Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 19 juin 2025, n°25/00021

Le droit du crédit à la consommation impose au prêteur une série d’obligations précontractuelles dont le manquement expose à la déchéance du droit aux intérêts. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux, par un jugement rendu le 19 juin 2025, illustre avec rigueur l’application de cette sanction.

Un particulier a souscrit le 18 mai 2022 un prêt personnel d’un montant de 2 999 euros auprès d’un établissement de crédit, remboursable en trente-six mensualités au taux nominal de 6,48 pour cent. Des échéances sont demeurées impayées à compter du 4 novembre 2022. L’établissement prêteur a prononcé la déchéance du terme après une mise en demeure restée infructueuse, puis a assigné l’emprunteur en paiement le 24 octobre 2024.

En première instance, le prêteur réclamait le paiement de 3 010,42 euros avec intérêts au taux contractuel. L’emprunteur, régulièrement cité, n’a pas comparu. Le prêteur soutenait avoir satisfait à l’ensemble de ses obligations précontractuelles et contractuelles.

La question posée au juge était celle de savoir si une clause pré-imprimée par laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées suffit à établir la remise effective de ce document, ou si le prêteur doit corroborer cette reconnaissance par des éléments complémentaires.

Le tribunal a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels, condamnant l’emprunteur au remboursement du seul capital, soit 2 614,34 euros, avec intérêts au taux légal non majoré. La clause pénale de huit pour cent a été réduite à dix euros.

Cette décision invite à examiner d’une part l’exigence probatoire pesant sur le prêteur quant au respect de ses obligations d’information (I), d’autre part les conséquences attachées au manquement à ces obligations (II).

I. L’insuffisance de la clause-type comme preuve de l’information précontractuelle

A. La valeur probatoire limitée de la reconnaissance contractuelle

Le prêteur produisait une fiche explicative complémentaire comportant une mention selon laquelle l’emprunteur déclarait avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées. Le tribunal refuse d’accorder à cette seule stipulation une force probatoire suffisante.

Le jugement énonce que « cette mention dans l’offre de prêt, qui est une clause-type pré-imprimée aux termes de laquelle l’emprunteur reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs, ne permet pas à elle seule d’établir la remise effective de cette fiche ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui distingue la reconnaissance contractuelle de la preuve matérielle.

La distinction opérée par le tribunal repose sur une analyse de la nature juridique de la clause. Une stipulation pré-rédigée par le professionnel ne saurait constituer un aveu au sens des articles 1383 et suivants du code civil. Elle n’émane pas véritablement de l’emprunteur qui se borne à signer un document dont le contenu a été entièrement déterminé par son cocontractant.

B. L’exigence d’éléments corroboratifs

Le tribunal admet que la clause-type puisse constituer un indice. Il précise toutefois qu’« il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » cette reconnaissance. En l’espèce, aucun élément ne permettait d’établir la remise effective, la fiche jointe à l’assignation n’étant « ni signée ni paraphée par l’emprunteur ».

Cette exigence probatoire témoigne d’une conception stricte de la protection du consommateur. Le prêteur professionnel dispose des moyens techniques pour organiser la traçabilité de la remise des documents. La signature électronique horodatée de chaque document, la mise en place de systèmes de validation successifs ou la production d’un accusé de réception distinct constituent autant de solutions à sa disposition.

Le refus d’admettre une preuve par présomption simple au bénéfice du prêteur répond à un impératif d’effectivité du droit de la consommation. Accepter que le professionnel puisse se préconstituer une preuve par la seule rédaction d’une clause viderait de sa substance l’obligation d’information.

II. La sanction proportionnée du manquement à l’obligation d’information

A. La déchéance totale du droit aux intérêts contractuels

Le tribunal prononce la déchéance du droit aux intérêts « depuis la conclusion du contrat ». L’article L. 341-1 du code de la consommation prévoit cette sanction lorsque le prêteur n’a pas communiqué les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l’article L. 312-12.

Cette déchéance totale réduit considérablement la créance du prêteur. Le calcul opéré par le tribunal aboutit à un solde de 2 614,34 euros contre les 3 010,42 euros initialement réclamés. La différence correspond aux intérêts contractuels indûment perçus et aux intérêts restant à courir selon le tableau d’amortissement initial.

La sévérité de la sanction se justifie par la fonction préventive qu’elle remplit. La fiche d’informations précontractuelles permet à l’emprunteur de comparer les offres et d’appréhender l’étendue de son engagement avant de s’obliger. Son défaut de remise prive le consommateur de la possibilité d’exercer un choix éclairé.

B. L’exclusion de la majoration du taux légal et la réduction de la clause pénale

Le tribunal écarte l’application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier qui prévoit une majoration de cinq points du taux légal à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le caractère exécutoire de la décision. Cette exclusion vise à « assurer l’effectivité de la sanction ».

Le jugement énonce que « les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction de la déchéance des intérêts » ne doivent pas être « significativement inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier s’il avait respecté ses obligations ». Autoriser la majoration conduirait à reconstituer partiellement le gain manqué par le prêteur fautif.

La réduction de l’indemnité conventionnelle de huit pour cent à dix euros procède de la même logique. Le tribunal estime qu’« accorder à la SA YOUNITED CREDIT le bénéfice d’une clause pénale de 8 % conduirait, compte tenu du préjudice réellement subi par la société de crédit qui a manqué à ses obligations, à une rémunération excessive du prêteur ». Le pouvoir modérateur du juge prévu à l’article 1231-5 du code civil trouve ici une application remarquable, la réduction étant quasiment totale.

Cette décision confirme l’orientation jurisprudentielle tendant à priver le prêteur défaillant de tout avantage économique tiré du contrat. La cohérence du système de sanctions du droit de la consommation commande que le manquement aux obligations précontractuelles ne demeure pas sans conséquence patrimoniale significative pour le professionnel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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