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Le paiement régulier du loyer constitue la contrepartie essentielle de la jouissance paisible du bien loué. Lorsque cette obligation fondamentale fait défaut de manière persistante, le bailleur dispose de la faculté de solliciter la résiliation judiciaire du bail, distincte du mécanisme de la clause résolutoire. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux le 19 juin 2025 illustre cette problématique classique du contentieux locatif.
En l’espèce, un bailleur social avait consenti un bail d’habitation à compter du 9 mars 2020, moyennant un loyer mensuel de 266,86 euros outre une provision sur charges de 70,04 euros. Face aux impayés récurrents des locataires, le bailleur leur avait fait délivrer quatre commandements de payer entre le 31 janvier 2022 et le 27 octobre 2022. Une première procédure de référé avait été engagée en août 2023, mais l’ordonnance du 26 janvier 2024 avait constaté l’apurement de la dette en cours d’instance. Un nouveau commandement de payer la somme de 1.822,38 euros fut signifié le 10 octobre 2024. Par acte du 31 décembre 2024, le bailleur assigna les locataires devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire du bail pour manquements répétés à l’obligation de payer le loyer, leur expulsion et leur condamnation solidaire au paiement de l’arriéré locatif.
Les défendeurs, cités en l’étude, ne comparurent pas et ne répondirent pas à l’invitation du service chargé d’établir le diagnostic social et financier. Le décompte locatif actualisé à l’audience faisait apparaître une dette de 3.799,38 euros au 31 mars 2025, alors qu’aucun règlement n’était intervenu depuis le 20 juillet 2024.
La question posée au juge était de déterminer si les manquements répétés des locataires à leur obligation de payer le loyer justifiaient le prononcé de la résiliation judiciaire du bail, en dehors de tout constat d’acquisition d’une clause résolutoire.
Le tribunal prononce la résiliation du bail à effet du 31 décembre 2024 pour manquement à l’obligation d’acquitter les loyers. Il ordonne l’expulsion des locataires dans le respect du délai légal de deux mois et les condamne solidairement au paiement de la somme de 3.441,92 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation impayés. Le juge déboute toutefois le bailleur de sa demande portant sur les loyers échus entre le 30 novembre et le 31 décembre 2024, faute de notification régulière de l’actualisation de créance aux défendeurs non comparants.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions du prononcé de la résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation de payer le loyer (I) que des exigences procédurales encadrant la condamnation du défendeur défaillant (II).
I. La résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation essentielle de payer le loyer
Le juge caractérise le manquement grave et répété des locataires à leur obligation de paiement (A) avant d’en tirer les conséquences sur le plan de la résiliation et de l’expulsion (B).
A. La caractérisation du manquement grave et répété
Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1728 et 1741 du code civil ainsi que sur l’article 7 a) de la loi du 6 juillet 1989. Ces textes établissent le paiement du loyer comme une obligation principale du preneur dont le manquement peut justifier la résiliation du bail. Le juge relève que « les époux paient irrégulièrement leurs loyers et charges mensuels, le décompte locatif étant régulièrement débiteurs depuis le mois de juin 2021 ».
La gravité du manquement résulte de plusieurs éléments factuels. Les locataires avaient déjà fait l’objet de quatre commandements de payer depuis janvier 2022. S’ils avaient apuré leur dette lors de la première procédure, celle-ci s’était « très vite reconstituée » dès mars 2024. Le tribunal constate qu’aucun loyer ni provision sur charges n’a été réglé depuis le 20 juillet 2024. L’arriéré atteint 3.799,38 euros pour un loyer mensuel de 366,83 euros, soit plus de dix mois d’impayés.
Le caractère répété du manquement distingue cette hypothèse d’un simple retard ponctuel. La reconstitution rapide de la dette après l’ordonnance de référé démontre l’incapacité ou le refus des locataires de respecter durablement leur obligation. Le juge en déduit que « le manquement aux obligations principales des locataires est ainsi suffisamment caractérisé ».
