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Je vais procéder à la rédaction du commentaire d’arrêt.
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Par une ordonnance rendue le 22 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer s’est prononcé sur une demande de seconde prolongation de rétention administrative formée par le préfet du Nord à l’encontre d’un ressortissant libyen. Cette décision illustre les tensions inhérentes au régime de la rétention administrative entre impératifs d’éloignement et protection de la liberté individuelle.
Un ressortissant libyen, né le 15 juin 2002, connu au fichier EURODAC en qualité de demandeur d’asile en Autriche, a fait l’objet d’un arrêté de placement en rétention administrative le 24 mai 2025. Cette mesure initiale de quatre jours a été prolongée une première fois de vingt-six jours par ordonnance du 28 mai 2025. À l’approche de l’expiration de ce délai, le préfet du Nord a sollicité, par requête du 21 juin 2025, une seconde prolongation de trente jours.
Devant le juge des libertés et de la détention, l’intéressé, assisté d’un avocat commis d’office et d’un interprète en langue arabe, n’a présenté aucune observation. Son conseil n’a formulé aucun moyen à l’encontre de la procédure. Le représentant de la préfecture a fait valoir que les diligences nécessaires avaient été accomplies et qu’une demande de réexamen avait été adressée aux autorités autrichiennes, lesquelles disposaient d’un délai de quinze jours pour répondre.
La question posée au juge était celle de savoir si les conditions légales permettant une prolongation de la rétention administrative au-delà de trente jours étaient réunies en l’espèce.
Le Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer autorise la prolongation sollicitée pour une durée maximale de trente jours, retenant que l’intéressé ne présente pas de garanties suffisantes et que des mesures de surveillance demeurent nécessaires.
L’examen de cette ordonnance révèle une application du régime de la seconde prolongation marquée par une motivation insuffisante (I), tout en s’inscrivant dans les difficultés pratiques du transfert Dublin (II).
I. Une motivation juridictionnelle en deçà des exigences légales
A. Le cadre restrictif de la seconde prolongation
L’article L. 742-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile encadre strictement les hypothèses dans lesquelles la rétention administrative peut être prolongée au-delà du premier délai de trente jours. Le législateur a entendu limiter cette faculté à des situations précises : urgence absolue, menace pour l’ordre public, perte ou destruction des documents de voyage, dissimulation d’identité, obstruction volontaire à l’éloignement, défaut de délivrance des documents par le consulat ou absence de moyens de transport.
Cette énumération limitative traduit la volonté du législateur de concilier l’objectif d’éloignement effectif avec le respect de la liberté individuelle. La rétention administrative, mesure privative de liberté ordonnée par l’autorité administrative, ne saurait se prolonger indéfiniment. Le plafond de soixante jours constitue ainsi la limite absolue posée par le droit français, en conformité avec la directive retour du 16 décembre 2008.
L’ordonnance commentée reproduit intégralement les dispositions de l’article L. 742-4 dans ses motifs. Cette reproduction, si elle témoigne de la connaissance du texte applicable, ne saurait tenir lieu de motivation au sens où l’entend la jurisprudence de la Cour de cassation.
B. L’absence de caractérisation d’un cas légal de prolongation
Le juge retient que « l’intéressé ne présente pas de garanties suffisantes pour la mise à exécution de la mesure de reconduite à la frontière » et que « des mesures de surveillance sont nécessaires ». Il ajoute qu’« eu égard aux nécessités invoquées par Monsieur le Préfet, il convient d’accorder la prorogation demandée ».
Cette motivation apparaît doublement insuffisante. Elle ne précise pas lequel des cas limitativement énumérés par l’article L. 742-4 justifie la prolongation sollicitée. L’absence de garanties de représentation et la nécessité de mesures de surveillance constituent des conditions générales de la rétention administrative, non des critères spécifiques à la seconde prolongation.
La Cour de cassation exige pourtant du juge qu’il caractérise précisément le motif légal fondant la prolongation au-delà de trente jours. Le renvoi aux « nécessités invoquées par Monsieur le Préfet » opère une délégation implicite de la motivation qui fragilise le contrôle juridictionnel. Cette pratique contrevient à l’office du juge gardien de la liberté individuelle tel que défini par l’article 66 de la Constitution.
II. Les contraintes du mécanisme Dublin confrontées au contrôle juridictionnel
A. La spécificité du transfert vers l’État membre responsable
L’ordonnance s’inscrit dans le contexte particulier du règlement Dublin III. L’intéressé, enregistré au fichier EURODAC comme demandeur d’asile en Autriche, fait l’objet d’une procédure de réadmission vers cet État membre. Le représentant de la préfecture a indiqué qu’une demande de réexamen avait été formulée et que les autorités autrichiennes disposaient d’un délai de quinze jours pour y répondre.
Ce mécanisme impose des délais incompressibles tenant à la coopération entre États membres. Le défaut de réponse dans le délai imparti emporte acceptation tacite de la reprise en charge. La prolongation de la rétention vise alors à maintenir l’étranger à disposition de l’administration le temps que cette procédure aboutisse.
La jurisprudence admet que le défaut de délivrance des documents nécessaires au transfert puisse justifier une seconde prolongation. Toutefois, l’ordonnance commentée ne caractérise pas expressément cette circonstance. Elle se borne à mentionner les diligences accomplies sans établir le lien avec l’un des cas prévus par l’article L. 742-4.
B. L’effectivité du contrôle juridictionnel en question
L’absence de contestation par le conseil de l’intéressé, qui n’a formulé « pas d’observation sur la procédure », a manifestement influencé l’économie de la décision. Le principe dispositif limite l’office du juge aux moyens soulevés par les parties, sauf à relever d’office les moyens d’ordre public.
Il reste que le respect des conditions légales de la prolongation participe des garanties fondamentales de la liberté individuelle. Le juge des libertés et de la détention, investi d’une mission constitutionnelle de protection, devrait vérifier d’office que l’un des cas limitatifs de l’article L. 742-4 est caractérisé. L’ordonnance commentée ne satisfait pas à cette exigence.
Cette décision s’inscrit dans une pratique juridictionnelle parfois critiquée pour son formalisme. La standardisation des ordonnances de prolongation, rendue nécessaire par le volume du contentieux, ne saurait dispenser le juge d’une motivation individualisée. Le risque est celui d’un contrôle purement formel, vidant de sa substance la protection juridictionnelle de la liberté individuelle. La portée de cette ordonnance demeure limitée à l’espèce, mais elle illustre les tensions persistantes entre efficacité administrative et garanties procédurales dans le contentieux de la rétention.