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La rétention administrative des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement constitue un outil juridique sensible, au carrefour du droit des étrangers et de la protection des libertés individuelles. Elle implique un contrôle juridictionnel rigoureux, confié au juge des libertés et de la détention. L’ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer le 17 juin 2025 illustre cette articulation complexe entre impératifs administratifs et garanties procédurales.
En l’espèce, un ressortissant turc né le 6 octobre 1997 a fait l’objet, le 12 juin 2025, d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, assortie d’une interdiction de retour et d’un placement en rétention administrative pour quatre jours, prononcés par le préfet du Pas-de-Calais. Cette décision lui a été notifiée le même jour à 14 heures 40. Par requête du 15 juin 2025, reçue au greffe à 15 heures 05, le préfet a sollicité la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours.
L’intéressé, assisté d’un interprète en langue turque, a déclaré ne pas souhaiter l’assistance d’un avocat. Il a indiqué vouloir retourner en Turquie en raison de problèmes de santé affectant son épouse, tout en formulant des doléances relatives à la fréquence des appels téléphoniques autorisés au centre de rétention. L’avocat représentant la préfecture a soutenu la demande de prolongation, faisant valoir la régularité de la procédure et l’accomplissement des diligences nécessaires.
Le juge devait déterminer si les conditions légales justifiant la prolongation de la rétention administrative étaient réunies et si les garanties procédurales avaient été respectées. En d’autres termes, la question posée était celle de savoir si l’autorité administrative pouvait obtenir le maintien en rétention d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, au-delà du délai initial de quatre jours.
Le tribunal a autorisé la prolongation de la rétention pour une durée maximale de vingt-six jours, considérant que l’intéressé ne présentait pas de garanties suffisantes pour la mise à exécution de la mesure de reconduite et que des mesures de surveillance demeuraient nécessaires.
Cette décision appelle un examen du cadre juridique de la prolongation de la rétention administrative (I), avant d’analyser la motivation retenue par le juge et ses implications (II).
I. Le cadre juridique de la prolongation de la rétention administrative
A. Les conditions légales de la saisine du juge des libertés et de la détention
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile encadre strictement le placement et le maintien en rétention des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. L’article L. 742-1 du CESEDA prévoit un placement initial de quatre jours, à l’issue duquel l’autorité administrative doit saisir le juge des libertés et de la détention pour obtenir une prolongation. Cette intervention juridictionnelle constitue une garantie essentielle contre les atteintes arbitraires à la liberté individuelle.
En l’espèce, le préfet du Pas-de-Calais a saisi le tribunal par requête du 15 juin 2025, soit dans le délai légal imparti. L’ordonnance vise expressément les articles L. 742-1, L. 743-4, L. 743-6 à L. 743-8, L. 743-20 et L. 743-24 du CESEDA, attestant du fondement textuel de la demande. La prolongation sollicitée de vingt-six jours correspond au quantum prévu par l’article L. 743-6 pour la première prolongation.
L’audience s’est tenue par visioconférence, conformément aux dispositions de l’article R. 213-12-2 du code de l’organisation judiciaire. Ce mode de comparution, désormais courant en matière de rétention, soulève des interrogations quant à l’effectivité du droit à un procès équitable, sans toutefois avoir été contesté dans la présente affaire.
B. Les garanties procédurales accordées à l’étranger retenu
Le législateur a entouré la procédure de prolongation de garanties destinées à protéger les droits de l’étranger. L’ordonnance mentionne que l’intéressé a été informé de ses droits pendant la rétention ainsi que des possibilités et délais de recours contre les décisions le concernant, conformément aux exigences des articles L. 743-9 et L. 743-24 du CESEDA.
L’assistance d’un interprète en langue turque a permis à l’intéressé de comprendre la procédure et de s’exprimer. Ce dernier a explicitement renoncé à l’assistance d’un avocat, ce qui est son droit. Ses déclarations révèlent une volonté de retourner dans son pays d’origine en raison de la situation médicale de son épouse, ce qui aurait pu constituer un élément favorable à sa demande de libération. Ses griefs portaient davantage sur les conditions matérielles de rétention, notamment la fréquence des appels téléphoniques.
La notification de l’ordonnance et l’information sur les voies de recours, notamment la possibilité d’interjeter appel dans les vingt-quatre heures devant le premier président de la cour d’appel de Douai, complètent ce dispositif de garanties.
II. La motivation de la décision et ses implications
A. Une motivation lapidaire répondant aux exigences minimales
Le juge des libertés et de la détention a fondé sa décision sur deux motifs : l’absence de garanties suffisantes présentées par l’intéressé pour la mise à exécution de la mesure de reconduite et la nécessité de mesures de surveillance. Cette formulation, bien que concise, reprend les critères posés par le CESEDA pour justifier le maintien en rétention.
La notion de garanties de représentation constitue le pivot de l’appréciation du juge. Elle renvoie traditionnellement à l’existence de documents d’identité, de liens stables avec le territoire français, d’une adresse fixe ou de ressources régulières. L’ordonnance ne détaille pas les éléments concrets ayant conduit le juge à considérer ces garanties comme insuffisantes. Cette absence de motivation circonstanciée fragilise la décision sur le plan de l’exigence de motivation des actes juridictionnels privatifs de liberté.
L’intéressé avait pourtant manifesté sa volonté de quitter le territoire français pour rejoindre son épouse malade. Cette déclaration aurait pu être analysée comme un élément favorable, témoignant d’une absence de risque de soustraction à la mesure d’éloignement. Le juge n’a pas retenu cet argument, considérant implicitement que cette déclaration ne suffisait pas à constituer une garantie effective.
B. La portée de la décision au regard du contrôle de la rétention administrative
Cette ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence constante des juges des libertés et de la détention, qui accordent fréquemment les prolongations sollicitées par les préfets lorsque la procédure apparaît régulière et que l’étranger ne justifie pas de garanties tangibles. Elle illustre la tension inhérente à cette matière entre l’efficacité de la politique d’éloignement et la protection de la liberté individuelle.
Le contrôle exercé par le juge judiciaire en matière de rétention administrative demeure un contrôle de légalité et de proportionnalité. La brièveté de la motivation interroge sur la profondeur de cet examen en pratique. La Cour de cassation exige que le juge caractérise précisément les circonstances justifiant le maintien en rétention. Une motivation aussi succincte pourrait, dans certaines hypothèses, encourir la censure de la juridiction d’appel.
La décision rappelle également l’importance du délai de recours. L’étranger dispose de vingt-quatre heures pour interjeter appel, délai particulièrement bref qui limite l’effectivité du droit au recours, surtout lorsque l’intéressé a renoncé à l’assistance d’un avocat. La célérité de la procédure, si elle répond à l’impératif de ne pas prolonger indûment une situation d’attente pour l’étranger, peut également restreindre sa capacité à organiser utilement sa défense.