Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, le 20 juin 2025, n°25/01285

Le droit au logement, consacré comme objectif à valeur constitutionnelle, trouve ses limites dans l’exigence légitime du créancier d’obtenir l’exécution de son titre. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, dans un jugement du 20 juin 2025, illustre cette tension entre protection du débiteur et efficacité de la procédure d’expulsion.

En l’espèce, un bailleur social avait consenti un bail d’habitation à deux époux le 19 juillet 2021, portant sur un appartement et un garage moyennant un loyer mensuel de 707,54 euros charges comprises. Face aux impayés, le bailleur a fait assigner les locataires en référé. Par ordonnance du 8 décembre 2022, le juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 2 mai 2022, condamné solidairement les preneurs au paiement d’une somme provisionnelle de 7 633,58 euros et accordé des délais de paiement de 36 mensualités de 150 euros, la clause résolutoire étant suspendue pendant ce temps. Le défaut de respect de l’échéancier devait entraîner la reprise des effets de la clause et l’expulsion. Un commandement de quitter les lieux a été délivré le 28 janvier 2025, enjoignant aux occupants de libérer le logement avant le 28 mars 2025.

Par requête du 28 avril 2025, les locataires ont saisi le juge de l’exécution aux fins d’obtenir un délai supplémentaire d’un an pour quitter les lieux. Ils invoquaient l’inaptitude professionnelle de l’épouse, la présence d’un enfant présentant des troubles autistiques et l’échec de leurs recherches de relogement. Le bailleur s’opposait à cette demande, faisant valoir l’augmentation continue de l’arriéré et l’irrégularité des versements.

La question posée au juge de l’exécution était de déterminer si les circonstances personnelles des débiteurs et l’impossibilité alléguée de relogement justifiaient l’octroi de délais pour quitter les lieux au sens des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution.

Le juge de l’exécution déboute les locataires de leur demande de délai. Il retient que l’arriéré locatif atteint 18 777,40 euros au 3 juin 2025, que les paiements demeurent irréguliers malgré les mesures de surendettement et que les requérants ne justifient d’aucune démarche effective de relogement.

Cette décision mérite examen tant au regard des conditions légales d’octroi des délais pour quitter les lieux (I) que de l’appréciation concrète portée sur la situation des occupants (II).

I. Le cadre juridique de l’octroi des délais pour quitter les lieux

L’analyse du régime légal applicable (A) permet de comprendre les critères d’appréciation retenus par le juge (B).

A. Le pouvoir discrétionnaire encadré du juge de l’exécution

Le juge de l’exécution rappelle les dispositions de l’article L. 412-3, alinéa 1er, du code des procédures civiles d’exécution selon lesquelles « le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Cette faculté n’est pas un droit acquis pour le débiteur. Le verbe « peut » confère au juge un pouvoir souverain d’appréciation qui ne saurait être exercé de manière automatique.

La durée des délais susceptibles d’être accordés est strictement bornée par l’article L. 412-4 du même code entre un mois minimum et un an maximum. Ces délais sont renouvelables, ce qui permet une adaptation progressive aux circonstances. Le législateur a ainsi entendu concilier la protection des occupants avec les droits du créancier à obtenir l’exécution du titre dont il est porteur.

Cette architecture normative traduit un équilibre entre deux impératifs. D’une part, le droit à un logement décent expressément mentionné par l’article L. 412-4. D’autre part, le droit de propriété du bailleur et son intérêt à récupérer la jouissance de son bien. Le juge de l’exécution se trouve ainsi investi d’une mission de régulation qui suppose une analyse circonstanciée de chaque situation.

B. La pluralité des critères légaux d’appréciation

L’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution énumère limitativement les éléments devant guider l’appréciation du juge. Le texte impose de tenir compte de « la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ».

Cette énumération, quoique non exhaustive, dessine une méthode d’analyse comparative des situations en présence. Le juge doit procéder à une mise en balance des intérêts contradictoires. La référence aux diligences de relogement revêt une importance particulière car elle impose au débiteur une obligation active de recherche d’une solution alternative. Le simple fait d’invoquer des difficultés ne suffit pas ; encore faut-il démontrer les efforts accomplis.

