Tribunal judiciaire de Du Havre, le 16 juin 2025, n°24/01294

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Rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Havre, le 16 juin 2025, ce jugement tranche un litige de crédit à la consommation né d’une souscription électronique. Un établissement de crédit invoquait un prêt personnel de 25 000 euros conclu en mai 2022, assorti de soixante mensualités et d’un taux débiteur fixe. Après impayés, il avait prononcé la déchéance du terme puis agi en paiement à la suite d’une mise en demeure et d’une assignation de décembre 2024. L’emprunteur n’a pas comparu. Le prêteur sollicitait, à titre principal, la condamnation au paiement du solde, subsidiairement la résiliation judiciaire, et très subsidiairement la répétition de l’indu. Le juge a relevé d’office plusieurs moyens tenant à la recevabilité et à la preuve, auxquels le demandeur a répondu par des dénégations générales.

La question de droit posée portait sur l’opposabilité d’un contrat conclu par signature électronique simple, en l’absence de présomption de fiabilité attachée à une signature qualifiée, ainsi que sur la preuve du déblocage des fonds au soutien d’une restitution. La solution retient que le prêteur ne rapporte pas la preuve de l’imputabilité de la signature à l’emprunteur, faute d’éléments techniques et de certification adéquats, de sorte que le contrat n’est pas opposable. La demande en répétition de l’indu est également rejetée, l’existence du paiement n’étant pas établie.

I. Le sens de la décision: contrôle probatoire du juge et régime de la signature électronique

A. L’office du juge en cas de défaut de comparution et le contrôle de l’imputabilité contractuelle

En l’absence de comparution, le juge demeure tenu de vérifier la régularité, la recevabilité et le bien‑fondé des prétentions. L’arrêt rappelle que « le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Il précise surtout l’étendue de son office en matière contractuelle, en soulignant qu’il doit s’assurer que le défendeur est bien le cocontractant dont l’exécution est recherchée. La motivation énonce ainsi que « le juge peut donc, sans excéder ses pouvoirs, procéder à une analyse des pièces soumises aux débats », rejoignant la position de la Cour d’appel de Paris, 20 avril 2023, n° 21/14298, et Cour d’appel de Paris, 20 juin 2024, n° 22/19882.

Cette vérification porte sur la preuve de l’obligation, non sur l’introduction d’un moyen nouveau. Le raisonnement s’inscrit dans le cadre probatoire de l’article 1353 du code civil, que le jugement cite textuellement: « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Le contrôle porte donc sur la qualité de la preuve et son imputabilité personnelle, condition décisive lorsque la signature est apposée électroniquement et que l’adversaire ne comparaît pas.

B. La présomption attachée à la signature qualifiée et l’exigence probatoire pour la signature simple

Le jugement organise clairement l’articulation entre les articles 1366 et 1367 du code civil et le décret n° 2017‑1416. Il rappelle que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier » si l’émetteur est identifié et l’intégrité garantie. Il souligne surtout que « la fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique qualifiée ». Il en déduit, de manière décisive, que « ce n’est donc que dans cette hypothèse de la preuve d’une signature électronique qualifiée […] que le document soumis à l’appréciation du juge bénéficiera de la présomption de fiabilité ».

À défaut de présomption, la charge probatoire demeure sur le demandeur. Le jugement énonce les éléments attendus pour vérifier le procédé: copie de l’acte mentionnant la signature, date et identité, « le fichier de preuve ou à tout le moins la synthèse du fichier de preuve et enfin la certification par un organisme tiers de la fiabilité du procédé utilisé ». Il ajoute, dans une formule nette, que « il importe peu que le document numérique ait ensuite été archivé dans des conditions fiables si l’intégrité et la fiabilité du processus de signature électronique initial ne sont pas établies ». La référence à une certification par un tiers de confiance habilité structure ainsi l’examen probatoire.

II. La valeur et la portée: sévérité probatoire assumée et incidences contentieuses

A. Une exigence de certification tierce cohérente avec l’économie d’eIDAS, mais à manier avec mesure

La solution retient une conception rigoureuse de la preuve lorsque la signature est simple. Elle oblige le demandeur à produire des éléments techniques complets et une certification par un tiers digne de confiance, dans l’esprit du régime des services de confiance qualifiés. Cette orientation renforce la sécurité juridique et limite les imputations hasardeuses en cas de défaut de comparution. Elle est cohérente avec le mécanisme de présomption attaché aux signatures qualifiées, sans étendre indûment cette présomption à des procédés moindres.

Une réserve peut toutefois être formulée. Exiger, au‑delà du fichier de preuve détaillé, une certification formelle par un organisme habilité, revient à rapprocher la signature simple des exigences de la signature qualifiée. Une telle inflation probatoire risque d’entraver la circulation des actes à distance dans le crédit à la consommation. L’équilibre réside dans une appréciation concrète de la fiabilité du processus, sans ériger en condition systématique une certification externe lorsque des preuves techniques robustes, tracées et horodatées, démontrent déjà l’appropriation personnelle.

B. Des conséquences pratiques fortes pour la preuve du contrat et pour l’action en répétition de l’indu

La portée contentieuse est nette. Les prêteurs doivent anticiper le contrôle judiciaire en conservant, dès l’origine, le dossier probatoire complet de la signature électronique, incluant le journal d’événements, l’horodatage, les données d’identification et la validation par un prestataire de confiance qualifié. À défaut, l’inopposabilité du contrat expose à un rejet pur et simple des demandes principales et subsidiaires. Cette exigence incite à standardiser les parcours de signature vers des dispositifs qualifiés lorsque les enjeux financiers sont significatifs.

La décision éclaire aussi le terrain subsidiaire de la répétition de l’indu. Le jugement rappelle le principe directeur: « Tout paiement suppose une dette; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. » En l’absence de preuve du déblocage effectif des fonds, l’action échoue. La charge probatoire pèse sur le demandeur, qui doit produire des relevés et mouvements bancaires probants, distincts du seul contrat contesté. Cette articulation conforte une hiérarchie probatoire claire: l’acte fait foi s’il est imputable; à défaut, seule la preuve autonome de l’enrichissement peut soutenir la restitution.

En définitive, la solution consacre une vigilance probatoire accrue pour les signatures électroniques simples et verrouille, par cohérence, les voies subsidiaires faute de démonstration positive des paiements. Elle s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle attentive à l’imputabilité personnelle, déjà illustrée par la Cour d’appel de Paris, 20 avril 2023, n° 21/14298, et Cour d’appel de Paris, 20 juin 2024, n° 22/19882, et appelle une adaptation stricte des pratiques des opérateurs de crédit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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