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Le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, statuant par jugement du 16 juin 2025, apporte une contribution remarquée au contentieux du divorce pour altération définitive du lien conjugal et à celui de la prestation compensatoire. Cette décision illustre la manière dont le juge aux affaires familiales apprécie les critères légaux pour déterminer tant la date des effets patrimoniaux du divorce que le quantum de la compensation due à l’époux économiquement défavorisé.
Deux époux s’étaient mariés le 28 octobre 2006 sous le régime de la séparation de biens. De leur union sont nées deux enfants en 2003 et 2005. Le mari, fréquemment en déplacement professionnel, a disposé d’un logement indépendant dans le Gers à compter de février 2023, tout en continuant à revenir au domicile conjugal les fins de semaine jusqu’en juin 2023. L’épouse exerçait la profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Par acte du 9 février 2024, le mari a assigné son épouse en divorce sans indiquer les motifs de sa demande. Une ordonnance du 11 avril 2024 a notamment fixé la pension alimentaire au titre du devoir de secours à 450 euros mensuels. Dans ses dernières conclusions, le mari sollicitait le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal, la fixation de la date des effets patrimoniaux au 1er février 2023, le rejet de la demande d’usage du nom marital et l’attribution à l’épouse d’une prestation compensatoire de 25 000 euros. L’épouse demandait quant à elle que la date des effets soit fixée au 11 juin 2023, l’autorisation de conserver l’usage du nom de son mari et une prestation compensatoire de 80 000 euros.
Le tribunal devait ainsi répondre à trois questions distinctes. À quelle date fallait-il fixer la cessation de la cohabitation et de la collaboration entre époux au sens de l’article 262-1 du code civil ? L’épouse justifiait-elle d’un intérêt particulier à conserver l’usage du nom marital conformément à l’article 264 du code civil ? Quel montant de prestation compensatoire permettait de compenser la disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux ?
Le tribunal a prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal, fixé la date des effets patrimoniaux au 11 juin 2023, autorisé l’épouse à conserver l’usage du nom de son mari et condamné celui-ci au paiement d’une prestation compensatoire de 40 000 euros en capital.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’appréciation par le juge des critères temporels et identitaires du divorce (I) qu’au regard de la méthode retenue pour évaluer la prestation compensatoire (II).
I. L’appréciation rigoureuse des critères temporels et identitaires du divorce
Le tribunal se prononce sur deux questions préalables au règlement patrimonial : la détermination de la date à laquelle les effets du divorce prennent naissance entre les époux (A) et le maintien du droit pour l’épouse d’user du nom marital (B).
A. La caractérisation exigeante de la cessation de cohabitation et de collaboration
L’article 262-1 du code civil permet au juge, à la demande d’un époux, de reporter les effets patrimoniaux du divorce à la date à laquelle les époux ont cessé de cohabiter et de collaborer. Ce report constitue une exception au principe selon lequel ces effets remontent à la date de l’assignation. Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si la double condition de cessation est remplie.
En l’espèce, le mari soutenait que la séparation effective datait de février 2023, époque à laquelle il avait pris un logement indépendant. Le tribunal écarte cette analyse par un motif particulièrement éclairant. Il relève que « les activités professionnelles de l’époux le tenaient durant la vie commune généralement éloigné du domicile familial en semaine ». Dès lors, « le seul fait que Monsieur dispose depuis février 2023 d’un logement indépendant dans le Gers ne permet pas de caractériser une cessation à cette date de la cohabitation et de la collaboration des époux ».
Cette motivation révèle une conception substantielle et non formelle de la communauté de vie. Le tribunal refuse de déduire la séparation du seul éloignement géographique lorsque celui-ci s’inscrit dans la continuité d’un mode de vie antérieur. La cohabitation ne se réduit pas à une présence physique quotidienne mais suppose une volonté commune de maintenir le foyer conjugal. Tant que le mari continuait à revenir au domicile familial les fins de semaine, conformément à ses habitudes pendant le mariage, la communauté de vie perdurait. Le tribunal retient donc la date du 11 juin 2023 proposée par l’épouse, correspondant au moment où ces retours réguliers ont cessé.
Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige la démonstration d’une rupture effective et non simplement matérielle du lien conjugal. Elle protège l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la séparation contre un report excessif des effets patrimoniaux.
B. La reconnaissance d’un intérêt particulier à l’usage du nom marital
L’article 264 du code civil pose le principe de la perte de l’usage du nom du conjoint à la suite du divorce. Par exception, cet usage peut être maintenu avec l’accord du conjoint ou l’autorisation du juge, à condition de justifier d’un intérêt particulier pour soi-même ou pour les enfants.
L’épouse invoquait trois arguments : la volonté de conserver le même nom que ses enfants, l’usage du nom marital depuis dix-huit ans et les difficultés professionnelles qu’engendrerait un changement de nom dans l’exercice de ses fonctions de mandataire judiciaire auprès de plus de 1 500 personnes. Le mari objectait que ces considérations étaient indifférentes et que les démarches administratives ne sauraient caractériser l’intérêt particulier exigé par la loi.
