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Le contentieux locatif relatif aux compléments de loyer dans les zones tendues donne régulièrement lieu à des litiges portant sur les conditions d’application des dispositifs d’encadrement des loyers. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Bordeaux le 19 juin 2025 illustre les difficultés probatoires auxquelles peuvent se heurter les locataires qui entendent obtenir le remboursement de sommes indûment perçues par leur bailleur.
En l’espèce, un bail d’habitation meublée avait été conclu le 19 juillet 2023 pour un logement situé à Bordeaux, moyennant un loyer mensuel de 540 euros outre 40 euros de provisions sur charges. Le locataire avait saisi la commission départementale de conciliation le 16 novembre 2023, ce qui avait abouti à un accord du 28 février 2024 prévoyant un loyer de 320 euros, un complément de loyer de 110 euros et des charges de 40 euros, avec effet au 1er mars 2024. Le locataire a ensuite assigné la bailleresse en remboursement d’un trop-perçu de 1 768 euros correspondant au complément de loyer qu’il estimait inapplicable compte tenu de la configuration des lieux.
Le juge des contentieux de la protection devait déterminer si le locataire pouvait obtenir le remboursement du complément de loyer prétendument indu au regard des dispositions de l’article 140 de la loi du 23 novembre 2018 prohibant l’application d’un tel complément lorsque le logement présente certaines caractéristiques, notamment des sanitaires sur le palier.
Le tribunal a débouté le locataire de l’ensemble de ses demandes au motif qu’il ne produisait « aucune pièce permettant d’établir qu’il a payé, postérieurement au 1er mars 2024, ses loyers outre le complément de loyer justifiant le trop-perçu qu’il allègue ».
Cette décision appelle un examen portant sur le régime juridique du complément de loyer dans le cadre de l’encadrement des loyers (I), puis sur les exigences probatoires pesant sur le locataire demandeur en répétition (II).
I. L’interdiction du complément de loyer en présence de défauts d’habitabilité
Le juge reconnaît l’applicabilité de l’interdiction légale au logement litigieux (A), mais limite les effets de l’accord de conciliation dans le temps (B).
A. La reconnaissance de l’inapplicabilité du complément de loyer
L’article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique énumère limitativement les caractéristiques du logement qui font obstacle à l’application d’un complément de loyer. Parmi ces caractéristiques figure la présence de « sanitaires sur le palier ».
Le tribunal constate en l’espèce qu’« il n’est pas contesté que les locaux ne disposaient pas de sanitaires lui étant propres, lesquels étaient situés dans les parties communes de l’immeuble ». Cette configuration correspondait exactement à l’un des cas d’exclusion prévus par le texte. Le juge en déduit logiquement qu’« aucun complément de loyer ne peut être appliqué et réclamé » au locataire.
Cette interprétation s’inscrit dans la finalité protectrice du dispositif d’encadrement des loyers. Le législateur a entendu éviter que les bailleurs ne contournent le plafonnement des loyers de référence en facturant des compléments injustifiés pour des logements présentant des défauts objectifs d’habitabilité ou de confort. La présence de sanitaires partagés sur le palier constitue un inconvénient suffisamment significatif pour exclure toute majoration du loyer au-delà du loyer de référence majoré.
B. La délimitation temporelle des effets de l’accord de conciliation
La décision opère une distinction entre deux périodes distinctes. Pour la période antérieure au 1er mars 2024, le juge relève que « les parties se sont accordées pour qu’aucune somme ne soit remboursée au titre des loyers payés antérieurement à cette date ». L’accord de conciliation avait ainsi pour effet de purger rétroactivement tout litige relatif aux loyers versés depuis l’origine du bail.
Pour la période postérieure, le tribunal admet que le complément de loyer de 110 euros était juridiquement inapplicable. Toutefois, cette reconnaissance de principe ne suffit pas à fonder la condamnation de la bailleresse.
Le juge fait ici application du principe selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. L’accord intervenu devant la commission de conciliation, bien qu’il prévoyait un complément de loyer contraire aux dispositions légales, produisait ses effets quant à la renonciation du locataire à toute réclamation pour le passé. Cette solution peut surprendre dans la mesure où elle confère une certaine efficacité à une stipulation contraire à l’ordre public de protection. Elle s’explique néanmoins par le caractère transactionnel de l’accord qui supposait des concessions réciproques.
II. L’échec de la demande en répétition faute de preuve du paiement
Le locataire se heurte à l’exigence de démonstration du paiement effectif (A), ce qui conduit à son débouté intégral assorti de sa condamnation aux dépens (B).
A. L’insuffisance des pièces produites au soutien de la demande
Le tribunal relève que le demandeur « ne communique aucune pièce permettant d’établir qu’il a payé, postérieurement au 1er mars 2024, ses loyers outre le complément de loyer justifiant le trop-perçu qu’il allègue ». Les seuls documents versés aux débats consistaient en l’accord de conciliation, le contrat de bail et un projet d’avenant non signé.
Cette motivation rappelle que l’action en répétition de l’indu suppose la démonstration cumulative de deux éléments : le caractère indu du paiement et la réalité de ce paiement. En l’espèce, si le premier élément pouvait être considéré comme établi s’agissant du complément de loyer postérieur au 1er mars 2024, le second faisait totalement défaut.
Le locataire aurait dû produire ses relevés bancaires, quittances de loyer ou tout autre document attestant du versement effectif des sommes dont il réclamait le remboursement. Cette carence probatoire s’avère d’autant plus préjudiciable que l’article 1353 du code civil fait peser la charge de la preuve sur le demandeur. Le juge ne pouvait suppléer cette défaillance en présumant la réalité des paiements allégués.
B. Les conséquences processuelles du débouté
Le tribunal prononce un débouté intégral du locataire et le condamne aux dépens en sa qualité de « partie perdante ». Cette issue peut paraître sévère au regard de la violation avérée des dispositions légales par la bailleresse. Elle résulte toutefois de l’application rigoureuse des règles de preuve.
La décision présente également un intérêt procédural en ce qu’elle est rendue par défaut, la bailleresse n’ayant ni comparu ni été représentée bien que citée en l’étude. Le juge a néanmoins procédé à un examen au fond conformément à l’article 472 du code de procédure civile qui lui impose de ne faire droit à la demande que « dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». L’absence du défendeur ne dispense pas le demandeur d’établir le bien-fondé de ses prétentions.
Cette décision illustre l’importance pour les justiciables de constituer un dossier probatoire complet avant d’engager une action en justice. La connaissance des règles de fond ne suffit pas lorsque les éléments factuels permettant leur application ne sont pas démontrés. Le locataire conserve théoriquement la possibilité d’agir à nouveau s’il parvient à réunir les preuves de ses paiements, sous réserve des règles de prescription.