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Le tribunal judiciaire de Chartres, par ordonnance de référé du 16 juin 2025, a statué sur une demande d’expertise préventive au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Le litige naît à la suite de désordres affectant la toiture d’une maison d’habitation, survenus après des travaux intérieurs et une tempête intervenue le 1er novembre 2023. Un expert amiable mandaté par l’assureur multirisques habitation a imputé les dommages à un affaiblissement structurel lié aux travaux, tout en ayant d’abord retenu une date de sinistre erronée, ultérieurement corrigée sans infléchir sa conclusion.
La procédure révèle une contestation nette sur l’origine du sinistre. L’assuré a sollicité la désignation d’un expert judiciaire contre l’assureur multirisques, l’entreprise de travaux et son assureur de responsabilité, afin d’éclairer la cause des désordres, l’étendue des réparations et les responsabilités éventuelles. Les défendeurs se sont opposés à la mesure en formulant des protestations, tout en sollicitant les dépens à la charge du demandeur.
La question posée tient aux conditions d’admission d’une mesure d’instruction in futurum en présence d’un rapport amiable contesté, et à la répartition des frais lorsque l’expertise est ordonnée. Le juge rappelle d’abord le texte de référence puis précise le cadre probatoire applicable en référé. Il énonce que « La double condition pour obtenir une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile tient à l’existence d’un litige et d’un motif légitime à conserver ou établir une preuve avant tout procès. » Il ajoute que « La première est suffisamment caractérisée dès lors que le demandeur précise en quoi les parties sont en désaccord ou pourraient être en désaccord dans le cadre du litige à venir » et que « La seconde est présumée, sauf au défendeur à démontrer que l’action au fond serait vouée à l’échec. » Sur cette base, il fait droit à la demande d’expertise, met la consignation à la charge du demandeur et, s’agissant des demandes accessoires, retient que « La partie défenderesse à une demande d’expertise ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme la partie perdante… », condamnant ainsi le demandeur aux dépens.
I. Le choix du juge des référés en faveur d’une instruction préalable utile
A. Les conditions de l’article 145 précisées et aménagées
Le juge rappelle la finalité probatoire de la mesure en citant le texte, puis la systématise en deux conditions cumulatives. Le raisonnement s’ordonne autour de trois propositions successives, distinctes et complémentaires. D’abord, l’existence d’un litige potentiel suffit lorsque le demandeur identifie clairement le point de désaccord. Le motif légitime est ensuite formulé dans des termes favorables à l’instruction, puisque « La seconde est présumée, sauf au défendeur à démontrer que l’action au fond serait vouée à l’échec. » Cette présomption probatoire, rare en la matière, opère un renversement de la charge, tout en préservant le contrôle du juge sur l’utilité et la proportionnalité de la mesure. Enfin, l’appréciation demeure concrète et étroitement liée à l’objet du futur procès.
Cette construction respecte l’économie de l’article 145, qui requiert l’utilité probatoire de la mesure pour la solution du litige à venir. Elle en accentue toutefois l’efficacité en référé. En admettant que le désaccord clairement identifié caractérise le litige, le juge évite toute dérive sur la plausibilité au fond et s’en tient à la perspective d’un procès probable. En présumant le motif légitime, il convertit l’exigence en simple contrôle de non-futilité, que le défendeur peut renverser par la démonstration d’une action vouée à l’échec.
B. L’application aux désordres litigieux et au rapport amiable
Le cœur du litige tient à l’imputation causale des désordres, entre événement climatique et malfaçon. Le juge relève que « Il est néanmoins établi que la cause du sinistre est contestée par la société [assureur multirisques] qui se rapporte à la position de l’expert ayant fixé la date du sinistre au 1er octobre 2023 », puis que cette date, finalement corrigée, n’a pas modifié la conclusion de l’expertise amiable. Cette hésitation initiale sur la chronologie, jointe à l’enjeu de l’articulation entre garantie “événements climatiques” et responsabilité décennale, légitime l’instruction indépendante.
La motivation s’attache à l’objet précis de la mission. Elle retient que « Le caractère légitime de la demande d’expertise résulte ainsi de la nécessité de déterminer la nature des désordres…, de rechercher leurs origines, leurs causes exactes et leur incidence… », incluant l’évaluation des travaux de reprise et des préjudices. La mission est calibrée, proportionnée et orientée vers la solution du futur litige de couverture et de responsabilité. Le recours à une expertise judiciaire se substitue ici à un rapport amiable contesté, dont la contradiction matérielle et la fiabilité factuelle ont été mises en doute.
II. La valeur et la portée de la solution retenue
A. Une politique probatoire assumée et un régime des frais clarifié
La solution consacre une politique d’accès à la preuve en amont du procès. La présomption du motif légitime favorise l’instruction lorsque la cause des dommages est sérieusement disputée, sans préjuger le fond. Elle offre une réponse pragmatique aux dossiers mêlant aléa naturel, transformation de l’ouvrage et interaction entre garanties d’assurance et responsabilité des constructeurs. La rigueur du contrôle demeure par l’exigence d’un lien direct entre la mission et la question litigieuse.
S’agissant des frais, le juge s’aligne sur la jurisprudence de droit commun des mesures in futurum. Il rappelle que la partie défenderesse « ne peut être considérée comme la partie perdante » et condamne le demandeur aux dépens, tout en mettant la consignation à sa charge. L’articulation protège la neutralité de la mesure et évite d’anticiper l’issue du procès principal. Le choix renforce la vocation instrumentale de l’expertise, distincte de toute pré-allocation des responsabilités.
B. Incidences pratiques pour les contentieux d’assurance et de construction
La portée de l’ordonnance excède le seul cas d’espèce. Elle confirme qu’un débat sérieux sur la cause d’un sinistre, même après expertise amiable, constitue un terrain privilégié pour l’application de l’article 145. Elle flèche la mission sur l’imputation causale et l’étendue des remises en état, déterminantes pour l’activation d’une garantie d’événements climatiques ou d’une responsabilité décennale. Les défendeurs conservent la faculté de renverser la présomption d’utilité par la démonstration concrète de l’inanité d’une action à venir.
La solution invite enfin à une discipline procédurale. Le calibrage minutieux des opérations, l’exigence d’un pré-rapport et l’utilisation d’une plateforme dématérialisée encadrent la contradiction et maîtrisent les coûts. La mesure d’instruction in futurum retrouve ainsi sa fonction: établir une base factuelle solide avant tout procès, au bénéfice d’un règlement éclairé et, le cas échéant, d’un règlement amiable anticipé.