Tribunal judiciaire de Chartres, le 16 juin 2025, n°25/00069

L’ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Chartres, rendue le 16 juin 2025, intervient à la suite de désordres affectant des travaux de bardage. Le litige naît d’un chantier d’extension, confié à une maîtrise d’œuvre puis à une entreprise de couverture‑étanchéité et bardage, dont l’exécution a rapidement révélé des malfaçons et des inachèvements.

Après le démarrage des travaux à l’automne 2023, des mises en demeure ont été adressées et deux constats ont relevé des non‑conformités, en juin puis en octobre 2024. Face à la persistance des désordres, certains éléments ont été confiés à un autre intervenant, tandis que des fuites au pied de menuiseries étaient signalées.

Par assignations de janvier et février 2025, le maître d’ouvrage a saisi le juge des référés, sollicitant une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et une provision au titre de paiements opérés. L’entreprise de travaux a contesté l’imputabilité de certaines infiltrations, qu’elle a attribuées à un élément d’étanchéité exécuté par un tiers. Un assureur est intervenu volontairement, et des mises hors de cause ont été demandées. Un défendeur n’a pas comparu, le juge rappelant que « Si un des défendeurs ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond ».

La question posée concernait, d’abord, les conditions d’une mesure in futurum en présence de contestations techniques. Elle portait, ensuite, sur l’octroi d’une provision lorsque l’obligation apparaît discutée. Accessoirement, se posait l’opportunité de mettre hors de cause des assureurs à ce stade probatoire. L’ordonnance explicite les critères gouvernant l’expertise in futurum, puis précise les limites du pouvoir d’allouer une provision en cas de contestation sérieuse.

I. L’expertise in futurum: motif légitime et office du juge des référés

A. Les critères de l’article 145 et leur application

Le juge rappelle la norme légale, selon laquelle la mesure peut être ordonnée « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Il précise ensuite que « La double condition pour obtenir une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile tient à l’existence d’un litige et d’un motif légitime à conserver ou établir une preuve avant tout procès ».

Cette grille est affinée par une présomption de légitimité, le juge soulignant que « La première est suffisamment caractérisée dès lors que le demandeur précise en quoi les parties sont en désaccord » et que « La seconde est présumée, sauf au défendeur à démontrer que l’action au fond serait vouée à l’échec ». Dans le dossier, les constats décrivent des travaux inachevés et de nombreux désordres, dont l’étendue et l’imputabilité demeurent incertaines.

L’argument tiré d’un élément d’étanchéité confié à un tiers n’a pas fait obstacle à la mesure. Le juge retient qu’en dépit d’un doute sur ce point, un constat antérieur établit des inachèvements et des non‑conformités relatifs au lot bardage. Seule une expertise contradictoire permettra d’objectiver les désordres, leurs causes et le chiffrage des reprises utiles.

B. Portée de la mesure probatoire et refus des mises hors de cause

Le juge encadre l’office du référé probatoire. Il souligne que l’article 145 « n’implique, en effet, aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Il ajoute que la mesure peut être décidée « pour apprécier les chances de succès d’une éventuelle demande ».

Il précise encore que « Lorsqu’il statue en référé sur le fondement de ce texte, le juge n’est pas soumis aux conditions imposées par l’article 834 du code de procédure civile. Il n’a notamment pas à rechercher s’il y a urgence et l’existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle ». Cette affirmation justifie le rejet des demandes de mise hors de cause des assureurs, l’utilité de leurs investigations ne pouvant être exclue a priori.

La mission d’expertise est détaillée, avec faculté de s’adjoindre un spécialiste, et la consignation est mise à la charge du demandeur, qui a l’intérêt à la mesure. L’expert pourra apprécier l’opportunité de mettre en cause l’intervenant ayant réalisé un élément d’étanchéité, ce qui préserve le contradictoire et l’efficacité de la mesure.

II. La provision en référé: exigence d’une obligation non sérieusement contestable

A. Le cadre de l’article 835 et la définition de la contestation sérieuse

Le juge des référés rappelle que l’article 835, alinéa 2, autorise l’octroi d’une provision « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Il indique que le montant alloué doit correspondre à la fraction non discutée de l’obligation, éventuellement sa totalité.

La décision précise la notion en ces termes: « Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense […] n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond ». L’absence d’urgence propre à l’article 145 ne joue ici aucun rôle, la condition étant intrinsèquement liée au degré d’évidence de l’obligation invoquée.

Le juge souligne enfin que la nature de l’obligation est indifférente, contractuelle ou délictuelle, l’important résidant dans l’absence de doute sérieux. Cette exigence borne la fonction du référé, qui ne doit pas préjuger du fond lorsque la discussion impose des vérifications techniques ou comptables substantielles.

B. L’impossibilité d’accorder une provision en présence d’un débat non tranché

Appliquant ces critères, l’ordonnance constate que l’inachèvement des travaux est admis, mais que la cause et l’imputabilité de l’inexécution demeurent controversées. L’entreprise soutient avoir attendu le règlement intégral pour reprendre les désordres, tandis que le maître d’ouvrage affirme avoir payé ce qui était dû. Ce désaccord ne peut être levé sans investigations techniques et vérifications contradictoires.

Dans ces conditions, le juge énonce que « Dès lors, le juge des référés, ne peut avec l’évidence requise à ce stade, prononcer une provision pour une créance qui demeure contestable avant la mesure d’expertise judiciaire ». Il refuse, en conséquence, l’avance réclamée, réservant au juge du fond l’appréciation des responsabilités, y compris sur le terrain décennal.

Les demandes accessoires s’en déduisent logiquement. La défenderesse à la mesure probatoire ne pouvant être regardée comme la partie perdante, les dépens sont supportés par le demandeur, et il n’est pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile. L’ensemble assure la neutralité du stade probatoire et laisse intact le débat au fond.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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