Tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu, le 17 juin 2025, n°24/00364

Le jugement rendu le 17 juin 2025 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu illustre l’application des dispositions protectrices du code de la consommation en matière de crédit. Un établissement bancaire avait consenti le 8 juin 2022 un prêt personnel de 6 000 euros, remboursable en 48 mensualités au taux débiteur de 4,82%. Face aux impayés, le prêteur a prononcé la déchéance du terme et sollicité le paiement de l’intégralité des sommes dues.

Les faits se résument ainsi. L’emprunteuse a cessé d’honorer ses échéances dès le mois de novembre 2022. Le créancier lui a adressé une mise en demeure le 19 février 2024, puis a notifié la déchéance du terme le 22 mars suivant. L’assignation a été délivrée le 3 avril 2024.

La procédure a connu plusieurs rebondissements. Lors de l’audience initiale du 3 septembre 2024, la défenderesse n’a pas comparu bien que l’assignation lui ait été signifiée à personne. Le juge a ordonné la réouverture des débats le 5 novembre 2024, enjoignant au prêteur de justifier de sa consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers et de produire la fiche de dialogue relative aux ressources et charges de l’emprunteuse. Le créancier a transmis l’attestation de revenus mais a indiqué ne pas être en mesure de fournir le justificatif de consultation du fichier. Après plusieurs renvois, l’affaire a été retenue le 15 avril 2025.

Le problème juridique soumis au juge était double. Il convenait d’abord de vérifier la recevabilité de l’action au regard du délai de forclusion biennale. Il fallait ensuite déterminer si l’absence de justification de la consultation préalable du fichier des incidents de paiement devait entraîner la déchéance du droit aux intérêts du prêteur.

Le juge a déclaré l’action recevable, celle-ci ayant été engagée dans le délai de deux ans suivant le premier incident non régularisé. Il a toutefois prononcé la déchéance totale du droit aux intérêts en raison du défaut de preuve de consultation du fichier. Il a condamné l’emprunteuse au paiement du seul capital restant dû, soit 5 666,43 euros, sans que cette somme produise le moindre intérêt.

Cette décision mérite examen tant au regard du contrôle d’office des obligations précontractuelles du prêteur (I) que des conséquences attachées à la sanction de déchéance du droit aux intérêts (II).

I. Le contrôle d’office des obligations précontractuelles du prêteur

Le juge des contentieux de la protection exerce un rôle actif dans la vérification du respect des dispositions du code de la consommation (A). L’obligation de consultation du fichier des incidents de paiement constitue une exigence substantielle dont la preuve incombe au prêteur (B).

A. L’office du juge en matière de crédit à la consommation

Le jugement rappelle le fondement textuel du pouvoir de relevé d’office. L’article R. 632-1 du code de la consommation autorise le juge à « soulever d’office toutes les dispositions dudit code dans les litiges nés de son application ». Cette prérogative traduit le caractère protecteur de la législation consumériste. Le juge ne demeure pas spectateur passif du litige. Il vérifie que le professionnel a respecté l’ensemble de ses obligations légales.

En l’espèce, le magistrat a usé pleinement de cette faculté. Il a ordonné la réouverture des débats aux fins d’obtenir la justification de la consultation du fichier des incidents de paiement. Cette initiative procédurale démontre la vigilance du juge. Elle illustre la conception moderne de son office dans les contentieux de masse opposant professionnels et consommateurs.

La Cour de cassation a consolidé cette évolution. Elle impose au juge de vérifier le respect des obligations précontractuelles du prêteur même en l’absence de comparution du défendeur. Cette jurisprudence s’inscrit dans le prolongement des exigences européennes issues de la directive 2008/48/CE relative aux contrats de crédit aux consommateurs.

B. L’exigence de consultation préalable du fichier des incidents de paiement

L’article L. 312-16 du code de la consommation énonce que « le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations ». Il ajoute que le prêteur « consulte le fichier prévu à l’article L. 751-1 ». Cette consultation constitue une obligation légale impérative. Elle vise à prévenir le surendettement en permettant au prêteur de connaître la situation financière réelle du candidat à l’emprunt.

Le jugement constate que « le créancier ne produit pas la preuve de ce que cette obligation de consultation préalable du FICP a bien été exécutée ». Le prêteur avait lui-même reconnu ne pas être en mesure de fournir ce justificatif. Cette carence probatoire emporte des conséquences importantes. La charge de la preuve pèse sur le professionnel qui doit démontrer avoir satisfait à ses obligations légales.

La consultation doit intervenir préalablement à la conclusion du contrat, et au plus tard avant la délivrance des fonds. Cette exigence temporelle n’est pas formelle. Elle garantit que le prêteur dispose de toutes les informations nécessaires avant de s’engager. L’absence de justificatif prive le juge de tout élément permettant de vérifier que le prêteur a effectivement procédé à cette vérification.

II. Les conséquences de la déchéance du droit aux intérêts

La déchéance du droit aux intérêts constitue la sanction légale du manquement aux obligations précontractuelles (A). Le juge renforce l’effectivité de cette sanction en privant la créance de tout intérêt, y compris légal (B).

A. La sanction légale du manquement aux obligations de vérification

L’article L. 341-2 du code de la consommation dispose que « le prêteur qui n’a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 312-14 et L. 312-16 est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ». Cette sanction présente un caractère civil. Elle ne tend pas à réparer un préjudice mais à priver le prêteur négligent du profit attendu de l’opération de crédit.

Le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à l’étendue de la déchéance. Il peut la prononcer en totalité ou partiellement selon la gravité du manquement constaté. En l’espèce, le magistrat a retenu la déchéance totale. Ce choix se justifie par l’importance de l’obligation méconnue. La consultation du fichier des incidents de paiement constitue une garantie essentielle de la protection du consommateur contre le risque de surendettement.

La créance se trouve ainsi limitée au seul capital restant dû. Le jugement procède à un calcul simple. Du capital emprunté de 6 000 euros, il retranche les sommes déjà réglées, soit 333,57 euros. L’emprunteuse reste débitrice de 5 666,43 euros. Cette somme correspond au capital effectivement mis à sa disposition, déduction faite des règlements intervenus.

B. L’exclusion de tout intérêt au titre de l’effectivité de la sanction

Le jugement franchit une étape supplémentaire. Il décide que « la somme retenue en principal ne portera pas intérêt (ni conventionnel, ni légal) ». Cette solution se fonde expressément sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 mars 2014 (C-565/12). Cette décision impose aux juridictions nationales d’assurer l’effectivité des sanctions prévues par le droit de la consommation.

L’exclusion de l’intérêt légal mérite attention. Ordinairement, toute condamnation judiciaire au paiement d’une somme d’argent produit intérêts au taux légal à compter du jugement. En privant la créance de cet accessoire, le juge évite que le prêteur ne retrouve indirectement le bénéfice des intérêts dont il a été déchu. Cette interprétation garantit le caractère effectif et dissuasif de la sanction.

Le rejet de la demande de capitalisation des intérêts découle logiquement de cette solution. L’anatocisme prévu à l’article 1343-2 du code civil suppose l’existence d’intérêts susceptibles de produire eux-mêmes des intérêts. Dès lors que la créance est privée de tout intérêt, la demande de capitalisation devient sans objet. Le prêteur supporte ainsi pleinement les conséquences de sa négligence dans la vérification de la solvabilité de l’emprunteur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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