lien avec les choix de vie opérés pendant le mariage. Le tribunal a souligné que l’épouse, âgée de 33 ans, « est très jeune et a encore tout loisir de faire évoluer sa carrière professionnelle » et qu’elle bénéficie d’un emploi stable depuis quatre ans.
Quant au changement de régime matrimonial, le tribunal a estimé qu’« il n’est absolument pas démontré que monsieur ait voulu désavantager madame par adoption de ce statut ». Les acquisitions immobilières réalisées pendant le mariage sous le régime de la séparation de biens ne peuvent dès lors fonder un droit à compensation.
II. La détermination mesurée du montant de la prestation compensatoire
Malgré le rejet des principaux arguments de l’épouse, le tribunal a reconnu l’existence d’une disparité justifiant une prestation (A) dont il a fixé le montant avec modération (B).
A. La reconnaissance d’une disparité relative
Le tribunal a conclu à « l’existence d’une relative disparité au détriment de l’épouse créée par la rupture du mariage ». L’emploi de l’adjectif « relative » traduit une appréciation nuancée. La disparité existe mais demeure limitée au regard des circonstances de l’espèce.
Cette qualification s’explique par plusieurs facteurs. La durée du mariage, huit années et dix mois, reste modérée. Les deux époux sont jeunes et en bonne santé. L’épouse dispose d’un emploi stable et de perspectives d’évolution professionnelle. L’écart de revenus entre les époux, bien que réel, n’atteint pas un degré particulièrement marqué.
Le tribunal a pris soin de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’époux. La dissimulation alléguée de ressources « est appréciée par le juge du fond et ne permet pas de déclarer une demande de prestation compensatoire par là même de facto irrecevable ». Cette précision rappelle que le caractère éventuellement incomplet des déclarations d’un époux ne saurait priver l’autre du droit de solliciter une prestation compensatoire.
B. La fixation d’un capital fortement réduit
Le tribunal a alloué une prestation compensatoire de 10 000 euros en capital, soit le tiers de la somme initialement sollicitée. Cette réduction significative procède de l’analyse des critères légaux.
Le choix du versement en capital correspond à l’orientation législative issue de la loi du 30 juin 2000 et de la loi du 26 mai 2004. Le législateur a entendu favoriser le règlement immédiat de la prestation pour permettre un apurement définitif des relations patrimoniales entre époux. Le tribunal n’a pas retenu la demande subsidiaire de versements échelonnés, ce qui suppose qu’il a considéré que l’époux était en mesure de s’acquitter immédiatement de cette somme.
Le montant retenu tient compte de la durée limitée du mariage, de l’âge des époux et de leurs capacités respectives. La prestation compensatoire n’a pas vocation à assurer une égalité parfaite des conditions de vie mais seulement à compenser, autant que possible, la disparité créée par la rupture. Cette décision illustre la recherche par le juge d’un équilibre entre la protection du créancier et la capacité contributive du débiteur.