- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Draguignan a rendu, le 17 juin 2025, une décision relative à l’octroi de délais supplémentaires pour quitter les lieux à une locataire dont l’expulsion avait été ordonnée. Cette décision illustre la mise en balance des intérêts du bailleur et du locataire en situation de précarité.
Une locataire avait conclu un bail d’habitation avec une propriétaire. Par décision du 29 février 2024, le Tribunal judiciaire de Draguignan a constaté la résiliation du bail à compter du 28 octobre 2023, prononcé l’expulsion de la locataire et condamné celle-ci au paiement d’un arriéré locatif de 3333,85 euros ainsi qu’une indemnité d’occupation mensuelle de 930,57 euros. Cette décision a été signifiée le 4 avril 2024, accompagnée d’un commandement de quitter les lieux. Par jugement du 23 juillet 2024, un premier délai de six mois pour se reloger lui a été accordé. Par déclaration au greffe du 1er avril 2025, la locataire a sollicité un nouveau délai de dix mois pour quitter les lieux.
La locataire faisait valoir qu’elle vivait seule avec ses trois enfants mineurs à charge, qu’elle avait repris son travail à mi-temps thérapeutique après un arrêt maladie, qu’elle bénéficiait d’une procédure de surendettement et qu’elle était suivie par les services sociaux dans le cadre de sa demande de relogement social. Elle indiquait s’acquitter de l’indemnité d’occupation et envisager une mobilité professionnelle vers la Bretagne pour se rapprocher de sa famille.
La bailleresse demandait le rejet de la demande de délai, arguant que la locataire ne justifiait pas objectivement de l’impossibilité de se reloger dans des conditions normales et que sa dette s’était aggravée. À titre subsidiaire, elle sollicitait que le délai éventuel soit subordonné au paiement régulier de l’indemnité d’occupation.
La question posée au juge de l’exécution était la suivante : une locataire dont l’expulsion a été ordonnée peut-elle bénéficier d’un nouveau délai pour quitter les lieux au sens des articles L.412-3 et L.412-4 du Code des procédures civiles d’exécution, alors qu’elle a déjà bénéficié d’un premier délai et que son relogement n’a pas abouti ?
Le juge de l’exécution accorde à la locataire un délai de six mois à compter de la décision pour quitter les lieux. Il retient que « le relogement de Madame [H] ne peut avoir lieu dans des conditions normales » en raison de la présence de trois enfants mineurs à charge et de la situation de surendettement qui constitue « un frein à son relogement, notamment dans le parc locatif privé ». Il rejette la demande subsidiaire de la bailleresse tendant à conditionner le maintien du délai au respect d’un échéancier, les textes ne le permettant pas.
Cette décision appelle un examen tant des conditions d’octroi des délais pour quitter les lieux (I) que des limites du pouvoir du juge dans l’aménagement de ces délais (II).
I. Les conditions d’octroi des délais pour quitter les lieux
L’octroi de délais repose sur l’appréciation de l’impossibilité d’un relogement normal (A) et la prise en compte des circonstances propres à l’occupant (B).
A. L’impossibilité d’un relogement dans des conditions normales
L’article L.412-3 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que le juge peut accorder des délais « chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Cette formulation implique une appréciation concrète de la situation de l’occupant.
En l’espèce, le juge relève que la locataire a trois enfants mineurs à charge, « ce qui constitue un élément de nature à restreindre les possibilités de relogement dans des conditions normales ». La charge familiale rend plus difficile la recherche d’un logement adapté tant sur le plan financier que matériel. Le juge retient également que la « situation actuelle de surendettement liée à une dette de loyers » constitue un obstacle au relogement dans le parc locatif privé, les bailleurs exigeant généralement des garanties de solvabilité.
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante qui prend en compte l’ensemble des facteurs susceptibles de retarder un relogement. Le juge ne se contente pas de constater l’absence de revenus suffisants mais apprécie globalement les obstacles au relogement. La reconnaissance comme prioritaire au titre du droit au logement opposable par la commission de médiation du Var conforte cette analyse.
