- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire du Mans le 13 juin 2025 s’inscrit dans le contentieux abondant des sinistres liés aux phénomènes de sécheresse. Des propriétaires, constatant depuis 2018 l’apparition progressive de fissures puis de lézardes sur leur habitation, sollicitaient une mesure d’expertise judiciaire à l’encontre de leur assureur qui contestait la garantie au motif d’une antériorité des désordres par rapport à la période de sécheresse reconnue comme catastrophe naturelle.
Les faits révèlent une dégradation continue d’un immeuble situé en zone argileuse. Les premières micro-fissures, apparues à l’été 2018, se sont aggravées en 2019 et 2020, entraînant des difficultés d’ouverture des menuiseries, un affaissement du sol et l’explosion de fissures sur les cloisons. Une étude géotechnique réalisée en 2021 a confirmé la nature argileuse du sous-sol et la classification en zone d’aléa moyen. Par arrêté publié au Journal officiel le 31 août 2021, la commune a été reconnue en état de catastrophe naturelle pour sécheresse du 1er juillet au 30 septembre 2020. L’assureur a mandaté un cabinet d’expertise qui a conclu à l’antériorité des désordres par rapport à l’été 2020 et a refusé sa garantie. Une contre-expertise privée n’a pas fait évoluer sa position. La saisine du médiateur de l’assurance en mai 2024 n’ayant pas abouti, les propriétaires ont assigné leur assureur en référé le 13 février 2025 pour obtenir une expertise judiciaire.
La question soumise au juge des référés était celle de savoir si les propriétaires justifiaient d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile pour obtenir, avant tout procès au fond, une mesure d’expertise destinée à établir l’origine des désordres et leur lien éventuel avec l’épisode de sécheresse reconnu comme catastrophe naturelle.
Le juge des référés a fait droit à la demande et ordonné une expertise géotechnique. Il a considéré que « les conditions d’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile sont réunies », relevant que les demandeurs avaient « pris le soin de réaliser une étude du sol et de surveiller les fissures et lézardes de leur habitation » et que « la mesure n’est au demeurant pas contestée ».
Cette décision illustre la fonction probatoire du référé expertise (I) tout en soulevant la question délicate de l’imputation temporelle des désordres dans le contentieux des catastrophes naturelles (II).
I. La reconnaissance du motif légitime fondant la mesure d’instruction
Le juge des référés procède à une application rigoureuse des critères de l’article 145 du code de procédure civile (A) avant de définir une mission expertale adaptée aux spécificités du contentieux géotechnique (B).
A. L’appréciation des conditions du référé probatoire
L’ordonnance rappelle avec précision le régime de l’article 145 du code de procédure civile en soulignant son autonomie par rapport aux conditions habituelles du référé. Le juge énonce qu’il « n’est ainsi pas soumis à la condition d’urgence ou à la condition d’absence de contestation sérieuse ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui distingue nettement le référé probatoire des autres formes de référé.
Le motif légitime est défini comme « un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés ». Cette formulation synthétise les exigences jurisprudentielles relatives à la vraisemblance du litige envisagé sans anticiper sur le fond. Le juge précise que le demandeur « n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir ».
En l’espèce, la crédibilité des prétentions des demandeurs reposait sur plusieurs éléments factuels convergents. L’existence d’un arrêté de catastrophe naturelle, la réalisation préalable d’une étude géotechnique confirmant la nature argileuse du sol et le suivi documenté de l’évolution des désordres par la pose de jauges constituaient autant d’indices rendant plausible l’hypothèse d’un lien entre la sécheresse et les dégradations constatées. L’absence d’opposition de l’assureur à la mesure d’expertise a facilité l’accueil de la demande.
B. La définition d’une mission expertale exhaustive
La mission confiée à l’expert géotechnicien se caractérise par son amplitude. Elle vise non seulement à « constater la réalité des désordres énoncés » et à « en indiquer l’origine » mais également à « rechercher si ces désordres proviennent de la sécheresse de l’année 2020 » et à « dire si la sécheresse de 2020 est la cause déterminante ». Cette formulation révèle la complexité de l’imputation causale dans le contentieux des mouvements de terrain différentiels.
Le juge a pris soin d’intégrer l’hypothèse d’une pluralité de causes en demandant à l’expert de préciser « s’il existe d’autres causes, si la sécheresse est la cause prépondérante ou pas ». Cette approche témoigne d’une connaissance des enjeux techniques propres aux sols argileux où les désordres résultent souvent d’une combinaison de facteurs incluant la conception de l’ouvrage, la végétation environnante et les conditions climatiques successives.
La mission comporte également une interrogation spécifique pour l’hypothèse d’une antériorité des désordres : l’expert devra préciser « si la sécheresse de l’été 2020 doit être considérée comme un sinistre à part entière au vu de l’ampleur des désordres antérieurs ». Cette question anticipe sur le débat de fond relatif à la notion de sinistre distinct et à la possibilité pour un épisode climatique d’aggraver significativement des désordres préexistants au point de constituer un nouveau fait générateur de garantie.
II. Les enjeux de l’imputation temporelle dans le contentieux des catastrophes naturelles
La décision met en lumière la difficulté récurrente de rattacher les désordres à une période précise de sécheresse (A) et préfigure les débats au fond sur l’étendue de la garantie catastrophe naturelle (B).
A. La problématique de la datation des désordres
Le litige trouve son origine dans la position de l’assureur qui, sur la base du rapport amiable, considérait que « les désordres étaient antérieurs à l’été 2020 ». Cette contestation soulève une difficulté technique récurrente dans le contentieux des sols argileux. Les phénomènes de retrait-gonflement s’inscrivent dans la durée et leurs manifestations visibles peuvent apparaître progressivement sur plusieurs années. La frontière entre des désordres imputables à un épisode de sécheresse déterminé et des dégradations continues devient alors délicate à établir.
L’ordonnance confie à l’expert le soin de trancher cette question en lui demandant de déterminer si les désordres « proviennent de la sécheresse de l’année 2020 » tout en envisageant l’hypothèse d’une antériorité. Cette approche pragmatique reconnaît les limites de l’appréciation juridictionnelle sur des questions d’ordre technique. Le recours à un expert géotechnicien, expressément qualifié par le juge de « spécialisé », traduit la volonté de disposer d’un éclairage scientifique sur la chronologie et les mécanismes des désordres.
La charge probatoire demeure toutefois sur les demandeurs qui devront démontrer le lien entre leurs préjudices et l’épisode de sécheresse couvert par l’arrêté de catastrophe naturelle. L’expertise constitue à cet égard un préalable indispensable à toute action au fond dans la mesure où les rapports amiables, établis unilatéralement, ne sauraient suffire à établir ou à exclure définitivement ce lien.
B. Les perspectives du litige au fond
Le juge des référés prend soin de rappeler que « l’application de cet article n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Cette précaution rituelle revêt une importance particulière dans le présent litige où l’issue dépendra des conclusions de l’expertise.
La question de la cause prépondérante, expressément incluse dans la mission, conditionne la mobilisation de la garantie catastrophe naturelle. La jurisprudence exige en effet que le phénomène naturel reconnu par arrêté interministériel soit la cause déterminante des dommages pour ouvrir droit à indemnisation. La présence de causes multiples, notamment l’existence de désordres antérieurs, peut conduire à un partage de responsabilité ou à un refus de garantie selon l’analyse du lien de causalité.
La mise à la charge des demandeurs des dépens et de la provision de quatre mille cinq cents euros à valoir sur les frais d’expertise illustre le risque financier assumé par celui qui sollicite une mesure d’instruction. Le juge justifie cette répartition en relevant que « les responsabilités ne sont pas déterminées, de sorte que le défendeur ne peut être considéré comme la partie qui succombe ». Cette solution conforme à l’article 696 du code de procédure civile réserve la question des frais définitifs à l’issue du litige au fond, comme l’indique la mention « sauf transaction ou éventuel recours ultérieur au fond ».