Tribunal judiciaire de Chartres, le 17 juin 2025, n°24/02149

La déchéance du droit aux intérêts constitue une sanction cardinale du droit du crédit à la consommation. Elle vise à sanctionner le prêteur qui méconnaît les exigences formelles protectrices de l’emprunteur. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Chartres le 17 juin 2025 illustre la rigueur avec laquelle les juridictions contrôlent le respect de ces prescriptions.

En l’espèce, une société de crédit a consenti le 7 juin 2022 un prêt affecté au financement de travaux d’installation d’une pompe à chaleur et de volets roulants. Le capital s’élevait à 11 399,85 euros, remboursable au taux débiteur fixe de 4,82 % en 94 mensualités. L’emprunteuse a signé un procès-verbal de livraison le 21 septembre 2022 et les fonds ont été débloqués le lendemain. Des échéances sont demeurées impayées à compter d’avril 2023. Le prêteur a adressé une mise en demeure le 23 août 2023, restée infructueuse, puis a prononcé la déchéance du terme le 24 octobre 2023. Il a assigné l’emprunteuse le 11 juillet 2024 en paiement de la somme de 13 141,97 euros.

L’emprunteuse, bien que destinataire de l’assignation signifiée à personne, n’a pas comparu à l’audience. Le juge a statué par jugement réputé contradictoire après avoir relevé d’office plusieurs moyens tirés du code de la consommation.

Le tribunal devait déterminer si le contrat de crédit respectait les prescriptions formelles du code de la consommation et, dans la négative, quelle sanction devait être prononcée.

Le juge des contentieux de la protection a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels. Il a constaté que le contrat de crédit comportait des caractères d’une hauteur inférieure au corps huit exigé par l’article R. 312-10 du code de la consommation. Il a condamné l’emprunteuse au paiement du seul capital restant dû, soit 10 654,95 euros, avec intérêts au taux légal sans majoration. Il a rejeté la demande d’indemnité contractuelle et de capitalisation des intérêts.

Cette décision met en lumière le contrôle rigoureux exercé par le juge sur le formalisme contractuel (I), ainsi que les conséquences de la déchéance du droit aux intérêts sur l’étendue de la créance du prêteur (II).

I. Le contrôle du formalisme contractuel en matière de crédit à la consommation

Le juge des contentieux de la protection exerce un contrôle d’office sur le respect des prescriptions formelles (A), dont la méconnaissance entraîne la déchéance du droit aux intérêts (B).

A. L’office du juge dans la vérification des conditions de forme

Le tribunal rappelle que le défaut de comparution du défendeur n’empêche pas le juge de statuer sur le fond. L’article 472 du code de procédure civile impose au juge de vérifier que la demande est « régulière, recevable et bien fondée ». Cette disposition confère au magistrat un pouvoir de contrôle étendu, indépendant de l’attitude procédurale du défendeur.

Le jugement précise que « la forclusion, la nullité, la déchéance du droit aux intérêts contractuels et légaux ont été mis dans le débat d’office ». Le juge a donc exercé son office en soulevant des moyens que l’emprunteuse non comparante n’avait pas invoqués. Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence européenne et nationale relative à la protection du consommateur.

L’article L. 341-1 du code de la consommation énumère les obligations formelles dont la méconnaissance entraîne la déchéance du droit aux intérêts. Le texte renvoie notamment aux conditions fixées par l’article L. 312-28. Ce dernier précise que « la liste des informations figurant dans celui-ci, et dans l’encadré mentionné au premier alinéa du présent article, est fixée par décret pris en Conseil d’État ». Le décret en question, codifié à l’article R. 312-10, impose que le contrat soit « rédigé en caractères dont la hauteur ne peut être inférieure à celle du corps huit ».

Le juge a procédé à une vérification matérielle de la taille des caractères. Il expose la méthode suivie : « il convient de diviser la hauteur en millimètres par le nombre de lignes qu’il contient. Le quotient ainsi obtenu doit être au moins égal à trois millimètres ». Cette précision méthodologique témoigne de la rigueur du contrôle exercé. Le juge ne se contente pas d’une appréciation subjective de la lisibilité mais recourt à un calcul objectif.

B. La sanction de la méconnaissance des prescriptions typographiques

Le tribunal constate que « plusieurs paragraphes comportant des lignes inférieures à trois millimètres ». Cette irrégularité affecte la lisibilité du contrat et, partant, la protection du consommateur. Le législateur a entendu garantir que l’emprunteur puisse prendre connaissance des stipulations contractuelles dans des conditions satisfaisantes.

