Tribunal judiciaire de Du Havre, le 16 juin 2025, n°25/00059

Le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire du Havre, par jugement du 16 juin 2025, a statué sur une demande de constat d’acquisition de clause résolutoire dans un bail d’habitation. Un bailleur social avait consenti un bail à un locataire le 3 juillet 2015. Face à des impayés de loyer, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer le 14 octobre 2024 visant une somme de 891,90 euros et la clause résolutoire. Le locataire n’ayant pas régularisé sa situation dans le délai de deux mois, le bailleur a saisi le juge aux fins de voir constater la résiliation du bail et ordonner l’expulsion.

En première instance, le locataire a comparu personnellement et sollicité la suspension des effets de la clause résolutoire pendant l’octroi de délais de paiement. Il faisait valoir percevoir un revenu mensuel de 540 euros et vivre seul dans le logement. Le bailleur maintenait ses demandes et précisait que la dette s’élevait désormais à 2194,32 euros.

La question posée au juge était double. Il s’agissait de déterminer si la clause résolutoire était acquise au regard des dispositions transitoires de la loi du 27 juillet 2023 modifiant les délais du commandement de payer. Le juge devait également apprécier si le locataire pouvait bénéficier de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire.

Le tribunal a constaté l’acquisition de la clause résolutoire depuis le 15 décembre 2024 en appliquant le délai de deux mois prévu au contrat et non celui de six semaines issu de la loi nouvelle. Il a refusé d’octroyer des délais de paiement suspensifs, le locataire n’ayant pas repris le paiement intégral du loyer avant l’audience.

Cette décision illustre l’articulation entre la protection du locataire défaillant et les droits du bailleur créancier (I), tout en précisant le régime transitoire applicable aux clauses résolutoires des baux d’habitation (II).

I. L’encadrement de la clause résolutoire au service d’un équilibre contractuel

Le juge applique un mécanisme de protection graduée du locataire (A), dont les limites apparaissent lorsque les conditions légales ne sont pas réunies (B).

A. Un mécanisme de protection graduée du locataire défaillant

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 organise une procédure en plusieurs étapes avant que l’expulsion puisse être prononcée. Le commandement de payer doit reproduire les dispositions légales et laisser au locataire un délai pour régulariser. Le juge vérifie que ces formalités ont été respectées.

En l’espèce, le tribunal constate que la bailleresse « justifie avoir notifié l’assignation au représentant de l’État dans le département plus de six semaines avant l’audience » et « avoir saisi la caisse d’allocations familiales deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation ». Ces vérifications préalables conditionnent la recevabilité de l’action. Elles permettent une intervention des services sociaux et administratifs avant que le juge ne statue.

Le dispositif légal prévoit également la possibilité pour le juge d’accorder des délais de paiement pouvant atteindre trois ans. Pendant ce temps, les effets de la clause résolutoire peuvent être suspendus. Ce mécanisme témoigne de la volonté du législateur de préserver le maintien dans les lieux du locataire de bonne foi confronté à des difficultés passagères.

B. Les conditions restrictives du bénéfice des délais suspensifs

Le juge rappelle que l’octroi de délais suspensifs suppose deux conditions cumulatives. Le locataire doit être « en situation de régler sa dette locative » et avoir « repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». L’absence de l’une de ces conditions exclut le bénéfice de la suspension.

Le tribunal relève que « les revenus du foyer de M. [Y] [M] ne lui permettent pas d’assumer régulièrement le paiement du loyer actuel ni, à plus forte raison, d’envisager un plan d’apurement de la dette ». Cette appréciation concrète de la solvabilité du locataire fonde le refus des délais. Le juge examine la capacité réelle du débiteur à honorer ses engagements futurs.

La décision ajoute que le locataire « n’a pas repris le paiement intégral du paiement du loyer avant l’audience ». Cette condition procédurale manifeste l’exigence d’une démarche active du locataire. La simple comparution et la demande de délais ne suffisent pas. Le législateur attend une régularisation effective démontrant la volonté de poursuivre la relation contractuelle.

II. L’application dans le temps de la réforme des délais du commandement

Le juge écarte l’application immédiate de la loi du 27 juillet 2023 (A), solution conforme aux principes régissant les contrats en cours (B).

A. Le refus d’appliquer rétroactivement le délai de six semaines

La loi du 27 juillet 2023 a réduit le délai laissé au locataire pour régulariser après un commandement de payer. Ce délai est passé de deux mois à six semaines. La question se posait de savoir si cette modification s’appliquait aux baux conclus avant son entrée en vigueur.

Le tribunal énonce que « la loi du 27 juillet 2023 ne comprend aucune disposition dérogeant à l’article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Le juge se fonde sur l’absence de disposition transitoire expresse pour écarter l’application immédiate de la réforme aux contrats en cours.

Le jugement précise qu’il « n’y a pas lieu de faire application aux contrats conclus antérieurement au 29 juillet 2023 de l’article 10 de cette loi, en ce qu’il fixe à six semaines – et non plus deux mois — le délai minimal accordé au locataire pour apurer sa dette ». Cette analyse conduit à maintenir le délai de deux mois pour le bail litigieux conclu en 2015.

B. La préservation de l’économie des contrats antérieurs

Le tribunal affirme que les contrats antérieurs « demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail ». Cette formulation articule la liberté contractuelle et l’ordre public de protection applicable au moment de la formation du contrat.

Cette solution préserve les prévisions légitimes des parties. Le bailleur avait consenti un bail intégrant une clause résolutoire produisant effet après deux mois d’impayés. Lui imposer un délai plus court modifierait l’équilibre contractuel initialement accepté par le locataire. La sécurité juridique commande de respecter le cadre normatif sous l’empire duquel le contrat a été conclu.

La portée de cette décision mérite attention. Elle suggère que la réforme de 2023 ne bénéficiera pas aux locataires titulaires de baux anciens, qui conservent le délai plus protecteur de deux mois. Cette lecture crée une dualité de régimes selon la date de conclusion du bail. Les juridictions du fond devront confirmer ou infirmer cette interprétation dans les contentieux à venir.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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