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L’ordonnance rendue le 15 juin 2025 par le Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer illustre le contrôle juridictionnel exercé sur les mesures de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière. Un ressortissant albanais, né en 1998, avait fait l’objet le 12 juin 2025 d’une obligation de quitter le territoire français sans délai, assortie d’une interdiction de retour et d’un placement initial en rétention pour quatre jours. Par requête du 14 juin 2025, le préfet sollicitait la prolongation de cette rétention pour une durée de vingt-six jours. L’intéressé, assisté d’un interprète mais ayant renoncé à l’assistance d’un avocat, déclarait souhaiter un retour rapide dans son pays d’origine. Le juge des libertés et de la détention devait déterminer si les conditions légales de prolongation étaient réunies. La question posée était celle de savoir si, au regard des garanties de représentation présentées par l’étranger et des nécessités invoquées par l’administration, la prolongation de la rétention administrative pouvait être autorisée. Le tribunal a accueilli la demande préfectorale, autorisant le maintien en rétention pour vingt-six jours supplémentaires, au motif que l’intéressé ne présentait pas de garanties suffisantes et que des mesures de surveillance demeuraient nécessaires.
Cette décision invite à examiner le cadre juridique de la prolongation de la rétention administrative (I), avant d’en apprécier la mise en œuvre au regard des droits fondamentaux de l’étranger retenu (II).
I. Le cadre juridique de la prolongation de la rétention administrative
La prolongation de la rétention obéit à des conditions strictes fixées par le législateur (A), dont l’appréciation relève du juge judiciaire gardien de la liberté individuelle (B).
A. Les conditions légales de la prolongation
Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise un régime de rétention administrative strictement encadré dans le temps. L’article L. 742-1 du CESEDA prévoit un placement initial limité à quatre jours, délai à l’issue duquel l’administration doit soit procéder à l’éloignement, soit solliciter une prolongation judiciaire. Cette architecture répond à l’exigence constitutionnelle selon laquelle nul ne peut être arbitrairement détenu et toute privation de liberté doit être contrôlée par l’autorité judiciaire dans les plus brefs délais.
La demande de prolongation suppose la démonstration par l’administration de « nécessités » justifiant le maintien en rétention. Ces nécessités s’apprécient au regard de la perspective réelle d’éloignement et de l’absence de garanties de représentation de l’intéressé. En l’espèce, l’ordonnance retient que « l’intéressé ne présente pas de garanties suffisantes pour la mise à exécution de la mesure de reconduite à la frontière ». Cette formulation reprend le standard habituel sans toutefois préciser les éléments concrets fondant cette appréciation.
B. Le rôle du juge des libertés et de la détention
L’article 66 de la Constitution confie à l’autorité judiciaire la mission de gardienne de la liberté individuelle. Dans le contentieux de la rétention, cette mission échoit au juge des libertés et de la détention, dont le contrôle porte tant sur la régularité de la procédure que sur le bien-fondé du maintien en rétention. L’ordonnance commentée mentionne laconiquement que « la procédure est régulière », sans développer les vérifications opérées concernant les conditions du placement initial, la notification des droits ou les conditions matérielles de rétention.
Le juge dispose du pouvoir d’autoriser la prolongation pour une durée maximale de vingt-six jours, conformément aux articles L. 743-6 à L. 743-8 du CESEDA. Il peut également refuser cette prolongation ou assigner l’étranger à résidence s’il estime que des garanties suffisantes existent. En accordant la durée maximale sollicitée, le tribunal a fait le choix de ne pas moduler sa réponse en fonction des circonstances particulières de l’espèce.
II. L’appréciation des droits de l’étranger retenu
La décision soulève des interrogations quant à l’effectivité du contradictoire (A) et à la prise en compte de la volonté exprimée par l’intéressé (B).
A. L’effectivité du contradictoire en question
Le débat contradictoire constitue une garantie essentielle du procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. En matière de rétention, l’étranger doit être mis en mesure de contester utilement les éléments invoqués par l’administration. L’ordonnance relève que l’intéressé « ne souhaite pas être assisté d’un avocat », choix dont il convient de respecter l’expression mais dont les conditions d’exercice méritent attention.
La renonciation à l’assistance d’un conseil, dans un contexte de privation de liberté et avec l’intermédiaire d’un interprète, soulève la question de son caractère éclairé. L’ordonnance ne mentionne aucune vérification quant à la compréhension par l’intéressé des enjeux de la procédure ou des moyens qu’il aurait pu utilement opposer à la demande préfectorale. Cette économie de motivation fragilise l’apparence d’un contrôle juridictionnel effectif.
B. Le paradoxe de la volonté de départ et du maintien en rétention
L’ordonnance fait état des déclarations de l’étranger souhaitant « rentrer rapidement en Albanie » et ne voulant « pas rester très longtemps au centre de rétention ». Cette volonté clairement exprimée de quitter le territoire français aurait pu conduire le juge à s’interroger sur la nécessité de prolonger la rétention pour la durée maximale. La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que la rétention n’a pas vocation punitive mais constitue uniquement une mesure de contrainte destinée à garantir l’exécution de l’éloignement.
Si l’intéressé manifeste son souhait de partir et si l’organisation matérielle du retour peut s’effectuer dans un délai raisonnable, la proportionnalité d’une rétention de vingt-six jours supplémentaires devient discutable. L’ordonnance ne comporte aucun élément sur les diligences accomplies par l’administration pour organiser le départ, ni sur le délai prévisible d’obtention d’un laissez-passer consulaire. Cette lacune ne permet pas d’apprécier si la durée accordée correspond aux « nécessités » réelles de l’éloignement ou excède ce qui était strictement nécessaire. La portée de cette décision demeure ainsi celle d’une ordonnance d’espèce, dont la motivation succincte ne saurait constituer un précédent significatif dans l’évolution du contrôle juridictionnel de la rétention administrative.