Tribunal judiciaire de Dijon, le 17 juin 2025, n°24/00152

Par un jugement rendu le 17 juin 2025, le pôle social du tribunal judiciaire de Dijon s’est prononcé sur la question de la reconnaissance d’un accident du travail. Cette décision aborde la problématique de la preuve de la matérialité d’un accident du travail lorsque le salarié invoque des lésions survenues au temps et au lieu du travail, mais en l’absence de témoin.

Un salarié exerçait des fonctions impliquant la pose d’horloges sur des mobiliers publicitaires. Le 8 juin 2023, alors qu’il procédait à l’ouverture de portes de caissons, il a ressenti des douleurs aux deux épaules. Un certificat médical initial établi le 9 juin 2023 a constaté une tendinopathie de la coiffe des rotateurs et une tendinite du biceps. L’employeur a déclaré l’accident le 12 juin 2023.

La caisse primaire d’assurance maladie a diligenté une instruction et, par notification du 5 septembre 2023, a refusé la prise en charge de l’événement au titre de la législation professionnelle. Le salarié a saisi la commission de recours amiable le 7 novembre 2024, laquelle n’a pas statué dans le délai imparti. Par requête du 4 mars 2024, il a saisi le tribunal judiciaire de Dijon.

Le salarié soutenait bénéficier de la présomption d’imputabilité prévue par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. Il affirmait avoir ressenti brutalement des douleurs en ouvrant un panneau anormalement résistant et rappelait qu’un accident comparable survenu le 9 mars 2023 avait été pris en charge. La caisse faisait valoir que la preuve de la matérialité de l’accident ne pouvait résulter des seules affirmations du salarié en l’absence de témoin, que les lésions résultaient de gestes répétitifs et non d’un fait accidentel soudain, et que la déclaration tardive n’était pas justifiée.

La question posée au tribunal était la suivante : un salarié peut-il bénéficier de la présomption d’imputabilité de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale lorsqu’il ne peut corroborer ses affirmations relatives à la survenance d’un fait accidentel par des éléments objectifs extérieurs à ses propres déclarations ?

Le tribunal a validé le refus de prise en charge, considérant que le salarié n’avait pas rapporté la preuve d’un fait accidentel et soudain susceptible d’être à l’origine de son affection. La juridiction a relevé l’absence de témoin, la déclaration tardive à l’employeur, l’imprécision du certificat médical quant au mécanisme accidentel et les déclarations du salarié évoquant des postures répétitives depuis plusieurs mois.

La preuve de la matérialité constitue un préalable indispensable à la présomption d’imputabilité (I), ce qui conduit à distinguer l’accident du travail de la maladie professionnelle (II).

I. L’exigence d’une preuve de la matérialité distincte des seules affirmations du salarié

A. Le rappel du principe jurisprudentiel

Le tribunal rappelle que « pour bénéficier de la présomption d’imputabilité, le salarié doit non seulement justifier de lésions apparues au temps et au lieu du travail, mais également de la survenance alors d’un fait accidentel ». Cette formulation synthétise une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

La juridiction cite expressément plusieurs arrêts fondateurs. Elle mentionne notamment que « la Cour de cassation juge que la preuve d’une lésion survenue au temps et au lieu du travail ne peut résulter de la seule affirmation du salarié ». Cette exigence probatoire vise à éviter les déclarations de complaisance et à garantir que seuls les véritables accidents bénéficient de la présomption légale. Le tribunal ajoute que « les allégations de la victime ou prétendue victime doivent être corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes ».

Cette position s’inscrit dans une logique de loyauté probatoire. La présomption d’imputabilité constitue un avantage considérable pour le salarié puisqu’elle dispense de prouver le lien de causalité entre le travail et la lésion. En contrepartie, il apparaît légitime d’exiger que le fait générateur soit établi par des éléments extérieurs aux seules déclarations de l’intéressé.

B. L’application aux circonstances de l’espèce

Le tribunal procède à une analyse méthodique des éléments du dossier. Il constate d’abord « qu’il n’existe pas de témoin pour attester du mécanisme accidentel invoqué » et que « tout repose uniquement sur les déclarations de l’assuré ».

La juridiction relève ensuite plusieurs éléments affaiblissant la crédibilité de la version du salarié. La déclaration à l’employeur est intervenue dans un délai de quatre jours, ce que le tribunal qualifie de tardif « alors même que l’assuré est rompu à l’exercice de la déclaration d’accident ». Cette dernière observation suggère que le salarié, ayant déjà connu des procédures similaires, aurait dû connaître l’importance d’une déclaration rapide. Le certificat médical, établi le lendemain, ne comportait aucune précision quant au mécanisme accidentel et a servi également à une déclaration de maladie professionnelle.

La convergence de ces éléments conduit le tribunal à considérer que le salarié ne produit « aucun élément susceptible de prouver l’existence de circonstances constitutives du faisceau d’indices permettant de corroborer ses assertions ». Le rejet de la demande apparaît ainsi fondé sur une appréciation globale et non sur l’absence isolée de témoin.

II. La frontière entre accident du travail et maladie professionnelle

A. L’exigence d’un événement soudain

Le tribunal souligne que les déclarations du salarié au questionnaire de la caisse « évoquent des postures de travail répétitives et délétères, accomplies depuis des mois qui provoquent douleurs dans les épaules et la nuque ». Cette constatation revêt une importance déterminante.

La juridiction en déduit « qu’il transparaît que le requérant identifie des douleurs qui traduisent davantage une manifestation de sa pathologie au cours de certaines tâches accomplies dans le travail ». Cette analyse met en lumière la distinction fondamentale entre l’accident du travail et la maladie professionnelle. Le premier suppose un événement soudain et imprévu. La seconde résulte d’une exposition prolongée à des facteurs de risque liés à l’activité professionnelle.

La caisse avait d’ailleurs fait valoir que « les lésions résultant de l’action lente et prolongée d’un mode de travail ne sont pas susceptibles d’être prises en charge au titre d’un accident du travail ». Le tribunal ne reprend pas expressément cet argument mais son raisonnement y aboutit implicitement. Les propres déclarations du salarié décrivent un processus d’usure progressive incompatible avec la notion d’accident.

B. Les conséquences de cette qualification

La décision présente une portée pratique significative pour les salariés confrontés à des lésions d’apparition progressive. Elle rappelle que la voie de l’accident du travail ne peut être utilisée pour contourner les exigences de la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

Le tribunal observe que le même certificat médical a servi à la déclaration de maladie professionnelle relative aux deux épaules et que celle concernant l’épaule droite a été prise en charge. Cette circonstance éclaire le contexte de l’affaire. Le salarié disposait d’une voie de reconnaissance adaptée à sa situation pathologique. La tentative de qualification en accident du travail apparaissait dès lors comme une stratégie alternative plutôt que comme la description fidèle d’un événement vécu.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence vigilante quant à la frontière entre les deux régimes. Elle préserve la cohérence du système de réparation des risques professionnels en réservant la présomption d’imputabilité aux véritables accidents, caractérisés par leur soudaineté. Les lésions résultant de contraintes professionnelles répétées relèvent du régime des maladies professionnelles, lequel prévoit des modalités de reconnaissance distinctes. Le tribunal garantit ainsi l’effectivité de cette distinction voulue par le législateur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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