Tribunal judiciaire de Evreux, le 19 juin 2025, n°25/00209

Le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire d’Évreux, dans un jugement rendu le 19 juin 2025, a tranché un litige opposant un bailleur social à deux anciens locataires au sujet d’arriérés locatifs et de réparations consécutives à la restitution des lieux.

Un contrat de bail portant sur un appartement et un garage avait été conclu le 2 juillet 2018. Les locataires ont notifié leur départ le 22 avril 2022 et un état des lieux de sortie contradictoire a été dressé le 28 juillet 2022. Une mise en demeure leur a été adressée le 8 septembre 2022 aux fins de règlement des sommes dues. Faute de paiement, le bailleur les a assignés devant le juge des contentieux de la protection le 4 février 2025.

Le bailleur sollicitait la condamnation solidaire des locataires au paiement de 2.012,36 euros au titre des loyers et charges impayés, de 5.639,18 euros au titre des réparations locatives après déduction du dépôt de garantie et de versements partiels, outre les intérêts légaux et une indemnité de procédure. Les défendeurs, régulièrement assignés, n’ont pas comparu.

La question posée au tribunal était double : d’une part, déterminer si les locataires pouvaient être condamnés au paiement de l’arriéré locatif réclamé ; d’autre part, apprécier l’étendue de leur responsabilité au titre des dégradations locatives.

Le juge a condamné solidairement les locataires à payer la somme totale de 6.289,34 euros, comprenant l’arriéré locatif intégral mais réduisant les réparations locatives après avoir écarté certains postes pour défaut de preuve. Le tribunal a par ailleurs refusé d’allouer l’indemnité fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile.

Cette décision illustre avec précision le régime probatoire applicable aux créances nées du contrat de bail (I) tout en révélant les limites de l’office du juge face à la défaillance du défendeur (II).

I. Le régime probatoire des créances locatives : une application rigoureuse des textes

Le jugement applique méthodiquement les règles de preuve tant pour l’arriéré de loyers (A) que pour les réparations locatives (B).

A. La preuve de l’arriéré locatif : une charge allégée pour le bailleur créancier

L’article 7 a) de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire de « payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ». Le tribunal retient que le bailleur « produit un décompte aux termes duquel » les défendeurs restent devoir la somme réclamée. Cette motivation lapidaire révèle la simplicité du mécanisme probatoire en matière de loyers impayés.

Le décompte locatif constitue en effet un mode de preuve généralement admis par les juridictions dès lors qu’il émane du créancier et présente une cohérence interne. La clause de solidarité stipulée à l’article 2 du contrat de bail permet ensuite au bailleur de poursuivre indifféremment l’un ou l’autre des colocataires pour la totalité de la dette. Cette solidarité conventionnelle, fréquente en matière de bail d’habitation, renforce l’efficacité du recouvrement.

La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante. Elle rappelle toutefois que la preuve du paiement incombe au débiteur qui s’en prévaut, conformément à l’article 1353 alinéa 2 du Code civil. L’absence de comparution des locataires les a privés de toute possibilité de contestation.

B. La preuve des dégradations locatives : un contrôle effectif du bien-fondé de la demande

Le tribunal consacre des développements plus substantiels à la question des réparations locatives. Le juge rappelle que « la preuve de l’existence de dégradations locatives » incombe au bailleur et « est notamment établie par comparaison des états des lieux d’entrée et de sortie ». Cette règle traduit l’importance des constats contradictoires dans le contentieux locatif.

La motivation révèle un examen détaillé des pièces produites. Le tribunal énumère précisément les factures versées aux débats, au nombre de dix, datées entre août 2022 et mars 2023. Cette vérification minutieuse répond à l’exigence posée par l’article 472 du Code de procédure civile selon lequel le juge ne fait droit à la demande « que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ».

Le jugement distingue les dégradations retenues de celles écartées. Pour ces dernières, le tribunal constate que « le bailleur échoue à rapporter la preuve, qui lui incombe en application des dispositions de l’article 1353 du code civil ». Sont ainsi rejetées des demandes relatives aux interrupteurs, à l’évier, à la faïence ou au nettoyage du jardin. Le montant alloué s’établit à 5.226,23 euros contre 5.639,18 euros réclamés, soit une réduction de plus de 400 euros.

Cette démarche témoigne de ce que l’absence de contradicteur n’exonère pas le demandeur de son obligation probatoire. La comparaison des états des lieux demeure le pivot de l’appréciation judiciaire.

II. L’office du juge face au défendeur défaillant : entre automaticité et modération

Le défaut de comparution des locataires n’a pas conduit le tribunal à un accueil mécanique des prétentions du bailleur. Le juge a exercé un contrôle réel sur le quantum (A) et fait usage de son pouvoir modérateur concernant les frais irrépétibles (B).

A. Le contrôle du quantum : la prise en compte de la vétusté et de la durée d’occupation

Le tribunal précise qu’il convient de tenir « compte de la durée d’occupation du bien (quatre années) et du fait que les locataires n’ont pas vocation à supporter, même en partie, la remise à neuf du logement après leur départ ». Cette affirmation constitue une application de l’article 7 d) de la loi du 6 juillet 1989 qui exclut de la charge du locataire les réparations occasionnées par la vétusté.

La prise en compte de la vétusté répond à une exigence d’équité. Un locataire ne saurait financer l’amélioration du patrimoine du bailleur au-delà de la réparation du préjudice effectivement subi. Le tribunal exerce ainsi un contrôle de proportionnalité entre les dégradations constatées et les sommes réclamées.

La référence à la grille de vétusté est également éclairante. Le jugement rappelle qu’une telle grille « n’est revêtue de la force obligatoire que s’il est démontré qu’elle est entrée dans le champ contractuel ». À défaut, elle « ne vaut qu’à titre indicatif ». Cette précision limite la portée de pratiques parfois contestables consistant à imposer unilatéralement des coefficients de vétusté défavorables au locataire.

B. Le refus de l’indemnité de procédure : l’exercice du pouvoir d’appréciation en équité

Le tribunal rejette la demande de 500 euros formée sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au motif qu’« au regard des situations respectives des parties, il n’apparaît pas équitable » d’y faire droit. Cette formulation sobre traduit l’exercice d’un pouvoir souverain d’appréciation.

L’article 700 confère au juge une faculté et non une obligation. La condamnation aux frais irrépétibles suppose une appréciation in concreto des circonstances de la cause. Le tribunal semble avoir considéré que la situation économique présumée des locataires, déduite notamment de leur défaillance, justifiait de ne pas aggraver leur charge financière.

Cette décision illustre la recherche d’un équilibre entre les droits du créancier et la protection du débiteur en difficulté. Le bailleur obtient satisfaction sur le principal de sa créance mais ne peut prétendre à une indemnisation complémentaire de ses frais de défense. Le jugement condamne néanmoins les locataires aux dépens, ce qui préserve le remboursement des frais incompressibles de la procédure.

La portée de cette décision demeure limitée à l’espèce. Elle constitue toutefois un rappel utile des principes gouvernant le contentieux locatif : la rigueur probatoire s’impose au bailleur même face à un défendeur défaillant, et le juge conserve un pouvoir modérateur sur les demandes accessoires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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