Tribunal judiciaire de Évry, le 17 juin 2025, n°24/01934

Le jugement rendu le 17 juin 2025 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes illustre les conséquences procédurales et indemnitaires du départ volontaire d’un locataire après délivrance d’un congé pour vendre. Cette décision, relative à un bail d’habitation conclu le 2 mai 2018, intervient dans un contexte où le locataire a quitté les lieux avant l’audience de jugement.

Les faits sont les suivants. Des bailleurs ont donné à bail un immeuble à usage d’habitation. Par acte du 4 septembre 2023, ils ont délivré au locataire un congé pour vendre avec effet au 2 mai 2024. Le locataire n’ayant pas libéré les lieux à cette date, les bailleurs l’ont assigné le 7 octobre 2024 aux fins de validation du congé et d’expulsion. Ils sollicitaient également une indemnité d’occupation, des dommages-intérêts pour préjudice lié à l’impossibilité d’apposer un panneau de vente, ainsi que diverses condamnations accessoires.

La procédure s’est simplifiée à l’audience du 24 avril 2025. Les bailleurs ont indiqué que le locataire avait quitté les lieux le 21 janvier 2025. Ils se sont désistés de leurs demandes de validation du congé et d’expulsion, maintenant uniquement leurs prétentions relatives aux loyers impayés de décembre 2024 et janvier 2025, aux dommages-intérêts et aux frais de procédure. Le locataire, comparant en personne, a reconnu la dette locative et indiqué vouloir la régler rapidement.

La question posée au tribunal était double. Il s’agissait de déterminer si le locataire devait être condamné au paiement des loyers restant dus après déduction du dépôt de garantie. Il convenait également d’apprécier si les bailleurs justifiaient d’un préjudice distinct ouvrant droit à dommages-intérêts.

Le tribunal a condamné le locataire au paiement de 630 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 21 janvier 2025. Il a en revanche débouté les bailleurs de leur demande de dommages-intérêts. Le locataire a été condamné aux dépens et à verser 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Cette décision appelle un examen de l’accueil de la demande en paiement des loyers (I) puis de la question du rejet de la demande indemnitaire (II).

I. L’accueil de la demande en paiement des loyers arriérés

Le tribunal fait application de l’obligation fondamentale du locataire (A) tout en procédant à une liquidation précise de la créance (B).

A. Le rappel de l’obligation légale de paiement

Le juge fonde sa décision sur l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 selon lequel « le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ». Cette disposition constitue la pierre angulaire du droit locatif. Elle impose au preneur une obligation de résultat dont il ne peut s’exonérer qu’en démontrant l’existence d’une cause étrangère.

Le tribunal relève que les bailleurs « versent aux débats l’acte de bail, le décompte des loyers et charges prouvant ainsi les obligations dont elle réclame l’exécution ». Cette motivation souligne l’importance de la charge probatoire en matière locative. Le bailleur doit établir l’existence du contrat et le quantum de sa créance. Le locataire n’a pas contesté la dette, ce qui a facilité l’office du juge.

B. La liquidation de la créance après compensation

Le tribunal procède à une liquidation tenant compte du dépôt de garantie. La somme réclamée de 630 euros correspond aux loyers de décembre 2024 et janvier 2025 « avec proratisation et déduction du dépôt de garantie de 770 euros ». Cette méthode de calcul est conforme à l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 qui permet au bailleur d’imputer le dépôt de garantie sur les sommes dues par le locataire.

Le juge ordonne également la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil. Cette mesure, classique en matière de condamnation pécuniaire, permet aux intérêts échus depuis au moins une année de produire eux-mêmes intérêts. La portée pratique de cette disposition reste toutefois limitée compte tenu de la modicité de la somme en cause.

II. Le rejet de la demande de dommages-intérêts pour préjudice distinct

Le tribunal rappelle les conditions du préjudice indemnisable (A) avant de constater l’insuffisance de la preuve rapportée (B).

A. L’exigence d’un préjudice distinct du retard de paiement

Le juge vise l’article 1231-6 du code civil qui dispose que « dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne résultent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal ». Cette règle traditionnelle limite l’indemnisation du créancier aux intérêts moratoires. Seule la démonstration d’un « préjudice indépendant de ce retard » causé par la « mauvaise foi » du débiteur ouvre droit à une indemnisation complémentaire.

Les bailleurs invoquaient un préjudice lié à l’impossibilité d’apposer un panneau en vue de la vente. Cette demande se rattachait à l’article 4 de la loi du 6 juillet 1989 qui prohibe les clauses faisant obstacle à l’affichage en cas de congé pour vendre. Le refus du locataire de laisser apposer ce panneau constituait potentiellement une faute distincte du simple défaut de paiement.

B. L’insuffisance de la preuve du préjudice allégué

Le tribunal constate que « les demandeurs ne rapportent pas une preuve suffisante de leur préjudice, se contentant de fournir une unique attestation de leur agence immobilière indiquant que le panneau en vue de la vente de l’appartement n’était plus visible du balcon ». Cette attestation établissait certes un comportement fautif mais ne démontrait pas les conséquences dommageables.

L’absence d’éléments « démontrant la réalité et l’importance des troubles subis pour revendre leur bien » conduit au rejet de la demande. Le juge applique strictement les règles de la charge de la preuve. Le créancier qui sollicite des dommages-intérêts doit établir non seulement la faute mais également le préjudice et le lien de causalité. Les bailleurs auraient pu produire des attestations d’acquéreurs potentiels dissuadés ou des éléments relatifs à l’allongement du délai de vente. Cette décision rappelle aux praticiens l’importance de constituer un dossier probatoire complet lorsqu’ils sollicitent une indemnisation pour préjudice distinct en matière locative.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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