- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par ordonnance de référé du 23 juin 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a été saisi, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’une demande d’expertise préventive. Un propriétaire riverain craignait des atteintes aux fondations de son immeuble du fait d’un chantier projeté et sollicitait la désignation d’un expert, aux frais de l’auteur des travaux, pour une mission présentée comme habituelle en la matière.
L’assignation, délivrée le 7 février 2025, exposait un risque structurel et revendiquait une mesure probatoire avant tout procès. La défenderesse concluait au rejet, rappelant l’existence de constats antérieurs des 5 avril et 6 juin 2024 et sollicitant une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le juge relève d’abord que « le dispostif de l’assignation délivrée, qui seul lie le juge » se réfère à des « “missions et exigences habituelles en la matière” », « formulation qui manque singulièrement de précision ». Il retient ensuite que les constats déjà réalisés constituent « ce qui constitue un élément de preuve pertinent » pour l’avenir. Enfin, il observe que la mission décrite s’apparente à un contrôle continu du chantier, « ce qui ne correspond absolument pas aux critères d’un référé préventif ». Le demandeur est débouté, condamné au paiement d’une somme au titre de l’article 700 et aux dépens.
La question posée était de savoir si les conditions de l’article 145, tenant à l’existence d’un motif légitime et à une mission strictement circonscrite, étaient réunies lorsque la demande est imprécise, que des éléments probatoires existent déjà, et que la mesure sollicitée tend, en réalité, à un contrôle technique du chantier. Le juge répond par la négative, considérant l’imprécision du dispositif, l’utilité amoindrie de la mesure et la dénaturation de l’office expertal.
I. Les exigences du référé préventif à l’épreuve de l’article 145
A. La précision impérative du dispositif et de la mission expertale
L’ordonnance place au cœur de son raisonnement la force obligatoire du dispositif, notant que « le dispostif de l’assignation délivrée, qui seul lie le juge » borne l’office du juge des référés. En condamnant la référence vague à des « “missions et exigences habituelles en la matière” » comme une « formulation qui manque singulièrement de précision », la décision rappelle que la mesure doit être utile, nécessaire et précisément calibrée. L’article 145 n’autorise pas une expertise aux contours flous, détachée d’allégations concrètes et d’objectifs probatoires circonscrits.
Cette exigence de précision ne vise pas seulement la rédaction, mais l’économie même de la demande. Une mission indéterminée expose au risque d’une mesure exploratoire ou générale, étrangère à l’objet probatoire. La décision invite, en pratique, à formuler un libellé opératoire, centré sur la constatation de faits techniques pertinents, assorti de questions ciblées, et dépourvu de clauses standardisées.
B. L’utilité concrète de la mesure au regard des éléments déjà disponibles
Le juge attache une importance déterminante aux constats antérieurs, qu’il qualifie de « ce qui constitue un élément de preuve pertinent ». La présence de tels documents amoindrit l’utilité d’une mesure judiciaire supplémentaire lorsque celle‑ci se bornerait à reproduire un état des lieux déjà objectivé. L’article 145 ne fonde pas une duplication coûteuse de preuves disponibles, sauf nécessité spécifique et démontrée.
Ce contrôle d’utilité s’opère in concreto, au regard des risques allégués et des pièces versées. La décision confirme qu’il appartient au demandeur de justifier d’un complément indispensable, sans quoi la mesure sollicitée perd sa raison d’être. La proportionnalité commande alors le rejet et, corrélativement, la sanction des frais irrépétibles.
II. Les limites fonctionnelles de l’expertise préventive et la prévention des dérives
A. Le refus d’un contrôle technique ou d’une maîtrise d’œuvre déguisés
L’ordonnance relève que la mission envisagée « s’apparente […] à celui d’un contrôleur technique ou d’un maître d’œuvre », « ce qui ne correspond absolument pas aux critères d’un référé préventif ». L’expertise de l’article 145 vise la constatation, l’évaluation ponctuelle et l’éclairage technique du juge, non la surveillance continue d’un chantier, ni la direction de travaux. L’office expertal se limite à la preuve, non à la régulation opérationnelle d’une activité économique.
Cette frontière protège l’équilibre des responsabilités. Un expert judiciaire n’a pas vocation à suppléer un dispositif de contrôle normatif, ni à s’immiscer dans la conduite de l’ouvrage. La décision rappelle ainsi que la mission doit rester ponctuelle, factuelle et adossée à des questions techniques précises, distinctes de tout suivi en temps réel.
B. Les implications pratiques sur la rédaction des demandes et la charge des coûts
Le rejet s’accompagne d’une condamnation au titre de l’article 700 et des dépens, conséquence logique d’une mesure jugée inutile et inadaptée. La décision incite les demandeurs à calibrer leurs prétentions, à éviter les formulations génériques, et à articuler la mission autour de faits déterminés, à dates utiles, avec un périmètre strictement probatoire.
Sur la charge des frais, l’ordonnance souligne implicitement qu’en l’absence d’accord, la mise à la charge préalable d’un tiers ne se justifie pas lorsque l’utilité n’est pas démontrée. L’économie du référé préventif exige une adéquation claire entre le risque allégué, les preuves déjà réunies et une mission resserrée, faute de quoi la demande s’expose, comme ici, à un débouté intégral.