Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 19 juin 2025, n°25/00611

Le mécanisme de la subrogation personnelle constitue un instrument juridique essentiel permettant à celui qui a payé la dette d’autrui de se retourner contre le débiteur principal. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux, dans un jugement rendu le 19 juin 2025, illustre ce mécanisme dans le contentieux locatif.

Une société civile immobilière avait consenti un bail d’habitation meublé portant sur un appartement situé à Bordeaux, moyennant un loyer mensuel de 430 euros. Par contrat de cautionnement du 29 avril 2023, une société spécialisée dans le logement s’était portée caution des sommes susceptibles d’être dues au titre des impayés locatifs. Le locataire ayant cessé de régler ses loyers à compter de décembre 2023, la bailleresse a sollicité la caution qui a procédé au règlement des sommes dues, soit 3.010 euros correspondant aux loyers impayés de décembre 2023 à juin 2024. Deux quittances subrogatives ont été établies les 22 mars et 21 juin 2024.

La caution solvens a fait délivrer un commandement de payer le 22 avril 2024, demeuré infructueux. Elle a ensuite assigné le locataire défaillant devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir le remboursement des sommes versées. Le défendeur, n’ayant pu être localisé, n’a ni comparu ni été représenté, un procès-verbal de recherches infructueuses ayant été dressé.

La question posée au juge était de déterminer si la caution ayant désintéressé le créancier bailleur pouvait, en vertu de la subrogation, obtenir condamnation du débiteur principal au remboursement des sommes acquittées.

Le tribunal condamne le locataire à payer la somme de 3.010 euros avec intérêts au taux légal, retenant que la subrogation opérée par les quittances subrogatives fonde le droit d’action de la caution. La société demanderesse obtient en outre 800 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les dépens incluant le coût du commandement de payer.

Cette décision permet d’examiner le fondement du recours subrogatoire de la caution (I) avant d’en analyser les modalités de mise en oeuvre (II).

I. Le fondement juridique du recours de la caution subrogée

Le tribunal retient la subrogation comme fondement de l’action en remboursement (A), écartant implicitement le recours personnel de la caution (B).

A. La consécration de la subrogation conventionnelle ex parte creditoris

Le juge fonde sa décision sur les articles 1346 et 1346-1 du code civil relatifs à la subrogation. Il rappelle que « la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce-personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur ». Le tribunal énonce ensuite un principe cardinal : « le paiement avec subrogation s’il a pour effet d’éteindre la créance à l’égard du créancier, la laisse subsister au profit du subrogé, qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier ».

L’exigence de concomitance entre le paiement et la subrogation, posée par l’article 1346-1 alinéa 2, se trouve satisfaite par l’établissement des quittances subrogatives aux dates des règlements. Le tribunal relève que la bailleresse a « subrogé la SAS […] dans ses droits et actions contre le preneur défaillant » par ces deux quittances. La forme expresse de la subrogation, également requise par le texte, résulte de la dénomination même des documents produits.

Le choix de la subrogation conventionnelle plutôt que légale n’est pas neutre. La caution aurait pu invoquer l’article 1346 qui prévoit une subrogation de plein droit au profit de celui qui paie une dette pesant définitivement sur autrui. L’établissement de quittances subrogatives par le créancier sécurise cependant la preuve des droits transmis.

B. L’absence de recours au fondement personnel de l’article 2305

L’assignation visait expressément l’article 2305 du code civil, siège du recours personnel de la caution. Ce texte permet à la caution qui a payé d’agir contre le débiteur principal pour obtenir remboursement du principal, des intérêts et des frais exposés. Le tribunal n’examine toutefois pas ce fondement, se contentant de statuer sur le terrain subrogatoire.

Cette orientation s’explique par la nature des demandes formulées. La société requérante sollicitait le remboursement des loyers payés au créancier, non des frais personnellement exposés pour exécuter son engagement. Le recours subrogatoire présente l’avantage de permettre à la caution de bénéficier des garanties et sûretés attachées à la créance originaire. Le recours personnel permet en revanche d’obtenir remboursement de dépenses non incluses dans la créance initiale.

La dualité des recours offerts à la caution solvens n’est pas exclusive. La jurisprudence admet le cumul ou l’option entre ces deux voies. Le choix du seul fondement subrogatoire traduit ici une stratégie contentieuse privilégiant la simplicité probatoire.

La consécration du mécanisme subrogatoire appelle l’examen de sa mise en oeuvre procédurale.

II. Les modalités procédurales de l’action subrogatoire

Le jugement illustre les règles applicables à l’instance engagée par le subrogé (A) et précise le régime des condamnations prononcées (B).

A. La conduite de l’instance en l’absence du défendeur

Le locataire n’a pu être touché par l’assignation, un procès-verbal de recherches infructueuses ayant été dressé conformément à l’article 659 du code de procédure civile. Le tribunal statue néanmoins, rappelant l’article 472 selon lequel « si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ».

Cette disposition impose au juge un contrôle de la demande malgré la défaillance du défendeur. Le tribunal relève expressément que le locataire « ne comparaît pas et aucun élément produit n’est de nature à remettre en cause le principe ni le montant de la dette ». L’examen des pièces versées aux débats conduit à retenir l’existence et le quantum de la créance.

Le jugement est qualifié de décision rendue par défaut au sens de l’article 473 du code de procédure civile. Cette qualification emporte des conséquences sur les voies de recours : le jugement par défaut est susceptible d’opposition dans le délai d’un mois à compter de sa signification. La décision étant rendue en dernier ressort, l’appel demeure fermé.

La défaillance du débiteur principal illustre une difficulté récurrente du contentieux locatif. Le départ du locataire sans laisser d’adresse compromet tant le recouvrement effectif que la contradiction. Le subrogé se trouve alors contraint d’engager des frais de procédure dont le remboursement demeure hypothétique.

B. Le régime des condamnations pécuniaires prononcées

Le tribunal condamne le défendeur au paiement de la somme principale de 3.010 euros. Les intérêts moratoires courent selon un régime différencié : au taux légal à compter du commandement de payer du 22 avril 2024 pour 1.720 euros, et à compter de l’assignation du 20 janvier 2025 pour le surplus. Cette distinction correspond aux sommes exigibles à chaque date.

Le point de départ des intérêts traduit l’application de l’article 1231-7 du code civil. Le commandement de payer vaut mise en demeure pour les sommes alors dues. L’assignation produit le même effet pour les échéances postérieures. Le subrogé bénéficie ainsi des intérêts que le créancier originaire aurait pu réclamer.

La condamnation aux frais irrépétibles pour 800 euros et aux dépens incluant le commandement de payer complète le dispositif. Le tribunal juge équitable l’allocation de cette indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La charge des dépens suit le principe de l’article 696 attribuant les frais à la partie perdante.

Le rappel du caractère exécutoire de droit de la décision clôt le dispositif. L’article 514 du code de procédure civile pose ce principe pour les décisions de première instance. L’exécution provisoire permet au subrogé d’entreprendre immédiatement des mesures de recouvrement forcé, sous réserve de l’efficacité de celles-ci à l’encontre d’un débiteur introuvable.

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Hassan KOHEN
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