Tribunal judiciaire de Évry, le 17 juin 2025, n°24/01740

Le contentieux locatif constitue un domaine où la protection du logement se heurte fréquemment aux impératifs du paiement des loyers. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d’Évry le 17 juin 2025 illustre cette tension en traitant d’une dette locative dans un contexte de départ du locataire.

Un contrat de bail avait été conclu le 10 février 2022 portant sur un local à usage d’habitation situé dans l’Essonne. Le locataire a cessé de régler intégralement les loyers et charges. Le 24 mai 2024, le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant une somme de 5 339,08 euros. Par acte du 5 septembre 2024, le bailleur a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion et obtenir condamnation au paiement des sommes dues.

À l’audience du 10 avril 2025, le bailleur a réactualisé sa créance et indiqué que le locataire avait quitté les lieux le 1er novembre 2024. Le bailleur s’est désisté de ses demandes relatives à la résiliation et à l’expulsion. Le locataire, comparant en personne, a reconnu sa dette et sollicité des délais de paiement à hauteur de 280 euros mensuels compte tenu de ses revenus limités à 1 099 euros.

La question posée au juge était double. Il s’agissait de déterminer le montant exact de la créance locative après déduction du dépôt de garantie et vérification des réparations réclamées. Il convenait également d’apprécier l’opportunité d’accorder des délais de paiement au débiteur.

Le tribunal a condamné le locataire au paiement de 6 946,58 euros après avoir partiellement écarté les demandes de réparations locatives et déduit le dépôt de garantie. Le juge a accordé un échelonnement sur vingt-quatre mois par mensualités de 280 euros.

Cette décision mérite examen tant au regard du contrôle exercé sur la créance locative (I) que de l’octroi mesuré de délais de paiement (II).

I. Le contrôle juridictionnel de la créance locative

Le juge des contentieux de la protection exerce un pouvoir d’appréciation sur les sommes réclamées par le bailleur. Ce contrôle porte sur la dette de loyers proprement dite (A) comme sur les accessoires que constituent les réparations locatives (B).

A. La vérification de la dette de loyers et charges

Le tribunal fonde sa décision sur l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 qui impose au locataire de « payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ». Cette obligation constitue l’essence même du contrat de bail. Le juge relève que le bailleur « verse aux débats l’acte de bail, le décompte des loyers et charges prouvant ainsi les obligations dont elle réclame l’exécution ».

La motivation retient ensuite qu’« il n’est pas sérieusement contestable que les loyers et charges n’ont pas été régulièrement et intégralement payés ». Cette formulation traduit l’application du principe selon lequel le débiteur qui ne conteste pas utilement le montant réclamé ne peut s’opposer à sa condamnation. Le tribunal fixe la dette de loyers à 7 191,06 euros selon un décompte arrêté au 10 avril 2025. Ce montant diffère de celui initialement réclamé dans le commandement de payer comme de celui actualisé à l’audience. Le juge procède ainsi à une vérification autonome des sommes dues.

La référence à l’article L. 442-8-2 du code de la construction et de l’habitation mérite attention. Le tribunal précise que « les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 sont applicables au contrat de sous-location ». Cette mention suggère que le bail litigieux s’inscrivait dans un dispositif de sous-location encadrée par un organisme agréé. Le régime protecteur de la loi de 1989 s’applique pleinement à cette situation.

B. L’appréciation restrictive des réparations locatives

Le bailleur réclamait 203,41 euros au titre des réparations locatives. Le tribunal n’a retenu qu’une somme de 28,50 euros. Cette réduction substantielle résulte d’un examen attentif des états des lieux. Le juge relève que « la comparaison de l’état d’entrée et de sortie des lieux, établis contradictoirement les 18/02/2022 et 31/10/2024, ne confirme que le désordre concernant une barre centrale ».

Le tribunal écarte expressément la demande relative à « l’absence d’une chaise de bistrot » évaluée à 174,91 euros. Cette décision illustre le contrôle rigoureux exercé sur les retenues opérées par le bailleur lors de la restitution des lieux. L’état des lieux contradictoire constitue la pièce maîtresse de cette vérification. Le juge refuse de faire droit aux demandes qui ne trouvent pas leur fondement dans ce document.

L’article 22 alinéa 3 de la loi de 1989 encadre strictement les conditions de restitution du dépôt de garantie. Le bailleur ne peut opérer de retenues que pour des sommes « dûment justifiées ». Le tribunal fait une application exacte de cette exigence probatoire. La déduction du dépôt de garantie de 272,98 euros aboutit à une créance finale de 6 946,58 euros. Le locataire bénéficie ainsi d’un traitement équitable malgré ses manquements.

II. L’aménagement du paiement de la dette

Le juge dispose du pouvoir d’accorder des délais au débiteur de bonne foi. Cette faculté s’exerce dans le respect des conditions légales (A) et s’accompagne de garanties pour le créancier (B).

A. L’octroi de délais fondé sur la situation du débiteur

Le tribunal accorde un échelonnement de la dette sur vingt-quatre mois. Cette décision est fondée sur l’article 1343-5 du code civil qui permet au juge de « compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues ». Le juge mentionne « les difficultés éprouvées » par le locataire pour justifier sa décision.

Le locataire avait indiqué disposer d’un revenu de 1 099 euros dans le cadre d’un contrat en alternance. Cette situation précaire mais non désespérée justifie l’octroi de délais. Le montant des mensualités fixé à 280 euros représente environ un quart des revenus déclarés. Cette proportion apparaît soutenable pour le débiteur tout en permettant un apurement effectif de la dette.

La durée de vingt-quatre mois correspond au maximum prévu par l’article 1343-5 du code civil. Le tribunal utilise pleinement la latitude que lui confère la loi. Cette décision manifeste un souci de protection du débiteur sans pour autant priver le créancier de son droit au recouvrement. L’échelonnement permet de concilier deux intérêts apparemment opposés.

B. Les garanties préservant les droits du créancier

Le tribunal assortit les délais accordés d’une clause de déchéance. La décision énonce qu’« à défaut de paiement d’une seule échéance à son terme, l’intégralité des sommes restant dues deviendra de plein-droit immédiatement exigible ». Cette stipulation protège le bailleur contre une éventuelle défaillance du débiteur.

La mise en œuvre de cette déchéance est toutefois encadrée. Le jugement précise que l’exigibilité immédiate n’intervient que « quinze jours après la date de présentation d’une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception demeurée infructueuse ». Ce délai de grâce supplémentaire permet au débiteur de régulariser un éventuel retard ponctuel. Le mécanisme évite qu’un simple oubli entraîne des conséquences disproportionnées.

Le rappel de l’exécution provisoire de droit complète ce dispositif. Le bailleur pourra entreprendre des mesures d’exécution sans attendre l’expiration des voies de recours. L’article 700 du code de procédure civile fait l’objet d’un traitement différencié. Le tribunal rejette la demande initiale de 500 euros mais retient une somme de 150 euros dans les motifs. Le dispositif énonce cependant qu’il n’y a pas lieu à application de cet article. Cette contradiction entre motifs et dispositif constitue une maladresse rédactionnelle. Le dispositif prévaut en cas de contrariété avec les motifs.

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Hassan KOHEN
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