Tribunal judiciaire de Evreux, le 19 juin 2025, n°24/01246

Le recouvrement des créances par la voie de l’injonction de payer constitue une procédure simplifiée dont l’efficacité repose sur la diligence du créancier. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Evreux le 19 juin 2025 illustre les conséquences procédurales attachées au défaut de comparution du demandeur à l’audience sur opposition.

En l’espèce, une société de crédit avait déposé le 3 mai 2024 une requête en injonction de payer à l’encontre d’une débitrice pour un montant total de 7 679,25 euros au titre d’un contrat de crédit conclu le 23 avril 2020. Par ordonnance du 26 août 2024, le tribunal judiciaire d’Evreux avait partiellement fait droit à cette demande pour un montant cumulé de 7 476,38 euros, 62,11 euros et 1 euro. La débitrice a formé opposition à cette ordonnance et les parties ont été convoquées à l’audience du 2 avril 2025. Le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité de l’opposition. La société créancière, bien que régulièrement convoquée par lettre recommandée reçue le 30 décembre 2024, n’a pas comparu. La défenderesse, représentée par son conseil, a sollicité le constat de la caducité de l’action de la demanderesse.

La question posée au juge des contentieux de la protection était de déterminer quelles sont les conséquences procédurales de la non-comparution du créancier demandeur à l’audience sur opposition formée contre une ordonnance d’injonction de payer.

Le tribunal a constaté la caducité de l’action de la société créancière et a dit qu’à défaut de rapport du jugement, l’instance serait éteinte et l’ordonnance d’injonction de payer serait non avenue. Les dépens ont été laissés à la charge de la société défaillante.

Cette décision met en lumière tant la sanction de la défaillance procédurale du créancier (I) que le mécanisme protecteur du rapport de caducité (II).

I. La caducité, sanction de l’inertie procédurale du créancier

La caducité de l’action résulte d’un fondement textuel précis (A) dont l’application emporte des effets radicaux sur l’ordonnance d’injonction de payer (B).

A. Le fondement légal de la sanction

Le tribunal fonde sa décision sur les articles 468 et 1419 du code de procédure civile. L’article 468 dispose que « si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire ». Ce même texte ajoute que « le juge peut aussi, même d’office, déclarer la citation caduque ». L’article 1419, propre à la procédure d’injonction de payer, précise quant à lui que devant le tribunal judiciaire dans les matières relevant du juge des contentieux de la protection, « la juridiction constate l’extinction de l’instance si aucune des parties ne comparaît ».

La combinaison de ces deux textes offre au juge un pouvoir d’appréciation. Il peut soit constater l’extinction de l’instance en cas d’absence des deux parties, soit déclarer la caducité de la demande du seul créancier défaillant. En l’espèce, seule la société créancière faisait défaut tandis que la débitrice était représentée par son conseil. Le juge a donc logiquement opté pour la caducité de l’action plutôt que pour l’extinction pure et simple de l’instance. Cette solution préserve les droits de la partie comparante qui avait sollicité cette mesure.

B. L’anéantissement de l’ordonnance d’injonction de payer

L’article 1419 du code de procédure civile énonce que « l’extinction de l’instance rend non avenue l’ordonnance portant injonction de payer ». Le tribunal tire les conséquences de ce texte en indiquant qu’à défaut de rapport de la caducité, l’ordonnance du 26 août 2024 sera non avenue. Cette formulation révèle la portée considérable de la sanction. L’ordonnance d’injonction de payer, qui avait partiellement accueilli la demande du créancier, se trouve privée de tout effet.

Le mécanisme de l’opposition avait déjà suspendu la force exécutoire de l’ordonnance. La caducité parachève cet anéantissement en faisant disparaître rétroactivement le titre. Le créancier perd ainsi le bénéfice de plusieurs mois de procédure. Il conserve certes sa créance substantielle mais devra reprendre ab initio une action en paiement selon les voies de droit commun. Cette solution sanctionne sévèrement mais justement le défaut de diligence d’un professionnel du crédit.

II. Le mécanisme du rapport de caducité, tempérament à la sanction

Le jugement réserve au créancier défaillant une faculté de régularisation (A) dont l’exercice obéit à des conditions strictes (B).

A. Une voie de recours sui generis

Le tribunal précise que son jugement est « susceptible de rapport dans les quinze jours, sur justification d’un motif légitime ». Cette mention reproduit le mécanisme prévu à l’article 468 alinéa 2 du code de procédure civile selon lequel « la déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe dans un délai de quinze jours le motif légitime qu’il n’aurait pas été en mesure d’invoquer en temps utile ». Ce recours ne constitue ni une opposition ni un appel mais une voie autonome permettant de faire rétracter la décision de caducité.

Le rapport de caducité présente un caractère exceptionnel. Il suppose que le demandeur défaillant puisse justifier d’un empêchement dont il n’avait pas connaissance ou qu’il ne pouvait invoquer avant l’audience. Le texte précise que « dans ce cas, les parties sont convoquées à une audience ultérieure ». L’instance reprend alors son cours normal comme si la caducité n’avait jamais été prononcée.

B. L’exigence d’un motif légitime

Le bénéfice du rapport de caducité demeure subordonné à la démonstration d’un motif légitime. Cette notion n’est pas définie par les textes et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. La jurisprudence admet généralement les cas de force majeure, les erreurs matérielles affectant la convocation ou les circonstances exceptionnelles ayant empêché le demandeur de se présenter ou de se faire représenter.

En l’espèce, la société créancière aura difficulté à invoquer un tel motif. Le jugement constate qu’elle a été « régulièrement convoquée par lettre recommandée reçue le 30 décembre 2024 ». Elle disposait donc de plus de trois mois pour préparer sa comparution à l’audience du 2 avril 2025. L’absence de tout représentant, fût-ce pour solliciter un renvoi, traduit une négligence peu compatible avec la notion de motif légitime. Cette décision rappelle aux établissements de crédit que la procédure d’injonction de payer, pour simplifiée qu’elle soit, exige une vigilance constante jusqu’à l’obtention d’un titre définitif.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture