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Le droit du bail d’habitation connaît un régime protecteur du locataire, lequel se manifeste notamment par un encadrement strict des conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire. La décision rendue par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire du Havre le 16 juin 2025 illustre l’application rigoureuse de ce dispositif dans un contentieux locatif classique.
En l’espèce, un bail d’habitation avait été conclu le 1er juin 2023 pour un logement situé au Havre, moyennant un loyer mensuel de 355 euros outre 15 euros de provision sur charges. Le bien immobilier a été acquis par une société civile immobilière par acte notarié du 5 août 2024. Face aux impayés de loyers accumulés par le locataire, la nouvelle bailleresse a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 5 décembre 2024. Ce commandement étant demeuré infructueux, elle a assigné le locataire devant le Juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion et obtenir condamnation au paiement de l’arriéré locatif.
En première instance, le locataire, cité par procès-verbal de remise à l’étude, n’a pas comparu. La bailleresse sollicitait la constatation de la résiliation du bail au 5 février 2025, l’expulsion du locataire devenu occupant sans droit ni titre ainsi que sa condamnation au paiement d’une somme de 2 220 euros au titre de l’arriéré locatif, d’une indemnité d’occupation mensuelle et de frais irrépétibles.
La question posée au juge était de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies et si, en conséquence, le locataire défaillant devait être expulsé et condamné au paiement des sommes réclamées.
Le Juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 6 février 2025, ordonné l’expulsion du locataire et l’a condamné au paiement de la somme de 2 960 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 7 avril 2025, outre une indemnité d’occupation mensuelle de 370 euros.
Cette décision mérite analyse tant au regard du mécanisme de la clause résolutoire dans le bail d’habitation (I) que des conséquences patrimoniales attachées à la résiliation (II).
I. Le mécanisme de la clause résolutoire dans le bail d’habitation
L’examen de cette décision révèle la rigueur du formalisme préalable imposé au bailleur (A) ainsi que les conditions strictes d’acquisition de la clause résolutoire (B).
A. Le formalisme préalable imposé au bailleur
Le législateur a entouré la mise en œuvre de la clause résolutoire de garanties procédurales destinées à protéger le locataire défaillant. L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 impose au bailleur de notifier l’assignation au représentant de l’État dans le département au moins six semaines avant l’audience. Le juge relève que « la SCI BELLEVUE IMMOBILIER justifie avoir notifié l’assignation au représentant de l’État dans le département le 17 février 2025, soit plus de six semaines avant l’audience ».
Cette exigence procédurale poursuit un double objectif. Elle permet d’abord l’intervention des services sociaux compétents en matière de prévention des expulsions. Elle garantit ensuite une information des pouvoirs publics sur les situations de précarité locative. Le respect de ce formalisme conditionne la recevabilité de l’action du bailleur, comme le rappelle la décision commentée.
La jurisprudence se montre vigilante quant au respect de ces délais. Tout manquement entraîne l’irrecevabilité de la demande, sans que le juge puisse y suppléer. Cette rigueur procédurale témoigne de la volonté du législateur de préserver les droits du locataire, y compris lorsque celui-ci ne se défend pas.
B. Les conditions d’acquisition de la clause résolutoire
Le juge rappelle que « toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ». Ce délai, anciennement de deux mois, a été réduit à six semaines par la loi du 27 juillet 2023.
La décision relève qu’un « commandement de payer visant les dispositions légales et la clause résolutoire contenue dans le contrat de location a été signifié à Monsieur [E] le 5 décembre 2024, lui accordant un délai de deux mois pour régler la dette ». Le juge constate ensuite que « les causes du commandement de payer n’ont pas été intégralement apurées dans le délai de deux mois ».
Cette formulation appelle une observation. Le commandement délivré en décembre 2024 accordait un délai de deux mois, conformément aux textes alors applicables. La clause résolutoire est acquise lorsque le locataire n’a pas intégralement soldé sa dette dans le délai imparti. Le paiement partiel ne suffit pas à paralyser le jeu de la clause résolutoire. Le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation sur ce point : il lui appartient seulement de constater si les conditions légales sont réunies.
II. Les conséquences patrimoniales de la résiliation du bail
La résiliation du bail emporte des conséquences sur la situation du locataire, tant au regard de son maintien dans les lieux (A) que de ses obligations pécuniaires (B).
A. Le statut d’occupant sans droit ni titre
Le juge déclare que le locataire « est occupant sans droit ni titre du logement » depuis la date d’acquisition de la clause résolutoire. Cette qualification emporte des conséquences juridiques importantes. Le locataire perd la protection attachée au statut de preneur à bail. Il peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion dans les conditions prévues par le code des procédures civiles d’exécution.
Le juge refuse de réduire le délai prévu par l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, « dès lors qu’aucune circonstance ne justifie la réduction du délai ». L’expulsion ne pourra donc intervenir qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement de quitter les lieux. Ce délai incompressible constitue une ultime protection accordée à l’occupant évincé.
La décision ordonne également la séquestration des biens mobiliers se trouvant dans les lieux lors de l’expulsion. Cette mesure conservatoire protège tant les intérêts du bailleur que ceux de l’ancien locataire en évitant la disparition de ses effets personnels.
B. La condamnation au paiement de l’arriéré et de l’indemnité d’occupation
Le juge condamne le locataire au paiement de la somme de 2 960 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 7 avril 2025. Cette somme excède celle initialement réclamée dans l’assignation, le décompte ayant été actualisé à la date de l’audience. Le juge distingue deux points de départ pour les intérêts au taux légal : le 5 décembre 2024, date du commandement de payer, pour la somme de 1 480 euros ; la date de signification de la décision pour le surplus.
L’indemnité d’occupation mensuelle est fixée à 370 euros, soit un montant égal au loyer et aux charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail. Le juge précise que cette indemnité « se substitue au loyer dès le 6 février 2025 » et demeure due « jusqu’à complète libération effective des lieux et remise des clés ». Cette solution est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l’indemnité d’occupation a pour objet de compenser le préjudice subi par le bailleur du fait du maintien dans les lieux de l’occupant sans titre.
La décision refuse d’accorder des délais de paiement au locataire défaillant. Cette rigueur s’explique par l’absence de comparution de l’intéressé, qui n’a présenté aucune demande en ce sens ni justifié de sa situation financière. Le juge des contentieux de la protection dispose pourtant de la faculté d’accorder des délais de paiement pouvant aller jusqu’à trois ans en application de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. L’exercice de ce pouvoir suppose toutefois que le locataire en fasse la demande et justifie de sa capacité à apurer sa dette.