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Le présent jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu le 17 juin 2025 illustre le contrôle rigoureux exercé par les juridictions en matière de crédit à la consommation. Il met en lumière la sanction de la déchéance du droit aux intérêts pour défaut de vérification de la solvabilité de l’emprunteur.
En l’espèce, un établissement de crédit avait consenti le 16 juin 2022 à deux co-emprunteurs un crédit affecté d’un montant de 10 730,26 euros, remboursable en 72 mensualités au taux débiteur fixe de 4,780 %. Face aux impayés, le prêteur a prononcé la déchéance du terme après mise en demeure restée infructueuse. Il a ensuite assigné les emprunteurs en paiement de la somme de 11 173,98 euros, outre les intérêts contractuels.
Le tribunal a relevé d’office les dispositions du code de la consommation et ordonné une réouverture des débats pour permettre au prêteur de justifier notamment de la régularité de ses obligations précontractuelles. Le juge a constaté que l’établissement prêteur, s’il justifiait de l’offre de crédit signée électroniquement, de la fiche d’informations précontractuelles et de la consultation du fichier des incidents de paiement, ne produisait en revanche aucune pièce justificative accompagnant la fiche de dialogue relative aux ressources et charges des emprunteurs.
La question posée au tribunal était la suivante : le prêteur qui ne justifie pas avoir vérifié la solvabilité de l’emprunteur au moyen de pièces justificatives doit-il être déchu de son droit aux intérêts contractuels ?
Le juge des contentieux de la protection a répondu par l’affirmative. Il a déclaré l’action recevable, prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels et condamné solidairement les emprunteurs au paiement de la somme de 9 567,14 euros, correspondant au seul capital restant dû déduction faite des règlements intervenus. Le tribunal a précisé que cette somme ne produirait aucun intérêt afin d’assurer l’effectivité de la sanction, en application de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 mars 2014.
Cette décision invite à examiner successivement l’étendue de l’obligation de vérification de la solvabilité pesant sur le prêteur (I) puis les conséquences attachées à sa méconnaissance (II).
I. L’obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur
Le jugement rappelle le contenu de l’obligation légale imposée au prêteur (A) avant de préciser les exigences probatoires qui en découlent (B).
A. Le fondement légal de l’obligation de vérification
Le code de la consommation impose au prêteur, préalablement à la conclusion d’un contrat de crédit, de vérifier la solvabilité de l’emprunteur. Cette obligation, issue de la directive européenne 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative aux contrats de crédit aux consommateurs, a été transposée aux articles L. 312-16 et suivants du code de la consommation. Elle répond à un objectif de prêt responsable visant à prévenir le surendettement des particuliers.
Le législateur a entendu faire peser sur le professionnel du crédit une obligation active de se renseigner sur la situation financière de son cocontractant. Cette obligation ne se limite pas à une simple interrogation du fichier des incidents de paiement. Elle impose au prêteur de « vérifier la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations ». Le tribunal de Bourgoin-Jallieu fait application de ce principe en relevant que l’établissement prêteur avait certes produit la fiche de dialogue comportant les ressources et charges des emprunteurs, mais sans y joindre les pièces justificatives correspondantes.
B. L’exigence de pièces justificatives comme élément de preuve
Le juge opère une distinction fondamentale entre la collecte d’informations déclaratives et leur vérification effective. La fiche de dialogue, document dans lequel l’emprunteur renseigne ses revenus et ses charges, ne constitue qu’une étape du processus. Le prêteur doit s’assurer de l’exactitude de ces déclarations par la production de justificatifs tels que bulletins de salaire, avis d’imposition ou relevés bancaires.
En l’espèce, le tribunal relève expressément que le prêteur « ne justifie pas d’une étude suffisante de la solvabilité des co-emprunteurs, en l’absence de pièces justificatives accompagnant la fiche de dialogue ». Cette formulation traduit une appréciation in concreto du respect de l’obligation légale. Le juge ne se contente pas de vérifier l’existence formelle des documents requis. Il examine leur aptitude à démontrer que le prêteur a effectivement procédé aux vérifications imposées par la loi. Cette exigence probatoire renforce la portée de l’obligation de vérification et en fait une condition substantielle de la régularité du crédit.
II. La sanction de la déchéance du droit aux intérêts
Le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts constitue une sanction efficace (A) dont l’effectivité est renforcée par l’exclusion de tout intérêt sur la créance résiduelle (B).
A. La déchéance du droit aux intérêts comme sanction du manquement
L’article L. 341-2 du code de la consommation prévoit que le prêteur qui ne respecte pas les obligations de vérification de la solvabilité est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. Cette sanction civile présente un caractère automatique dès lors que le manquement est établi. Elle ne dépend ni de la bonne foi du prêteur ni de l’existence d’un préjudice pour l’emprunteur.
Le tribunal de Bourgoin-Jallieu prononce la déchéance totale du droit aux intérêts. Il réduit en conséquence la créance du prêteur au seul capital restant dû, soit 9 567,14 euros au lieu des 11 173,98 euros réclamés. L’indemnité conventionnelle de résiliation est également ramenée à zéro euro. Cette sanction illustre la volonté du législateur et du juge de faire prévaloir la protection du consommateur sur les intérêts économiques du prêteur professionnel.
B. L’exclusion de tout intérêt pour garantir l’effectivité de la sanction
Le tribunal précise que la somme allouée « ne produira aucunement intérêt, afin d’assurer l’effectivité de la sanction prononcée en application de l’arrêt CJUE du 27 mars 2014, C-565/12 ». Cette référence à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne mérite attention. Dans l’arrêt LCL Le Crédit Lyonnais du 27 mars 2014, la Cour avait jugé que les sanctions prévues par le droit national devaient être « effectives, proportionnées et dissuasives ».
Le juge de Bourgoin-Jallieu tire les conséquences de cette exigence en excluant l’application de l’intérêt légal sur la créance résiduelle. Il relève à cet égard que le taux de l’intérêt légal pour le premier semestre 2025 s’établit à 3,71 %, soit un niveau inférieur mais comparable au taux contractuel de 4,780 %. Permettre au prêteur de percevoir des intérêts au taux légal aurait atténué la portée de la sanction. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence désormais établie de la Cour de cassation qui veille au respect de l’effectivité des sanctions prévues par le droit de la consommation.