Tribunal judiciaire de Du Havre, le 15 juin 2025, n°25/00581

L’isolement en psychiatrie constitue l’une des mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles que notre droit autorise. Encadré depuis la loi du 26 janvier 2016, son contrôle judiciaire systématique au-delà de certaines durées traduit la volonté du législateur de soumettre cette pratique médicale au regard du juge. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire du Havre le 15 juin 2025 s’inscrit dans ce cadre.

En l’espèce, une personne fait l’objet d’une hospitalisation sans consentement sous le régime de l’hospitalisation complète sur décision du préfet de la Seine-Maritime depuis le 14 juin 2017. Elle est placée sous tutelle, celle-ci étant exercée par une association. Le 31 mai 2025, une mesure d’isolement est décidée par un médecin psychiatre. Cette mesure se prolongeant, le juge délégué pour le contrôle des mesures d’isolement et de contention rend une première décision le 8 juin 2025 autorisant la poursuite de l’isolement à compter de cette date.

Le 14 juin 2025, le directeur de l’établissement hospitalier saisit à nouveau le juge aux fins d’autorisation de poursuite de la mesure au-delà de sept jours. Un certificat médical établi le même jour indique que l’audition de l’intéressé est impossible. L’avocat désigné pour assister la personne hospitalisée formule des observations écrites. Le ministère public émet également un avis.

La question posée au juge était de déterminer si la mesure d’isolement pouvait être prolongée au-delà du délai de sept jours prévu par la loi, en l’absence d’audition du patient.

Par ordonnance réputée contradictoire du 15 juin 2025, le juge délégué autorise la poursuite de la mesure d’isolement au-delà de sept jours à compter du même jour à 14 heures.

Cette décision invite à examiner le cadre procédural du contrôle judiciaire de l’isolement psychiatrique (I) avant d’analyser les conditions de fond de la prolongation de la mesure (II).

I. Le cadre procédural du contrôle judiciaire de l’isolement

Le contrôle de l’isolement psychiatrique obéit à un régime spécifique institué pour garantir les droits du patient (A), qui s’exerce selon des modalités adaptées aux particularités de la matière (B).

A. L’institution d’un contrôle judiciaire systématique

L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique soumet les mesures d’isolement à un contrôle judiciaire lorsqu’elles excèdent certaines durées. Ce dispositif résulte de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, complétée par la loi du 22 janvier 2022. Le législateur a ainsi entendu renforcer les garanties entourant ces mesures particulièrement restrictives de liberté.

Le juge des libertés et de la détention, ou le magistrat délégué à cette fonction, est investi d’une compétence exclusive pour autoriser la poursuite de l’isolement au-delà de sept jours. La présente ordonnance illustre ce mécanisme puisque le directeur de l’établissement a saisi le tribunal dès le 14 juin 2025, veille de l’expiration du délai de sept jours courant depuis la précédente autorisation judiciaire.

Cette saisine obligatoire traduit la volonté de soumettre le pouvoir médical au contrôle de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 juin 2020, a d’ailleurs censuré l’absence de contrôle systématique qui prévalait jusqu’alors.

B. Les modalités procédurales du contrôle

L’ordonnance commentée détaille les formalités accomplies conformément aux articles R. 3211-31 et suivants du code de la santé publique. Le greffe a avisé l’ensemble des parties intéressées : la personne hospitalisée, son avocat, son tuteur, le directeur de l’établissement et le procureur de la République.

La question de l’audition du patient revêt une importance particulière. En l’espèce, un certificat médical établi par un médecin distinct de celui ayant prescrit l’isolement atteste que cette audition est « impossible ». Cette dispense, prévue par les textes, doit demeurer exceptionnelle. Elle suppose que l’état de santé du patient fasse véritablement obstacle à son audition, ce que le juge doit vérifier au vu des éléments médicaux produits.

L’absence d’audition est compensée par l’intervention de l’avocat, qui a formulé des observations écrites. Le ministère public a également émis un avis. Ces garanties procédurales visent à assurer le caractère contradictoire de la procédure malgré l’impossibilité d’entendre directement l’intéressé.

II. Les conditions de fond de la prolongation de l’isolement

L’autorisation de prolonger l’isolement suppose la réunion de conditions strictes tenant à la nécessité médicale de la mesure (A), le juge exerçant un contrôle dont la portée mérite d’être précisée (B).

A. L’exigence d’une nécessité médicale avérée

L’isolement ne peut être maintenu que s’il demeure strictement nécessaire à la prise en charge du patient. L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dispose que ces mesures ne peuvent être prises que « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui ». Elles doivent être proportionnées et constituer l’ultime recours.

En l’espèce, les motifs de la décision ayant été occultés, il n’est pas possible de connaître les raisons précises qui ont conduit le juge à autoriser la poursuite de la mesure. Cependant, le dispositif de l’ordonnance révèle que le juge a estimé ces conditions réunies. La durée particulièrement longue de l’isolement, qui a débuté le 31 mai 2025, interroge sur la nature des troubles présentés par le patient et sur l’adéquation des moyens thérapeutiques mis en œuvre.

La jurisprudence exige que l’isolement ne se substitue pas à une prise en charge adaptée et que l’établissement démontre l’impossibilité de recourir à des mesures moins contraignantes. Le juge doit s’assurer qu’il ne constitue pas une réponse à un manque de moyens humains ou matériels.

B. La portée du contrôle juridictionnel

Le juge délégué ne dispose pas d’un simple pouvoir d’enregistrement des demandes de l’établissement. Il lui appartient de vérifier la régularité de la procédure et le bien-fondé de la mesure au regard des exigences légales. Ce contrôle effectif répond aux prescriptions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’ordonnance commentée, rendue le 15 juin 2025 à 13 heures 45, autorise la poursuite de la mesure « à compter du 15 juin 2025 à 14 heures ». Cette précision horaire illustre la rigueur avec laquelle le juge doit veiller au respect des délais légaux. La mesure ne saurait se prolonger au-delà de la durée autorisée sans nouvelle saisine.

Le caractère réputé contradictoire de l’ordonnance, mentionné au dispositif, résulte de l’impossibilité d’entendre le patient. Cette qualification emporte des conséquences sur les voies de recours, le délai d’appel étant de vingt-quatre heures. La brièveté de ce délai, justifiée par la nature attentatoire de la mesure, impose une vigilance particulière de l’avocat désigné pour assister le patient.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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