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Le contentieux des résidences sociales se situe à la croisée du droit au logement et des impératifs de sécurité collective. L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Évry le 17 juin 2025 en offre une illustration significative.
En l’espèce, un contrat de résidence avait été conclu le 29 octobre 2020 portant sur un local meublé à usage d’habitation situé dans une résidence gérée par un bailleur social. Le règlement intérieur de l’établissement autorisait l’hébergement temporaire d’un tiers pour une durée maximale de trois mois par an, sous réserve d’une déclaration préalable au responsable de la résidence comportant la fourniture d’une pièce d’identité et la mention des dates de séjour. Par courrier du 30 septembre 2024, distribué le 9 octobre suivant, le gestionnaire a mis en demeure le résident de faire cesser l’hébergement non déclaré de tierces personnes dans un délai de quarante-huit heures. Un constat dressé le 18 mars 2025 par un commissaire de justice a révélé la présence de deux hommes dans le logement, en l’absence du résident, avec un lit supplémentaire au sol, leurs noms ne figurant pas sur le registre du foyer.
Le gestionnaire a assigné le résident devant le juge des référés aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et ordonner l’expulsion. Le résident, comparant en personne, n’a pas contesté les faits. La question posée au juge était de déterminer si l’hébergement de tiers sans déclaration préalable constituait un manquement suffisamment grave pour justifier la mise en œuvre de la clause résolutoire prévue au contrat de résidence.
Le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du contrat à la date du 9 novembre 2024 et ordonné l’expulsion du résident. Il a retenu que « l’absence de déclaration préalable au responsable de la résidence de l’hébergement d’un tiers, dans les conditions précises énoncées au règlement intérieur constitue un manquement grave à ces dispositions, et revêtant le caractère d’un trouble manifestement illicite ».
Cette décision invite à examiner successivement le régime juridique spécifique des résidences sociales appliqué à la résiliation du contrat (I), puis les modalités de mise en œuvre de l’expulsion en référé (II).
I. Le régime spécifique des résidences sociales et la résiliation du contrat
Le juge a fait application d’un cadre normatif propre aux logements-foyers en qualifiant le manquement du résident (A), avant de constater l’acquisition de la clause résolutoire selon un mécanisme contractuel strictement encadré (B).
A. L’articulation entre les dispositions réglementaires et les stipulations contractuelles
Le juge fonde son raisonnement sur l’article R. 633-9 du code de la construction et de l’habitation, issu du décret du 23 novembre 2007. Ce texte reconnaît à la personne logée la faculté d’héberger temporairement un tiers, mais subordonne cette possibilité au respect de conditions précises fixées par le règlement intérieur. La durée maximale d’hébergement ne peut excéder trois mois pour une même personne hébergée et six mois par an au total. Surtout, le texte impose « l’obligation, pour la personne logée, d’informer le gestionnaire de l’arrivée des personnes qu’il héberge, en lui déclarant préalablement leur identité ».
Le juge relève que « les stipulations précitées ne sont que l’application des dispositions légales, en ce qu’elles autorisent la faculté d’hébergement des tiers dans des conditions précises ». Cette formulation souligne la cohérence entre la norme réglementaire et les clauses du contrat de résidence. Le règlement intérieur prévoyait en son article 9 que tout hébergement exercé en dehors des règles établies était « formellement interdit », la situation générant « une sur-occupation mettant en péril la sécurité des résidents de l’établissement ».
La référence à la sécurité collective apparaît centrale. Les logements-foyers accueillent des populations vulnérables dans des espaces partagés où la maîtrise de l’occupation revêt une importance particulière. L’obligation déclarative ne constitue pas une formalité administrative superflue mais répond à des impératifs de sécurité incendie et de gestion des flux au sein de l’établissement.
B. Le mécanisme de la clause résolutoire et la caractérisation du manquement grave
L’article 11 du contrat de résidence stipulait qu’en cas d’inexécution par le résident de l’une de ses obligations ou de manquement grave au règlement intérieur, « la résiliation ne produit effet qu’un mois après la date de notification par lettre recommandée avec accusé de réception ». Le gestionnaire avait respecté ce formalisme par sa mise en demeure du 30 septembre 2024.