Le texte mentionne également « le droit à un logement décent et indépendant » ainsi que « le délai prévisible de relogement des intéressés ». Ces critères orientent le juge vers une appréciation prospective de la situation. L’octroi de délais n’a de sens que si ceux-ci permettent effectivement d’aboutir à un relogement. Des délais accordés sans perspective réaliste de solution ne feraient que différer l’inéluctable tout en aggravant le préjudice du bailleur.

II. L’appréciation souveraine des circonstances de l’espèce

Le juge procède à un examen détaillé de la situation financière des occupants (A) avant de constater l’insuffisance de leurs diligences (B).

A. L’analyse rigoureuse de la situation économique du ménage

Le jugement détaille avec précision les ressources du couple. L’époux, conducteur routier en contrat à durée indéterminée, perçoit un salaire mensuel net imposable « compris entre 2 000 et 2 600 euros suivant les heures supplémentaires effectuées ». L’épouse, licenciée pour inaptitude le 24 avril 2025, bénéficie depuis le 1er juin 2025 de l’allocation d’aide au retour à l’emploi « pour une durée de 548 jours à hauteur de 1 050,30 euros par mois maximum ». Le ménage dispose donc de revenus oscillant entre 3 050 et 3 650 euros mensuels.

Ces ressources, sans être négligeables, doivent être rapportées à l’ampleur de l’arriéré. Le juge relève que « l’arriéré locatif stricto sensu s’élève au 03 juin 2025 à 18 777,40 euros », soit plus de deux ans de loyer. L’examen de l’historique des paiements révèle leur caractère sporadique : en 2024, « seuls trois règlements ont été effectués » et en 2025, « seuls deux versements ont été réalisés ». Cette irrégularité contraste avec le montant des indemnités d’occupation, passées de 797,31 euros en 2024 à 817,33 euros en 2025.

Le juge note que les occupants ont bénéficié de mesures de surendettement par jugement du 23 avril 2024 prévoyant un rééchelonnement sur 56 mois avec 17 mensualités de 656,16 euros pour la dette locative. Le dépôt d’un nouveau dossier de surendettement le 16 mai 2025 atteste de l’échec du premier plan. Cette succession de procédures traduit une incapacité structurelle à honorer les engagements pris plutôt qu’une difficulté passagère susceptible d’être surmontée par l’octroi de délais.

B. Le défaut de diligences en vue du relogement

Le juge constate sèchement que « les requérants ne justifient pas des démarches de relogement entreprises ». Cette carence probatoire s’avère déterminante dans l’économie de la décision. L’époux avait déclaré à l’audience ne pas avoir déposé de demande de logement social « car il savait que celle-ci serait refusée ». Cette anticipation d’un refus ne saurait tenir lieu de démarche effective et révèle une forme de résignation incompatible avec l’octroi de délais.

L’article L. 412-4 subordonne l’appréciation du juge aux « diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ». Le texte impose une charge de la preuve claire. Les occupants doivent établir positivement les démarches accomplies. En l’absence de tout justificatif, le juge ne dispose d’aucun élément permettant d’apprécier le délai prévisible de relogement ni de vérifier que celui-ci ne pourrait avoir lieu dans des conditions normales.

La présence d’un enfant présentant des troubles autistiques, scolarisé en quatrième, constituait un élément de vulnérabilité susceptible de peser dans la balance. Le juge ne méconnaît pas cette circonstance mais la rapporte à l’ensemble des éléments du dossier. La protection due aux personnes vulnérables ne peut justifier l’octroi de délais indéfinis lorsque l’arriéré s’accroît dangereusement et que les débiteurs ne manifestent pas la volonté réelle de trouver une solution. Le rejet de la demande sanctionne ainsi moins la situation sociale des occupants que leur passivité face à une dette qui s’alourdit depuis plus de trois ans.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture