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Le contentieux des baux d’habitation constitue une source majeure d’activité pour les juridictions de proximité. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Cambrai le 19 juin 2025 illustre la rigueur avec laquelle le juge des contentieux de la protection applique les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 en matière de résiliation pour impayés.
En l’espèce, un bailleur social avait consenti un bail d’habitation le 11 avril 2024 pour un loyer mensuel de 343,28 euros outre les charges. Des impayés s’étant accumulés, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 18 novembre 2024 pour une somme de 1223,32 euros. La locataire n’ayant pas régularisé sa situation, une assignation a été signifiée le 4 février 2025.
En première instance, le bailleur sollicitait la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion et la condamnation au paiement de l’arriéré locatif actualisé à 2034,78 euros. La locataire comparaissait seule, reconnaissait la dette et sollicitait le maintien dans les lieux en invoquant une demande d’aide auprès du Fonds de solidarité pour le logement dont la décision était attendue.
La question posée au juge était de déterminer si une locataire qui reconnaît sa dette mais n’a pas repris le paiement du loyer courant peut bénéficier de délais de paiement suspensifs de la clause résolutoire.
Le Tribunal judiciaire de Cambrai constate l’acquisition de la clause résolutoire au 31 décembre 2024, rejette la demande de délais de paiement et ordonne l’expulsion de la locataire. Il la condamne au paiement de l’arriéré locatif avec intérêts ainsi qu’à une indemnité d’occupation.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions procédurales de la résiliation du bail (I) que des conséquences attachées au défaut de reprise du loyer courant (II).
I. Les conditions procédurales de la résiliation du bail d’habitation
Le juge vérifie avec soin le respect des formalités préalables imposées par la loi (A) avant de constater la réunion des conditions d’acquisition de la clause résolutoire (B).
A. Le contrôle rigoureux des formalités préalables
La loi du 6 juillet 1989 modifiée subordonne la recevabilité de l’action en résiliation au respect de plusieurs formalités destinées à protéger le locataire défaillant. Le jugement examine successivement chacune d’elles.
Le tribunal relève que « la copie de l’assignation a été notifiée à la préfecture du Nord par la voie électronique le 4 février 2025, soit plus de six semaines avant l’audience, conformément aux dispositions de l’article 24 III de la loi n°89-462 du 06 juillet 1989 ». Cette notification préfectorale constitue une condition de recevabilité dont le non-respect est sanctionné par une fin de non-recevoir.
Le juge constate également que le bailleur « justifie avoir saisi la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives le 18 novembre 2024, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation ». Cette saisine de la CCAPEX participe du dispositif de prévention des expulsions instauré par le législateur.
Ces vérifications témoignent de l’attention portée par le juge au respect du formalisme protecteur du locataire. Le bailleur social avait manifestement pris soin de respecter l’ensemble des délais légaux.
B. La constatation de l’acquisition de la clause résolutoire
Le tribunal rappelle les termes de l’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 selon lequel la clause résolutoire « ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ». Il applique ce texte aux circonstances de l’espèce.
Le juge constate que « ce commandement est demeuré infructueux pendant plus de six semaines, de sorte qu’il y a lieu de constater que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail se sont trouvées réunies à la date du 31 décembre 2024 ». Le calcul du délai est précis : le commandement ayant été signifié le 18 novembre 2024, l’expiration du délai de six semaines intervient bien le 30 décembre, soit une acquisition au 31 décembre.
Cette constatation revêt une importance particulière car elle fixe le point de départ de l’occupation sans droit ni titre. Le locataire devient alors redevable d’une indemnité d’occupation et non plus d’un loyer, même si le montant demeure identique en pratique.
II. Les conséquences du défaut de reprise du loyer courant
Le refus d’accorder des délais de paiement suspensifs repose sur une condition légale stricte (A) dont le juge tire les conséquences en ordonnant l’expulsion (B).
A. L’exigence légale de reprise du loyer courant
L’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 pose une condition préalable à l’octroi de délais de paiement. Le juge peut accorder un échelonnement « à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ».
Le tribunal constate qu’« il ressort du décompte versé par la société bailleresse et par ses déclarations à l’audience que la locataire n’a pas repris le paiement du loyer courant ». Cette constatation factuelle suffit à exclure le bénéfice des délais suspensifs.
La locataire invoquait une demande d’aide FSL et avait été autorisée à produire cette décision en cours de délibéré. Le juge écarte toutefois ces éléments aux motifs qu’elle « a adressé un mail au greffe du tribunal le 18 juin sans qu’il ne soit justifié que les éléments contenus dans ce mail aient été adressés à la société bailleresse ». Le principe du contradictoire imposait cette communication à la partie adverse.
Le juge constate enfin que « la dette locative s’est fortement aggravée depuis la signification du commandement de payer » et que la locataire « n’apporte pas d’élément probant quant à sa capacité financière à rembourser l’arriéré locatif tout en assumant la charge de son loyer courant ». Cette double constatation justifie le rejet de la demande de délais.
B. Le prononcé de l’expulsion et ses modalités
Le refus des délais suspensifs emporte des conséquences immédiates. Le juge relève que « la résiliation du bail étant acquise à la SA CLESENCE le 31 décembre 2024, Mme [V] [Z] n’a plus aucun droit ni titre pour occuper l’immeuble objet du bail ».
L’expulsion est ordonnée avec « si besoin est, le concours de la force publique à défaut de départ volontaire ». Le jugement accorde un délai de quinze jours pour libérer les lieux, conformément aux dispositions légales. Passé ce délai, l’expulsion pourra intervenir deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux.
La condamnation au paiement porte sur la somme de 1610,58 euros avec intérêts au taux légal. Le juge distingue le point de départ des intérêts selon les sommes : la date du commandement pour le montant initial, la date du jugement pour le surplus.
L’indemnité d’occupation mensuelle est fixée « d’un montant équivalent à celui du loyer et des charges, tel qu’il aurait été si le contrat s’était poursuivi ». Cette formulation correspond à la jurisprudence constante qui refuse de majorer l’indemnité d’occupation en l’absence de préjudice distinct du seul maintien dans les lieux.
Ce jugement illustre l’application stricte des conditions légales d’octroi des délais de paiement. Le législateur a voulu que le locataire démontre sa volonté de régularisation par la reprise effective du loyer courant avant l’audience. Cette exigence, parfois critiquée par la doctrine comme trop rigoureuse, constitue néanmoins un filtre objectif permettant au juge d’apprécier la capacité du locataire à honorer un échéancier. La portée de cette décision demeure toutefois limitée à l’espèce, le juge ayant également relevé l’aggravation de la dette et l’absence de justificatifs probants de la situation financière de la locataire.