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La mise en œuvre de la clause résolutoire dans le bail d’habitation constitue un mécanisme fréquemment sollicité par les bailleurs confrontés à des impayés locatifs. Le juge des contentieux de la protection, saisi en référé, doit alors concilier les impératifs de sécurité du créancier avec la protection du locataire en difficulté. L’ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire de Dijon le 20 juin 2025 illustre cette tension entre l’automaticité de la clause résolutoire et le pouvoir modérateur du juge.
En l’espèce, un établissement public à caractère industriel et commercial avait consenti, par actes sous seing privé du 26 avril 2018, la location d’un appartement et d’un garage à deux époux. Le loyer mensuel s’élevait à 680,01 euros pour le logement et 35,99 euros pour le garage. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 23 octobre 2024, pour une somme de 3 369,47 euros. Ce commandement a été notifié à la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives le lendemain.
Le commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné les locataires en référé devant le Tribunal judiciaire de Dijon le 21 janvier 2025, sollicitant le constat de la résiliation du bail et l’expulsion des occupants. L’assignation a été notifiée au représentant de l’État dans le département conformément aux exigences légales. À l’audience du 18 avril 2025, la dette actualisée atteignait 3 791,40 euros. L’épouse s’est présentée seule, exposant la séparation du couple et sollicitant des délais de paiement. Le bailleur ne s’y est pas opposé.
Le juge devait déterminer si, malgré l’acquisition de la clause résolutoire, des délais de paiement avec suspension de ses effets pouvaient être accordés aux locataires défaillants, et dans quelles conditions la solidarité entre époux cotitulaires du bail devait s’appliquer.
Le juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 24 décembre 2024, condamné solidairement les deux époux au paiement de la somme provisionnelle de 3 791,40 euros, tout en les autorisant à s’acquitter de cette dette en 36 mensualités de 50 euros, le respect de ce moratoire suspendant les effets de la clause résolutoire.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions d’acquisition de la clause résolutoire et de la solidarité entre époux (I) que de l’octroi de délais de paiement suspensifs et de leurs conséquences (II).
I. L’acquisition de la clause résolutoire et le maintien de la solidarité entre époux
Le juge constate l’acquisition de la clause résolutoire selon un mécanisme désormais strictement encadré (A), tandis que la solidarité entre époux cotitulaires persiste malgré la séparation de fait (B).
A. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne l’effet de la clause résolutoire pour défaut de paiement à un « commandement de payer demeuré infructueux » pendant deux mois. Le juge relève que « les locataires n’ont pas régularisé les causes du commandement de payer délivré le 23 octobre 2024, dans le délai de deux mois, de sorte que les conditions d’application de la clause résolutoire sont réunies à compter du 24 décembre 2024 ».
Cette automaticité apparente du mécanisme résolutoire masque un formalisme procédural substantiel. Le bailleur personne morale devait préalablement saisir la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives et observer un délai de deux mois avant toute assignation. Le juge vérifie scrupuleusement ces conditions, constatant que « la requérante justifie avoir saisi la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives et avoir notifié l’assignation au représentant de l’État dans le département dans les délais impartis ».
Ces exigences procédurales, renforcées depuis la loi du 24 mars 2014, témoignent de la volonté du législateur de prévenir les expulsions en favorisant un traitement précoce des impayés. Elles confèrent au juge un rôle de gardien du respect des droits du locataire, même lorsque celui-ci est défaillant. Le constat de la résiliation n’intervient qu’après vérification exhaustive de ces conditions, sans quoi l’action serait déclarée irrecevable.
B. La persistance de la solidarité entre époux malgré la séparation
L’épouse présente à l’audience « expose que son mari a quitté le domicile conjugal et qu’un divorce est en cours ». Cette circonstance aurait pu, dans d’autres domaines, atténuer l’engagement de l’époux parti. Le juge écarte cependant cette argumentation en relevant que « sans justifier d’un divorce définitif mettant fin à la solidarité entre époux et à la cotitularité du bail, Monsieur [F] demeure solidaire de la dette ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La cotitularité du bail entre époux, prévue par l’article 1751 du code civil, emporte solidarité légale pour le paiement des loyers. Cette solidarité ne cesse qu’avec la transcription du jugement de divorce sur les registres de l’état civil. La simple séparation de fait, fût-elle accompagnée d’une procédure de divorce en cours, ne suffit pas à y mettre fin.
La rigueur de cette règle protège efficacement le bailleur, qui conserve deux débiteurs solidaires. Elle peut toutefois placer l’époux resté dans les lieux dans une situation délicate, devant assumer seul une dette née partiellement du fait de l’autre. Le juge ne dispose d’aucune marge d’appréciation sur ce point, la solidarité légale s’imposant jusqu’au prononcé définitif du divorce.
II. L’octroi de délais de paiement suspensifs et leurs conséquences
Le juge use de son pouvoir modérateur en accordant des délais de paiement (A), tout en organisant un dispositif conditionnel d’expulsion en cas de défaillance (B).
A. L’exercice du pouvoir modérateur du juge
Le paragraphe V de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 autorise le juge à « accorder des délais de paiement dans la limite de trois années […] au locataire en situation de régler sa dette locative ». Le juge reproduit intégralement ce texte dans sa motivation, soulignant que « pendant le cours des délais ainsi accordés, les effets de la clause de résiliation de plein droit sont suspendus ».
En l’espèce, la locataire présente « propose de régler 50 € en sus du loyer courant » et « expose qu’elle est ASH à la clinique […], qu’elle est séparée de son mari et qu’elle a deux enfants à charge ». Le bailleur « ne s’oppose pas à cette demande ». Le juge retient ces éléments pour accorder un échelonnement sur 36 mensualités, soit le maximum légal de trois ans.
L’accord du bailleur, s’il facilite l’octroi des délais, ne lie pas le juge qui conserve son pouvoir d’appréciation. La condition essentielle réside dans la capacité du locataire à régler sa dette, ce que laisse présager la proposition de versements réguliers formulée à l’audience. Le juge précise que « la poursuite du moratoire au-delà de ce terme est subordonné à l’accord des parties », reconnaissant ainsi les limites de son intervention dans le temps.
B. L’organisation d’un dispositif conditionnel d’expulsion
L’ordonnance articule protection du locataire et garantie du bailleur par un mécanisme à double détente. Le juge « rappelle que le respect des délais accordés neutralise les effets de la clause résolutoire, laquelle sera réputée n’avoir jamais été acquise ». Cette fiction juridique permet au bail de « se poursuivre aux conditions antérieures » en cas de paiement intégral.
À l’inverse, le non-respect des modalités de paiement entraîne des conséquences automatiques détaillées dans le dispositif : « la clause résolutoire retrouve son plein effet », « le solde de la dette devient immédiatement exigible », et le bailleur peut « faire procéder à leur expulsion ainsi qu’à celle de tous les occupants de son chef ». Le juge condamne également les locataires, « en tant que de besoin », au paiement d’une indemnité d’occupation égale au loyer courant.
Cette rédaction conditionnelle évite au bailleur de devoir ressaisir le juge en cas de défaillance. Il lui suffira de faire délivrer un commandement de quitter les lieux, le délai de deux mois prévu par les articles L. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution courant alors avant toute expulsion forcée. L’économie procédurale ainsi réalisée profite aux deux parties, le locataire sachant précisément ce qu’il encourt, le bailleur disposant d’un titre exécutoire complet.