B. La prise en compte des diligences accomplies par l’occupant
L’article L.412-4 impose au juge de tenir compte « des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ». Cette exigence vise à réserver le bénéfice des délais aux occupants de bonne foi qui cherchent activement à se reloger.
Le juge relève que la locataire « a continué à effectuer les démarches adaptées à sa situation familiale et sociale actuelle pour rechercher un logement ». Elle a renouvelé sa demande de logement social le 13 mars 2025 et a exercé un recours auprès de la commission DALO, lequel a abouti à sa reconnaissance comme prioritaire le 6 août 2024. Le juge note également qu’elle « règle effectivement son indemnité d’occupation », ce qui témoigne de sa bonne volonté malgré l’impossibilité de rembourser l’arriéré en raison de la procédure de surendettement.
Ces éléments caractérisent l’absence de mauvaise foi, condition négative à l’octroi des délais selon l’article L.412-3. Le juge vérifie ainsi que l’occupant ne se maintient pas dans les lieux par simple commodité mais se trouve objectivement dans l’impossibilité de se reloger malgré ses efforts.
II. Les limites du pouvoir du juge dans l’aménagement des délais
Le pouvoir du juge s’exerce dans un cadre temporel défini par la loi (A) et ne peut être assorti de conditions non prévues par les textes (B).
A. L’encadrement légal de la durée des délais
L’article L.412-4 prévoit que la durée des délais « ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an ». Le juge dispose donc d’une marge d’appréciation encadrée pour fixer la durée du délai accordé.
En l’espèce, la locataire sollicitait un délai de dix mois. Le juge lui accorde six mois, soit la moitié de ce qu’elle demandait mais la durée maximale déjà accordée l’année précédente. Cette décision tient compte du fait qu’elle « a déjà bénéficié d’un délai de 6 mois à cette fin l’année dernière ». Le caractère renouvelable des délais prévu par l’article L.412-3 permet ainsi d’adapter la protection de l’occupant à l’évolution de sa situation sans pour autant priver indéfiniment le bailleur de la jouissance de son bien.
Le juge prend également en considération la situation de la bailleresse, même si celle-ci demeure peu documentée. Il relève simplement son âge de 67 ans et sa résidence en Nouvelle-Calédonie. L’éloignement géographique de la propriétaire pourrait laisser penser qu’elle ne subit pas un préjudice immédiat de l’occupation des lieux, mais cette circonstance n’est pas déterminante dans l’appréciation du délai accordé.
B. L’impossibilité de subordonner le délai à des conditions de paiement
La bailleresse demandait à titre subsidiaire que le délai soit révoqué en cas de défaut de paiement de l’indemnité d’occupation. Le juge rejette cette demande en indiquant que « les textes précités ne permettent pas de subordonner le maintien de ce délai au respect d’un échéancier de paiements ».
Cette solution s’inscrit dans une lecture stricte des articles L.412-3 et L.412-4 qui n’envisagent pas de mécanisme de révocation automatique du délai. Le juge ne peut créer une condition résolutoire que les textes ne prévoient pas. Cette position protège l’occupant contre une précarisation supplémentaire de sa situation mais laisse le bailleur sans garantie quant au paiement de l’indemnité d’occupation pendant le délai accordé.
Cette limite illustre la tension entre la protection du droit au logement et la préservation des droits du propriétaire. Le législateur a fait le choix de ne pas permettre au juge d’assortir les délais de conditions de paiement, préférant laisser au bailleur le soin de poursuivre le recouvrement de sa créance par les voies ordinaires. Cette décision du Tribunal judiciaire de Draguignan rappelle que le pouvoir du juge de l’exécution, s’il est étendu dans l’appréciation des circonstances justifiant l’octroi de délais, demeure strictement encadré quant aux modalités de ces délais.