Tribunal judiciaire de Du Havre, le 16 juin 2025, n°25/00026

La question de l’application dans le temps des dispositions nouvelles relatives au délai de la clause résolutoire dans les baux d’habitation constitue un enjeu majeur pour les praticiens du droit locatif. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Havre, dans une décision du 16 juin 2025, apporte une réponse claire à cette difficulté d’interprétation née de la réforme du 27 juillet 2023.

Un établissement public à caractère industriel et commercial, bailleur social, avait consenti un bail d’habitation le 9 décembre 2021 portant sur un logement situé au Havre. Face aux impayés de loyer, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 2 octobre 2024. La dette locative, initialement de 4 129,94 euros, n’ayant pas été apurée dans le délai imparti, le bailleur a assigné la locataire devant le juge des contentieux de la protection le 9 janvier 2025 aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et d’obtenir l’expulsion.

La locataire, régulièrement assignée par acte délivré à étude, n’a pas comparu à l’audience du 14 avril 2025. Le bailleur sollicitait la résiliation du bail, l’expulsion et la condamnation au paiement d’un arriéré actualisé à 6 778,22 euros.

La question posée au juge était la suivante : le délai de six semaines prévu par la loi du 27 juillet 2023 pour l’acquisition de la clause résolutoire doit-il s’appliquer aux baux conclus antérieurement à son entrée en vigueur, ou ces contrats demeurent-ils soumis au délai de deux mois prévu par la loi ancienne ?

Le juge des contentieux de la protection constate l’acquisition de la clause résolutoire, retenant que le délai applicable aux contrats conclus avant le 29 juillet 2023 demeure celui de deux mois prévu par la loi antérieure. Il ordonne l’expulsion et condamne la locataire au paiement de l’arriéré locatif.

Cette décision mérite un examen approfondi tant au regard de l’application dans le temps de la loi nouvelle aux contrats de bail (I) que des conséquences pratiques de la résiliation pour le locataire défaillant (II).

I. Le maintien du délai de deux mois pour les baux antérieurs à la réforme

Le juge du Havre procède à une interprétation stricte du principe de non-rétroactivité (A), ce qui conduit à une dualité de régimes selon la date de conclusion du bail (B).

A. L’affirmation du principe de survie de la loi ancienne

Le juge rappelle que « la loi du 27 juillet 2023 ne comprend aucune disposition dérogeant à l’article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Cette motivation s’inscrit dans la tradition civiliste française qui distingue les situations contractuelles en cours des situations nouvelles.

Le tribunal en tire une conséquence directe : « il n’y a pas lieu de faire application aux contrats conclus antérieurement au 29 juillet 2023 de l’article 10 de cette loi, en ce qu’il fixe à six semaines – et non plus deux mois – le délai minimal accordé au locataire pour apurer sa dette ». Cette position traduit une conception classique selon laquelle les effets du contrat demeurent régis par la loi en vigueur au jour de sa formation.

Cette interprétation trouve un fondement solide dans la théorie de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Le contrat constitue la loi des parties conformément à l’article 1103 du code civil. Les stipulations relatives à la clause résolutoire, encadrées par la loi du 6 juillet 1989 dans sa version applicable au 9 décembre 2021, continuent donc de régir les rapports entre bailleur et locataire.

B. Les implications pratiques de la dualité des régimes

Le juge conclut que « ces contrats demeurent donc régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail ». Cette formulation précise que le délai de deux mois prévu par l’ancienne rédaction de l’article 24 de la loi de 1989 continue de s’appliquer aux baux signés avant juillet 2023.

Cette solution crée une période transitoire durant laquelle coexistent deux régimes distincts. Les locataires dont le bail a été conclu avant le 29 juillet 2023 disposent d’un délai de deux mois pour régulariser leur situation, tandis que ceux ayant contracté postérieurement bénéficient d’un délai réduit à six semaines. Cette différence de traitement, paradoxale en apparence puisqu’elle favorise les locataires des baux anciens, s’explique par le respect du cadre contractuel initial.

La doctrine majoritaire approuve cette interprétation qui préserve la sécurité juridique des conventions. Elle permet aux bailleurs de connaître avec certitude le régime applicable à chaque contrat en fonction de sa date de conclusion.

II. Les conséquences de la résiliation pour le locataire défaillant

Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire entraîne des effets automatiques sur l’occupation du logement (A), auxquels s’ajoutent les condamnations pécuniaires à la charge du locataire (B).

A. L’acquisition de la clause résolutoire et l’ordre d’expulsion

Le juge constate que « la somme de 4 129,94 euros n’a pas été réglée par cette dernière dans le délai de deux mois suivant la signification de ce commandement et aucun plan d’apurement n’a été conclu dans ce délai entre les parties ». Ces deux conditions cumulatives, absence de paiement et absence d’accord amiable, suffisent à caractériser le défaut d’exécution prévu par la clause résolutoire.

La résiliation est acquise de plein droit depuis le 3 décembre 2024, soit au terme du délai de deux mois suivant le commandement du 2 octobre 2024. Le tribunal ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation sur ce point dès lors que les conditions légales sont réunies. Il se borne à constater cette résiliation conformément au mécanisme de la clause résolutoire qui opère de manière automatique.

Le juge ordonne l’expulsion tout en rappelant les garanties procédurales prévues par le code des procédures civiles d’exécution. L’expulsion « ne pourra avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement de quitter les lieux ». Cette protection minimale du locataire subsiste malgré l’absence de demande de délais et la non-comparution de l’intéressée.

B. L’étendue des condamnations pécuniaires

Le juge condamne la locataire au paiement de l’arriéré locatif actualisé à 6 778,22 euros en application de l’article 1353 du code civil. La charge de la preuve du paiement incombant au débiteur, l’absence de contestation et de comparution conduit nécessairement à la condamnation.

La décision fixe également une indemnité d’occupation « égale au loyer et aux charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail ». Cette indemnité, de nature indemnitaire et non locative, court à compter de la résiliation du 3 décembre 2024 jusqu’à la libération effective des lieux. Elle sanctionne le maintien sans titre dans les locaux.

Le tribunal refuse d’écarter l’exécution provisoire de droit en raison du « montant et de l’ancienneté de la dette et de l’absence totale de reprise du paiement des loyers depuis l’assignation ». Cette motivation révèle la prise en compte du comportement du débiteur dans l’appréciation de l’opportunité d’une exécution immédiate. L’inertie de la locataire, qui n’a ni comparu ni tenté de régulariser sa situation, justifie le maintien du caractère exécutoire de la décision.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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