Le juge rappelle que « la sanction tirée de la déchéance du droit aux intérêts du prêteur est applicable en cas de non-respect de l’article R. 312-10 du code de la consommation ». Il précise que le prêteur supporte la charge de la preuve : « il appartient au professionnel de rapporter la preuve que le contrat satisfait aux dispositions impératives du code de la consommation ».

La déchéance du droit aux intérêts constitue une sanction automatique en cas de méconnaissance des prescriptions formelles. Elle ne requiert pas la démonstration d’un préjudice subi par l’emprunteur. Le seul constat de l’irrégularité suffit à déclencher la sanction. Cette solution s’explique par la finalité préventive et dissuasive de la règle. Le législateur a entendu inciter les établissements de crédit à respecter scrupuleusement le formalisme protecteur.

Le tribunal prononce la déchéance « à compter de cette date », soit le 7 juin 2022, date de la conclusion du contrat. Cette précision temporelle revêt une importance pratique considérable. Elle signifie que l’emprunteuse n’a jamais été tenue au paiement des intérêts contractuels. Les sommes versées à ce titre doivent être restituées ou imputées sur le capital.

II. Les conséquences de la déchéance du droit aux intérêts sur la créance du prêteur

La déchéance du droit aux intérêts limite la créance du prêteur au seul capital (A) et affecte le régime des intérêts de retard (B).

A. La limitation de la créance au capital effectivement prêté

L’article L. 341-8 du code de la consommation dispose que « lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ». Le texte ajoute que « les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû ».

Le tribunal procède au calcul de la créance : « 10 654,95 euros au titre du capital restant dû (11 399,85 euros – 744,90 euros de règlements effectués) ». Les versements effectués par l’emprunteuse sont donc intégralement imputés sur le capital. La différence entre le montant réclamé par le prêteur (13 141,97 euros) et la somme allouée illustre l’ampleur de la sanction.

Le jugement rejette également la demande d’indemnité contractuelle. Il rappelle que « le prêteur déchu du droit aux intérêts ne peut prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de l’indemnité contractuelle, ayant la nature de clause pénale, prévue par l’article L. 312-39 du code de la consommation ». Cette solution découle de l’article L. 341-8 qui limite strictement la créance du prêteur déchu.

L’indemnité de 8 % prévue par l’article D. 312-16 du code de la consommation présente la nature d’une clause pénale. Elle vise à réparer le préjudice subi par le prêteur du fait de la défaillance de l’emprunteur. La déchéance du droit aux intérêts prive le prêteur de la faculté de réclamer cette indemnité. Cette solution renforce le caractère dissuasif de la sanction.

B. L’aménagement du régime des intérêts légaux

Le prêteur déchu de son droit aux intérêts conventionnels demeure en principe fondé à solliciter les intérêts au taux légal en vertu de l’article 1231-6 du code civil. Ces intérêts sont de surcroît majorés de cinq points deux mois après le caractère exécutoire de la décision conformément à l’article L. 313-3 du code monétaire et financier.

Le tribunal écarte toutefois l’application de cette majoration. Il expose que « ces dispositions légales doivent être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée ». Le juge se fonde sur les caractères de « dissuasion et d’efficacité » que doit revêtir la sanction.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, « les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal majoré de cinq points seraient supérieurs à ce taux conventionnel ». L’application mécanique des textes conduirait à un résultat paradoxal où le prêteur fautif percevrait davantage que s’il avait respecté ses obligations.

Le juge décide en conséquence de « ne pas faire application de l’article 1231-6 du code civil dans son intégralité » et d’écarter « l’article L. 313-3 du code monétaire et financier ». La somme due portera intérêts au taux légal simple, sans majoration, à compter de la déchéance du terme. Cette solution préserve l’effectivité de la sanction tout en assurant une indemnisation minimale du prêteur pour le retard de paiement.

Le rejet de la demande de capitalisation des intérêts parachève cette logique restrictive. Le tribunal rappelle que « la capitalisation des intérêts est prohibée concernant les crédits à la consommation ». Il se fonde sur l’article L. 312-38 du code de la consommation qui énumère limitativement les sommes pouvant être réclamées en cas de défaillance. L’anatocisme ne figure pas parmi les accessoires admis par le législateur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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