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L’article 145 du code de procédure civile constitue un instrument essentiel de l’administration de la preuve en matière civile. Il permet à tout intéressé d’obtenir, avant tout procès, des mesures d’instruction destinées à établir ou conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. La question de l’extension d’une expertise judiciaire à des tiers, initialement étrangers à la procédure, soulève des difficultés particulières lorsque l’un des intervenants à l’origine des désordres a disparu en raison de la dissolution de la société qu’il dirigeait.
Une particulière a confié, par acte du 1er octobre 2022, à une société la conception et la réalisation d’une piscine couverte. Cette société a sous-traité plusieurs lots à différents intervenants : un artisan pour les menuiseries, un autre pour l’électricité et la ventilation, et deux sociétés successives pour la maçonnerie. Des infiltrations d’eau sont apparues au niveau des jonctions de panneaux et des pannes de charpente. Un rapport de recherche de fuite établi le 20 avril 2021 a révélé l’existence de plusieurs désordres nécessitant des travaux de reprise.
Par ordonnance du 10 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon a ordonné une expertise judiciaire, initialement confiée à un premier expert, puis à un second. L’expert désigné a, dans une note aux parties du 5 décembre 2024, estimé utile la mise en cause de l’ensemble des intervenants ayant participé au chantier. La maître de l’ouvrage a alors assigné en référé, par actes des 24, 27, 30 décembre 2024 et 7 janvier 2025, les différents artisans et leurs assureurs, ainsi que l’ancien gérant de la société maître d’œuvre, laquelle avait entre-temps été dissoute et radiée du registre du commerce et des sociétés. L’ancien gérant a soulevé l’irrecevabilité des demandes formées à son encontre, faisant valoir qu’il n’avait contracté qu’en qualité de représentant légal d’une société désormais inexistante.
La question posée au juge des référés était double. Il s’agissait de déterminer si la demanderesse justifiait d’un motif légitime à rendre l’expertise commune aux différents intervenants du chantier et à leurs assureurs, et si l’ancien gérant d’une société dissoute pouvait être personnellement attrait aux opérations d’expertise alors qu’il n’avait pas contracté en son nom propre.
Par ordonnance du 16 juin 2025, le tribunal judiciaire de Dijon a fait droit à la demande d’extension de l’expertise à l’égard des artisans, de leurs assureurs et des sociétés de maçonnerie. Il a en revanche mis hors de cause l’ancien gérant au motif que « cette SARL n’a plus d’existence légale et ne peut donc être attraite à la cause » et que l’ancien gérant « ne saurait représenter une société liquidée » ni « n’a contracté en son nom personnel » avec la demanderesse.
Cette décision invite à examiner les conditions de l’extension d’une mesure d’expertise à des tiers (I), avant d’analyser les limites de cette extension lorsque l’intervenant recherché a agi en qualité de représentant d’une personne morale dissoute (II).
I. Les conditions de l’extension de l’expertise à des tiers
L’extension d’une mesure d’expertise judiciaire à des parties initialement étrangères à la procédure suppose la démonstration d’un motif légitime (A), dont l’appréciation relève du pouvoir souverain du juge des référés (B).
A. L’exigence d’un motif légitime d’extension
L’article 145 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une mesure d’instruction in futurum à l’existence d’un motif légitime. Cette condition s’applique tant à la demande initiale qu’à l’extension ultérieure de la mesure à d’autres parties. Le juge des référés rappelle qu’il est « nécessaire, et suffisant, conformément aux conditions posées par ce texte, qu’il existe un motif légitime de rendre l’expertise commune à d’autres parties que celles initialement visées ».
La notion de motif légitime s’apprécie au regard de la vraisemblance du litige potentiel et de l’utilité de la mesure sollicitée. En l’espèce, le juge retient que « la première note aux parties de l’expert désigné et la nature des désordres » justifient l’extension demandée. L’expert avait lui-même préconisé la mise en cause de l’ensemble des intervenants susceptibles d’avoir contribué aux désordres constatés.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La deuxième chambre civile juge de manière répétée que le juge des référés peut étendre une mesure d’expertise à des tiers dès lors qu’existe un motif légitime de leur rendre cette mesure opposable. L’intérêt de cette extension réside dans la possibilité ultérieure d’invoquer les conclusions de l’expert à l’encontre de l’ensemble des personnes susceptibles d’être appelées en garantie ou déclarées responsables.