B. Le prononcé de la résiliation et ses effets
Le tribunal prononce la résiliation judiciaire du bail à compter du 31 décembre 2024, date de l’assignation. Ce choix s’appuie sur l’article 1229 du code civil qui prévoit que la résolution prend effet « à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice ». La résiliation judiciaire se distingue ainsi du constat d’acquisition de la clause résolutoire, qui prend effet deux mois après le commandement de payer demeuré infructueux.
L’expulsion est ordonnée dans le respect des articles L.411-1 et L.412-1 du code des procédures civiles d’exécution. Le juge précise qu’aucun élément ne justifie la réduction du délai de deux mois légalement prévu. L’absence des locataires à l’audience et leur défaut de réponse au diagnostic social et financier ne permettent pas d’apprécier leur situation ni d’envisager l’octroi de délais de paiement.
L’indemnité d’occupation est fixée au montant du loyer révisable augmenté des charges. Cette solution classique assure au bailleur une compensation équivalente à ce qu’il aurait perçu en l’absence de résiliation. La clause de solidarité contractuelle est opposée aux époux qui seront tenus solidairement de cette indemnité jusqu’à libération effective des lieux.
II. L’encadrement procédural de la condamnation du défendeur défaillant
Le jugement illustre l’articulation entre le pouvoir du juge de statuer malgré l’absence du défendeur (A) et les garanties procédurales qui limitent ce pouvoir (B).
A. Le pouvoir de statuer sur le fond malgré la défaillance
L’article 472 du code de procédure civile autorise le juge à statuer sur le fond lorsque le défendeur ne comparaît pas, mais uniquement « dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Cette disposition impose au juge un contrôle effectif des prétentions du demandeur, qui ne saurait obtenir gain de cause par le seul effet de l’absence de son adversaire.
Le tribunal vérifie le respect des conditions de recevabilité propres au contentieux locatif. L’assignation a été notifiée au représentant de l’État au moins six semaines avant l’audience conformément à l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives a été saisie deux mois avant la délivrance de l’assignation. Ces formalités substantielles visent à permettre l’intervention des dispositifs de prévention des expulsions.
Le juge examine ensuite le bien-fondé des demandes au regard des pièces produites. Le décompte locatif, les commandements de payer et l’ordonnance de référé antérieure permettent d’établir la réalité et la gravité des manquements invoqués. La non-comparution des défendeurs ne les prive pas de la protection juridictionnelle mais les place dans l’impossibilité de contester les éléments du dossier.
B. L’exigence de notification des demandes nouvelles
Le tribunal fait une application rigoureuse de l’article 68 du code de procédure civile. Ce texte impose que les demandes incidentes formées à l’encontre de parties défaillantes respectent « les formes prévues pour l’introduction de l’instance ». Le juge rappelle que le demandeur ne peut « modifier, accroître ou restreindre sa prétention » en l’absence du défendeur sans notification spéciale.
En l’espèce, le bailleur avait sollicité dans son assignation la condamnation au paiement de 2.537,30 euros. À l’audience, il actualise sa demande à 4.287,96 euros puis à 3.799,38 euros selon le décompte arrêté au 31 mars 2025. Cette actualisation constitue une modification de la prétention initiale qui aurait dû être notifiée aux défendeurs défaillants.
Le tribunal en tire les conséquences en excluant de la condamnation les loyers échus entre le 30 novembre et le 31 décembre 2024, soit 357,46 euros. Cette déduction correspond aux sommes portées au débit du compte locatif entre la date limite du décompte initial et la date de l’assignation. La condamnation est ainsi ramenée à 3.441,92 euros.
Cette solution protège le défendeur absent contre l’aggravation de sa situation sans possibilité de se défendre. Elle rappelle que l’actualisation de créance, fréquente en matière locative, ne dispense pas le demandeur du respect des formes procédurales lorsque le défendeur fait défaut.