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L’article L. 218-2 du code de la consommation dispose que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Ce texte, issu de la transposition de la directive 2011/83/UE, constitue une protection essentielle des consommateurs contre les actions tardives des professionnels. La détermination du point de départ de ce délai biennal suscite un contentieux nourri, notamment lorsque les travaux s’échelonnent dans le temps.
Une société de construction a confié à un sous-traitant divers travaux dans le cadre de l’édification d’une maison individuelle pour le compte de particuliers. Elle a émis trois factures, deux en date du 12 février 2022 et une du 15 septembre 2022, pour un montant total de 12 705,19 euros. Face à l’absence de règlement, elle a assigné les maîtres d’ouvrage le 22 décembre 2022. Ces derniers ont soulevé, par voie d’incident, la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation pour deux des factures litigieuses. En première instance, les époux défendeurs invoquaient que l’action était prescrite, les travaux ayant été achevés plus de deux ans avant l’assignation. La société demanderesse soutenait que le point de départ devait être reporté, soit en raison de délais de paiement accordés, soit du fait d’une reconnaissance de dette résultant de l’envoi d’un chèque.
La question posée au juge de la mise en état était la suivante : le professionnel qui agit en paiement contre des consommateurs peut-il échapper à la prescription biennale en invoquant des délais de paiement non formalisés ou un règlement partiel postérieur ?
Par ordonnance du 19 juin 2025, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a constaté la prescription de l’action en paiement pour l’une des factures, les travaux correspondants ayant été achevés fin octobre 2020, soit plus de deux ans avant l’assignation. Le juge a rejeté l’argument tiré d’une prétendue reconnaissance de dette, le chèque litigieux correspondant plausiblement au solde d’une autre facture. En revanche, il a écarté la fin de non-recevoir pour la seconde facture contestée, les travaux n’ayant été terminés qu’en décembre 2020.
Cette décision illustre l’application rigoureuse de la prescription biennale consumériste au point de départ de droit commun (I), tout en révélant les limites des moyens d’interruption invoqués par le professionnel (II).
I. L’application stricte du point de départ de la prescription biennale
Le juge de la mise en état rappelle les principes gouvernant le délai de prescription applicable aux actions des professionnels contre les consommateurs (A), puis applique ces règles aux circonstances de l’espèce avec rigueur (B).
A. Le rattachement au droit commun du point de départ
Le juge énonce que « l’article L218-2 du code de la consommation est applicable dès lors que l’action en paiement est introduite par un professionnel contre des maîtres d’ouvrage consommateurs ». Ce rappel n’est pas anodin. La qualification de consommateur des maîtres d’ouvrage conditionne l’application du régime protecteur. Le texte ne prévoyant pas de point de départ spécifique, le juge se réfère au droit commun de l’article 2224 du code civil, soit « le jour où le créancier professionnel a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir ».
Cette solution, constante en jurisprudence, présente une particularité en matière de marchés de travaux. Le juge précise que le dies a quo correspond au « jour de l’achèvement des travaux », moment où la créance devient exigible et où le professionnel peut légitimement en réclamer le paiement. Cette interprétation s’inscrit dans la lignée des arrêts de la Cour de cassation qui refusent de faire courir la prescription à compter de l’émission de la facture lorsque celle-ci est antérieure à l’achèvement des prestations.
B. La détermination factuelle de l’achèvement des travaux
Le juge procède à une analyse minutieuse des pièces produites. Pour la première facture litigieuse, portant sur la démolition d’un cabanon et l’évacuation des gravats, il retient qu’une attestation de l’entrepreneur établit que les travaux ont été effectués « à compter de la mi-octobre 2020 ». Un échange de courriels et SMS entre le 17 et le 23 octobre 2020 confirme que ces travaux « ont été achevés à la fin du mois d’octobre 2020 ».
L’assignation du 22 décembre 2022 est donc intervenue plus de vingt-six mois après l’achèvement, dépassant le délai biennal. Pour la seconde facture, relative au terrassement et à la réalisation d’une terrasse, le juge constate que ces travaux, nécessairement postérieurs au chemin d’accès provisoire, n’ont été terminés qu’en décembre 2020. L’action introduite le 22 décembre 2022 respecte donc le délai de deux ans.
Cette appréciation factuelle démontre l’importance pour le professionnel de conserver des preuves précises de la chronologie des travaux. L’attestation du sous-traitant s’est révélée déterminante, tant pour établir la prescription que pour l’écarter.
II. Le rejet des causes d’interruption et de suspension invoquées
Le professionnel a tenté d’échapper à la prescription en invoquant successivement une reconnaissance de dette (A) et l’octroi de délais de paiement (B), sans succès.
A. L’insuffisance d’un paiement partiel comme reconnaissance de dette
La société demanderesse soutenait que l’envoi d’un chèque de 1 071,60 euros le 14 octobre 2022 constituait une reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens de l’article 2240 du code civil. Le juge écarte cet argument en relevant que « les défendeurs soutiennent qu’il s’agissait là du paiement du solde de la facture 379.09-22, ce que rend plausible le montant du chèque en question ».
Cette motivation révèle l’exigence jurisprudentielle d’une reconnaissance non équivoque. Un paiement partiel ne vaut reconnaissance que s’il est clairement affecté à la dette litigieuse. En l’espèce, la correspondance entre le montant du chèque et le solde d’une autre facture créait une ambiguïté que le juge refuse de trancher au stade de l’incident, renvoyant la question « au débat au fond ».
Cette prudence procédurale est conforme à l’office du juge de la mise en état, qui statue sur les fins de non-recevoir sans préjuger du fond. Elle impose au professionnel d’obtenir des reconnaissances explicites, mentionnant précisément les factures concernées.
B. L’exigence de formalisation des délais de paiement
Pour la seconde facture, la société invoquait des délais de paiement qui auraient différé le point de départ de la prescription. Le juge rejette cette prétention en constatant que ces délais « ne ressortent que d’une mention manuscrite apposée sur le devis, non contresignée et qui n’a donné lieu à aucun avenant au contrat formalisé ».
Cette solution s’inscrit dans une conception exigeante de la modification conventionnelle des obligations. La mention unilatérale d’un professionnel sur un document contractuel ne peut lier le consommateur sans son accord exprès. Le juge applique ici le principe selon lequel les clauses dérogatoires au droit commun de la prescription doivent résulter d’un accord de volontés clairement manifesté.
Cette exigence de formalisme trouve sa justification dans la protection du consommateur. Admettre qu’une simple annotation manuscrite puisse reporter indéfiniment le point de départ de la prescription viderait de sa substance le délai biennal institué par le législateur. La décision rappelle aux professionnels la nécessité de formaliser par avenant toute modification des conditions de paiement.