Tribunal judiciaire de Chartres, le 17 juin 2025, n°24/03576

Le contentieux des baux d’habitation constitue une part significative de l’activité des juridictions civiles. Le non-paiement des loyers demeure le motif principal de saisine du juge des contentieux de la protection. La présente décision illustre le traitement judiciaire classique de cette situation.

Le tribunal judiciaire de Chartres, statuant en qualité de juge des contentieux de la protection, a rendu le 17 juin 2025 un jugement relatif à la résiliation d’un bail d’habitation pour défaut de paiement des loyers.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Une société civile immobilière a consenti le 13 juin 2023 un bail d’habitation portant sur un logement situé à Bonneval, moyennant un loyer mensuel de 540 euros augmenté de 10 euros de provisions sur charges. La locataire a cessé de régler régulièrement les loyers. La bailleresse lui a fait délivrer un premier commandement de payer le 11 octobre 2023 pour la somme de 1 712 euros, puis un second le 28 mai 2024 pour la somme de 1 705 euros.

Face à la persistance des impayés, la bailleresse a fait assigner la locataire devant le juge des contentieux de la protection par acte du 5 décembre 2024. Elle sollicitait la résiliation du bail, l’expulsion de l’occupante, sa condamnation au paiement de l’arriéré locatif actualisé à la somme de 5 325,01 euros ainsi qu’une indemnité d’occupation jusqu’à libération des lieux. Elle demandait également une astreinte de 50 euros par jour de retard ainsi qu’une somme de 600 euros au titre des frais irrépétibles.

La locataire, régulièrement citée à étude, n’a comparu ni en personne ni par représentant à l’audience du 1er avril 2025.

La question de droit soumise au tribunal était la suivante : le défaut de paiement des loyers caractérise-t-il un manquement d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du bail et quelles en sont les conséquences ?

Le tribunal prononce la résiliation du bail à la date du jugement. Il ordonne l’expulsion à défaut de départ volontaire dans les deux mois suivant la signification d’un commandement de quitter les lieux. Il condamne la locataire au paiement de l’arriéré de 5 325,01 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation, ainsi qu’au paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’à libération des lieux. Il rejette la demande d’astreinte et réduit l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 400 euros.

Cette décision appelle un examen portant sur les conditions de la résiliation judiciaire pour manquement du locataire (I), puis sur le régime des mesures consécutives à cette résiliation (II).

I. Les conditions de la résiliation judiciaire pour défaut de paiement

Le prononcé de la résiliation judiciaire suppose la caractérisation d’un manquement suffisamment grave (A), dont l’appréciation relève du pouvoir souverain du juge (B).

A. L’exigence d’un manquement suffisamment grave

Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1224, 1227 et 1228 du code civil. Ces textes subordonnent la résolution du contrat à « une inexécution suffisamment grave » des obligations contractuelles. L’article 1728 du même code rappelle que le locataire est tenu de « payer le prix du bail aux termes convenus ».

Le jugement relève que « le paiement des loyers est irrégulier et que la dette a augmenté de manière significative à compter du mois d’octobre 2024 ». Cette formulation traduit une appréciation in concreto du comportement du débiteur. Le juge ne se contente pas de constater l’existence d’un arriéré. Il examine l’évolution de la dette dans le temps et l’absence de régularisation malgré les commandements délivrés.

La caractérisation de la gravité repose sur plusieurs indices factuels. Deux commandements de payer sont demeurés infructueux en l’espace de sept mois. L’arriéré représente près de dix mois de loyer au jour de l’audience. L’absence totale de versement depuis octobre 2024 démontre une défaillance persistante du débiteur.

B. Le pouvoir souverain d’appréciation du juge

Le tribunal rappelle qu’« il appartient au juge d’apprécier souverainement si les manquements imputés sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat ». Cette formule consacre une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de fixer un seuil quantitatif à partir duquel la résiliation serait automatique.

La défaillance du locataire s’apprécie au regard de l’ensemble des circonstances. Le montant de la dette constitue un élément parmi d’autres. La durée de l’impayé, les efforts de régularisation, la situation personnelle du débiteur entrent également en ligne de compte. En l’espèce, l’absence de comparution de la locataire prive le juge d’informations sur sa situation. Le tribunal relève expressément que cette « absence à l’audience ne permet pas de connaître sa situation ».

Cette circonstance empêche l’octroi de délais de paiement. L’article 1228 du code civil autorise le juge à « ordonner l’exécution du contrat en accordant éventuellement un délai au débiteur ». Cette faculté suppose toutefois que le débiteur justifie de sa capacité à apurer sa dette. L’absence de comparution et de reprise des paiements avant l’audience rend impossible toute mesure de faveur.

II. Le régime des mesures consécutives à la résiliation

La résiliation du bail emporte des conséquences sur l’occupation des lieux (A) et sur les obligations pécuniaires du locataire défaillant (B).

A. L’encadrement de la procédure d’expulsion

Le tribunal ordonne l’expulsion « à défaut de départ volontaire des lieux » dans un délai de deux mois suivant la signification d’un commandement de quitter les lieux. Ce délai résulte des dispositions de l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution. Il constitue une protection minimale accordée à l’occupant.

La demande d’astreinte formulée par la bailleresse est rejetée. Le tribunal estime que « la procédure d’expulsion, si elle devait être mise en œuvre, est suffisamment contraignante ». Il ajoute que « de telles conditions sont suffisantes pour assurer l’exécution de la présente décision ». Cette motivation traduit une conception restrictive du recours à l’astreinte en matière d’expulsion.

L’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution confère au juge un pouvoir discrétionnaire pour prononcer une astreinte. La jurisprudence admet classiquement son prononcé pour contraindre un occupant récalcitrant. Le refus de l’astreinte en l’espèce peut s’expliquer par l’existence d’un arsenal coercitif suffisant. Le concours de la force publique et l’intervention d’un serrurier constituent des moyens d’exécution forcée. L’astreinte n’ajouterait rien à ces moyens contre un débiteur impécunieux.

B. La détermination des condamnations pécuniaires

Le tribunal prononce une triple condamnation. La locataire doit payer l’arriéré locatif de 5 325,01 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation. Elle doit également verser une indemnité d’occupation mensuelle jusqu’à libération effective des lieux. Elle supporte enfin les dépens et une indemnité de 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La nature de l’indemnité d’occupation est précisée par le jugement. Le tribunal rappelle qu’elle possède « une nature mixte, compensatoire et indemnitaire ». Elle constitue « la contrepartie de l’occupation du bien après résiliation du bail et de son indisponibilité pour le bailleur ». Cette définition reprend la formulation adoptée par la Cour de cassation.

Le montant de l’indemnité d’occupation est fixé « au montant du loyer et des charges tels qu’ils auraient été si le bail s’était poursuivi ». Cette solution est classique lorsque le locataire se maintient dans les lieux après résiliation. L’équivalence avec le loyer contractuel évite tout enrichissement du bailleur. Elle évite également toute incitation pour l’occupant à prolonger son maintien irrégulier.

La réduction de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 600 à 400 euros illustre le pouvoir modérateur du juge. Le tribunal prend en compte l’équité et la situation économique des parties. La défaillance du locataire suggère des difficultés financières. Une condamnation excessive risquerait de demeurer purement théorique.

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Hassan KOHEN
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