Le tribunal accueille la demande en retenant que l’épouse « fait usage du nom de son époux depuis 18 ans et il est difficilement contestable qu’à l’âge de 50 ans ce nom est devenu une composante importante de son identité tant personnelle que professionnelle ». Il ajoute que « la priver désormais de cet usage, alors qu’il ne lui est par ailleurs aucunement reproché d’avoir porté atteinte à l’honneur de ce nom ou de son époux, serait porter une atteinte tout à fait disproportionnée à cette identité ».
Cette motivation présente un double intérêt. Elle consacre une conception élargie de l’intérêt particulier qui dépasse la seule sphère professionnelle pour englober l’identité personnelle construite au fil du mariage. Le tribunal procède à un contrôle de proportionnalité en mettant en balance l’intérêt de l’épouse à conserver son identité et l’absence de motif légitime du mari à s’y opposer. L’absence de tout comportement de l’épouse portant atteinte à l’honneur du nom constitue un élément déterminant de cette appréciation.
La portée de cette solution dépasse le cas d’espèce. Elle suggère qu’après une longue durée de mariage, l’usage prolongé du nom conjugal peut fonder à lui seul un intérêt particulier, indépendamment de considérations purement professionnelles.
II. La méthode d’évaluation de la prestation compensatoire
Le tribunal procède à une analyse détaillée de la situation respective des époux (A) avant de fixer le montant de la prestation compensatoire selon une approche médiane (B).
A. L’examen circonstancié des situations patrimoniales et professionnelles
L’article 271 du code civil énumère les critères que le juge doit prendre en considération pour fixer la prestation compensatoire. Le tribunal applique méthodiquement cette grille d’analyse en examinant successivement la durée du mariage, l’âge et la situation professionnelle des époux, les choix effectués pendant la vie commune et le patrimoine de chacun.
S’agissant de l’épouse, le tribunal relève qu’elle perçoit un revenu mensuel d’environ 2 812 euros, qu’elle supporte un loyer de 700 euros et qu’elle dispose d’une épargne de 15 000 euros environ. Sur le plan professionnel, le juge note qu’« il est incontestable que la charge de la prise en charge des enfants a beaucoup reposé sur elle alors que le mari était fréquemment en déplacement professionnel ». Cette circonstance « a certainement pesé sur les choix professionnels de Madame sans pour autant qu’il puisse en être déduit l’existence de sacrifices professionnels au vu des seules pièces versées aux débats ».
Cette formulation nuancée mérite attention. Le tribunal reconnaît l’impact des contraintes familiales sur la carrière de l’épouse tout en refusant de présumer l’existence de sacrifices professionnels en l’absence de démonstration précise. Cette approche prudente impose à l’époux qui invoque de tels sacrifices d’en rapporter la preuve concrète.
S’agissant du mari, le tribunal constate qu’il perçoit des revenus mensuels d’environ 5 500 euros et qu’il dispose d’un patrimoine immobilier significatif, notamment un bien évalué à 235 000 euros constituant l’ancien domicile conjugal. Le juge relève l’existence de crédits mais souligne que ceux-ci ont permis la constitution d’un patrimoine immobilier. L’affection diabétique du mari est mentionnée mais écartée comme élément pertinent, faute de démonstration de conséquences professionnelles.
B. La détermination équilibrée du quantum de la prestation
Le tribunal conclut à l’existence d’une « disparité certaine dans les conditions de vie respectives des époux » créée par la rupture du mariage. Cette disparité résulte principalement de l’écart de revenus et de patrimoine entre les époux, accentué par le fait que l’épouse a davantage assumé les charges familiales pendant l’union.
Face à des demandes très éloignées (25 000 euros pour le mari, 80 000 euros pour l’épouse), le tribunal fixe la prestation compensatoire à 40 000 euros en capital. Ce montant se situe exactement entre les deux propositions, ce qui pourrait suggérer une approche purement arithmétique. La motivation du jugement révèle cependant une appréciation plus fine.
Le tribunal retient le principe d’une compensation sans pour autant accueillir la demande de l’épouse dans son intégralité. Plusieurs éléments expliquent cette modération. L’épouse dispose de revenus propres non négligeables et d’une capacité d’épargne. L’existence de sacrifices professionnels n’est pas établie avec certitude. Enfin, les deux enfants du couple, majeures au jour du jugement, n’imposent plus de contraintes éducatives susceptibles d’entraver l’évolution professionnelle de l’épouse.
La prestation est versée en capital conformément au principe posé par l’article 270 du code civil. Ce mode de règlement présente l’avantage de solder définitivement les relations patrimoniales entre les anciens époux. Le tribunal ne recourt pas au versement échelonné prévu par l’article 275 du code civil, estimant implicitement que la situation financière du débiteur permet un paiement immédiat.
Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle qui refuse tant la sous-évaluation que la surévaluation de la prestation compensatoire. Elle rappelle que cette prestation n’a pas vocation à assurer un partage égalitaire des patrimoines mais seulement à compenser la disparité créée par le divorce. Le juge conserve un large pouvoir d’appréciation pour parvenir à une solution équitable tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.