Tribunal judiciaire de Compiègne, le 19 juin 2025, n°25/00118

Le contentieux des baux d’habitation constitue un terrain privilégié d’observation des exigences procédurales imposées aux bailleurs. Le jugement rendu le 19 juin 2025 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Compiègne en offre une illustration significative.

En l’espèce, un bail d’habitation avait été conclu le 1er juillet 2025 portant sur un local situé dans l’Oise, moyennant un loyer mensuel de 680 euros outre 20 euros de charges. Le bien avait été cédé par acte authentique du 28 janvier 2021 à une nouvelle propriétaire. Face à des loyers demeurés impayés, un commandement de payer la somme de 12 487 euros avait été délivré les 6 et 7 novembre 2024 aux locataires. La bailleresse, représentée par deux personnes habilitées par décision du juge des contentieux de la protection du 9 février 2024, avait fait assigner les locataires par acte du 12 mars 2025 aux fins notamment de voir prononcer la résiliation du bail et ordonner leur expulsion.

A l’audience du 15 mai 2025, les demanderesses, représentées par leur conseil, avaient réitéré leurs demandes et actualisé le montant de leur créance. Les défendeurs, régulièrement convoqués, n’avaient ni comparu ni été représentés.

Le juge des contentieux de la protection devait déterminer si la demande en résiliation du bail était recevable au regard des exigences procédurales prévues par l’article 24 III de la loi du 6 juillet 1989.

Par jugement avant dire droit, le juge ordonne la réouverture des débats. Il relève que les demanderesses ne justifient pas avoir notifié l’assignation au représentant de l’État dans le département conformément aux dispositions légales. Il précise que « la circonstance que la demande en résiliation soit fondée sur le défaut de paiement des loyers à échéance n’est pas de nature à exclure l’obligation pour le bailleur de justifier d’une telle opération ». Les parties sont invitées à s’expliquer sur cette difficulté lors d’une audience ultérieure fixée au 9 octobre 2025.

Cette décision illustre la rigueur du formalisme procédural en matière de résiliation de bail d’habitation (I) tout en révélant l’office du juge face aux carences du bailleur (II).

I. La rigueur du formalisme procédural en matière de résiliation de bail

L’article 24 III de la loi du 6 juillet 1989 impose au bailleur une obligation de notification préalable dont le non-respect est sanctionné par l’irrecevabilité (A), obligation que le juge rappelle avec fermeté en écartant toute interprétation restrictive (B).

A. L’obligation de notification au représentant de l’État

Le législateur a institué un dispositif de prévention des expulsions locatives qui impose au bailleur de notifier l’assignation aux fins de constat de résiliation au représentant de l’État dans le département. Cette notification doit intervenir « au moins six semaines avant l’audience » selon les termes de l’article 24 III de la loi du 6 juillet 1989. Le texte prévoit expressément que le non-respect de cette formalité entraîne l’irrecevabilité de la demande.

Cette exigence procédurale poursuit une finalité sociale évidente. Elle permet la réalisation d’un diagnostic social et financier au cours duquel locataire et bailleur peuvent présenter leurs observations. Ce diagnostic est ensuite transmis au juge avant l’audience ainsi qu’à la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives.

En l’espèce, le juge constate que les demanderesses « ne justifient pas avoir respecté les dispositions de l’article susvisé ». Cette carence procédurale est relevée d’office par le magistrat alors même que les défendeurs n’ont pas comparu. L’article 472 du code de procédure civile impose en effet au juge de ne faire droit à la demande que dans la mesure où il l’estime « régulière, recevable et bien fondée ».

B. Le rejet de toute interprétation restrictive

Le juge prend soin de préciser dans sa motivation que « la circonstance que la demande en résiliation soit fondée sur le défaut de paiement des loyers à échéance n’est pas de nature à exclure l’obligation pour le bailleur de justifier d’une telle opération auprès du représentant de l’État dans le Département ». Cette formulation écarte toute tentation d’interpréter restrictivement le champ d’application de l’article 24 III.

Certains bailleurs pourraient en effet être tentés de soutenir que la clause résolutoire insérée au contrat dispenserait du respect de ces formalités dès lors que la résiliation résulterait du seul jeu de cette clause. Le juge refuse cette lecture en rappelant le caractère général de l’obligation de notification. Le formalisme imposé par le législateur s’applique indépendamment du fondement juridique de la demande en résiliation.

Cette interprétation stricte s’inscrit dans la logique protectrice voulue par le législateur. Le dispositif de prévention des expulsions vise précisément les situations de défaut de paiement des loyers. Exclure ces hypothèses du champ de l’article 24 III viderait la disposition de l’essentiel de son utilité pratique.

II. L’office du juge face aux carences procédurales du bailleur

Plutôt que de prononcer immédiatement l’irrecevabilité, le juge opte pour une réouverture des débats (A), manifestant ainsi une approche pédagogique qui préserve les droits des parties (B).

A. Le choix de la réouverture des débats

Le juge pouvait théoriquement déclarer la demande irrecevable dès l’audience du 15 mai 2025. L’article 24 III de la loi de 1989 prévoit en effet cette sanction « à peine d’irrecevabilité ». Le magistrat fait cependant un autre choix en ordonnant la réouverture des débats sur le fondement des articles 370 et suivants et 444 du code de procédure civile.

L’article 444 impose au président d’ordonner cette réouverture « chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés ». En l’espèce, la question du respect de l’article 24 III n’avait manifestement pas été débattue à l’audience initiale.

Cette solution présente l’avantage de permettre aux demanderesses de régulariser leur situation procédurale. Si la notification au préfet a bien été effectuée, elles pourront en justifier. Dans le cas contraire, elles pourront accomplir cette formalité avant la nouvelle audience, sous réserve du respect du délai de six semaines.

B. Une approche préservant les droits des parties

Le jugement avant dire droit surseoit à statuer sur l’ensemble des demandes. Les droits des parties sont réservés ainsi que les dépens. Cette technique permet d’éviter un rejet définitif de la demande pour un motif purement procédural.

Le juge rappelle néanmoins qu’il « pourra être tiré toute conséquence du refus ou de l’abstention des parties ». Cette formule constitue un avertissement clair. Si les demanderesses ne justifient pas du respect des formalités légales lors de l’audience du 9 octobre 2025, l’irrecevabilité devra être prononcée.

Cette décision illustre l’équilibre recherché par le juge entre le respect du formalisme légal et le souci de ne pas sanctionner prématurément une partie qui pourrait être en mesure de régulariser sa situation. Elle témoigne également de l’attention portée par les juridictions au dispositif de prévention des expulsions locatives voulu par le législateur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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