B. L’appréciation souveraine du juge des référés
Le juge des référés dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence du motif légitime invoqué. En l’espèce, il fonde sa décision sur deux éléments : les préconisations de l’expert et la nature même des désordres. Les infiltrations constatées au niveau des jonctions de panneaux et des pannes de charpente pouvaient en effet résulter d’une pluralité de causes imputables aux différents corps de métier intervenus sur le chantier.
L’ordonnance donne acte aux défendeurs de leurs « protestations et réserves », formule traditionnelle qui préserve l’ensemble de leurs droits et moyens pour la suite de la procédure. Cette précaution rappelle que l’extension de l’expertise ne préjuge en rien de la responsabilité des parties ainsi mises en cause. Elle vise uniquement à leur rendre opposables les constatations de l’expert et à leur permettre de participer aux opérations expertales.
La charge financière de l’extension demeure provisoirement supportée par la demanderesse, qui doit consigner une provision complémentaire de 2 000 euros. Cette solution est conforme à la règle selon laquelle celui qui sollicite une mesure d’instruction doit en assurer le financement, sous réserve de la répartition définitive des dépens lors du jugement au fond.
II. Les limites de l’extension à l’égard du dirigeant d’une société dissoute
La dissolution d’une société fait obstacle à sa mise en cause dans une procédure judiciaire (A), sans que cette disparition puisse être imputée à son ancien dirigeant agissant en qualité de personne physique (B).
A. L’impossibilité d’attraire une société dissoute
Le juge des référés constate que la société maître d’œuvre « n’a plus d’existence légale et ne peut donc être attraite à la cause ». Cette affirmation découle directement des règles gouvernant la personnalité morale des sociétés. La radiation du registre du commerce et des sociétés, consécutive à la clôture des opérations de liquidation, met fin à l’existence juridique de la personne morale.
La jurisprudence admet certes que la personnalité morale d’une société subsiste pour les besoins de sa liquidation, conformément à l’article 1844-8 du code civil. Cette survie permet notamment d’agir contre une société en liquidation ou de poursuivre les instances en cours. Toutefois, une fois la liquidation clôturée et la radiation prononcée, la société n’existe plus et ne peut être partie à une instance.
En l’espèce, la société avait fait l’objet d’une dissolution suivie d’une liquidation amiable et d’une radiation. Aucune action n’était donc plus recevable à son encontre. La demanderesse ne pouvait davantage solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc aux fins de représenter la société dissoute, cette possibilité n’étant ouverte que lorsque des actifs subsistent ou que des créances demeurent à recouvrer.
B. L’absence de responsabilité personnelle du dirigeant
Le juge des référés refuse d’étendre l’expertise à l’ancien gérant au motif qu’il « ne saurait représenter une société liquidée » et « n’a pas contracté en son nom personnel » avec la demanderesse. Cette solution applique rigoureusement le principe de la distinction entre la personne morale et ses dirigeants.
Le dirigeant d’une société n’est pas personnellement tenu des engagements souscrits au nom de celle-ci. Seule la mise en évidence d’une faute détachable de ses fonctions, d’une confusion de patrimoine ou d’une fraude permettrait d’engager sa responsabilité personnelle. En l’absence de tels éléments, l’ancien gérant demeure étranger aux relations contractuelles nouées entre la société qu’il représentait et le maître de l’ouvrage.
La demanderesse avait tenté de contourner cette difficulté en invoquant la production par l’ancien gérant d’une fausse attestation d’assurance. Cette circonstance, à la supposer établie, aurait pu caractériser une faute personnelle de nature à engager sa responsabilité. Le juge des référés ne retient cependant pas cet argument, estimant que le motif légitime d’extension de l’expertise fait défaut. Cette appréciation relève de son pouvoir souverain et pourrait être discutée devant le juge du fond si la demanderesse établit ultérieurement l’existence d’agissements frauduleux.
Le refus de condamner l’ancien gérant au titre de l’article 700 du code de procédure civile traduit une appréciation nuancée de la situation. Le juge considère qu’il « n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge » de l’ancien gérant ses frais irrépétibles. Cette formulation suggère que la demande dirigée contre lui, bien qu’irrecevable, n’était pas dépourvue de tout fondement apparent au regard des circonstances de l’espèce.