Le juge qualifie l’absence de déclaration préalable de « manquement grave ». Cette qualification mérite attention. Le résident n’avait pas simplement omis une formalité : le constat du commissaire de justice établissait la présence de deux personnes non inscrites sur le registre du foyer, avec installation d’un couchage supplémentaire. Ces éléments caractérisaient une occupation occulte prolongée, distincte d’un simple oubli déclaratif.
La gravité du manquement se trouve ainsi appréciée au regard de son caractère persistant. La mise en demeure du 9 octobre 2024 accordait un délai de quarante-huit heures pour régulariser la situation. Le constat du 18 mars 2025, soit plus de cinq mois après, démontrait la poursuite de l’infraction. Le résident, comparant à l’audience, n’a pas contesté les faits et n’a rapporté aucune preuve pour justifier sa situation. Le juge observe qu’il « ne saurait s’exonérer de ses obligations de déclaration préalable au gestionnaire de la résidence de la présence d’un tiers dans les lieux ».
Le mécanisme de la clause résolutoire opère ainsi de plein droit dès lors que les conditions formelles sont réunies et que le manquement persiste au-delà du délai imparti. Le juge ne dispose pas d’un pouvoir modérateur comparable à celui qu’il exerce en matière de bail d’habitation classique.
II. La mise en œuvre de l’expulsion par le juge des référés
Le juge des contentieux de la protection a statué sur le fondement du trouble manifestement illicite (A), tout en aménageant les conditions de l’expulsion selon le droit commun des procédures civiles d’exécution (B).
A. La qualification de trouble manifestement illicite fondant la compétence du juge des référés
Le juge vise l’article 835 du code de procédure civile qui l’autorise à « prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Il précise que « l’application de ce texte n’exige pas l’absence de contestation sérieuse » et que « la violation de dispositions légales ou de stipulations contractuelles constitue un trouble manifestement illicite ».
Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante. Le juge des référés peut constater l’acquisition d’une clause résolutoire sans que l’existence d’une contestation sérieuse fasse obstacle à son intervention, dès lors que le trouble présente un caractère manifeste. L’illicéité résulte ici de la transgression cumulée des dispositions du code de la construction et de l’habitation, du règlement intérieur et du contrat de résidence.
Le constat d’huissier autorisé par ordonnance du 24 janvier 2025 a fourni au juge un élément probatoire déterminant. La présence de deux personnes étrangères au contrat, l’existence d’un lit supplémentaire et l’absence d’inscription sur le registre du foyer constituaient des « constatations » faisant « la preuve d’une violation incontestable du règlement intérieur et du contrat de résidence ». L’évidence du manquement excluait toute contestation sérieuse susceptible de paralyser l’intervention du juge des référés.
B. Les modalités de l’expulsion et le sort des accessoires
Le juge ordonne l’expulsion « faute pour lui d’avoir libéré les lieux dans le délai de deux mois après le commandement prévu par les articles L. 411-1 et L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution ». Cette formulation rappelle que l’ordonnance de référé, bien qu’exécutoire de droit, ne dispense pas le bailleur de délivrer un commandement de quitter les lieux et de respecter le délai légal.
La condamnation au versement d’une indemnité d’occupation provisionnelle égale au montant de la redevance révisée compense le préjudice subi par le gestionnaire du fait de l’occupation sans titre depuis le 9 novembre 2024. Le juge emploie le terme de « provision », rappelant que sa décision ne tranche pas définitivement la question de l’indemnisation.
Le refus d’application de l’article 700 du code de procédure civile témoigne d’une appréciation nuancée de l’équité. Le résident, qui comparaissait seul, succombe certes à l’instance et supporte les dépens, mais le juge n’a pas souhaité aggraver sa situation par une condamnation supplémentaire. Cette modération s’explique sans doute par le contexte social des résidences-foyers et la précarité présumée de leurs occupants.
Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle qui concilie la protection des gestionnaires de résidences sociales et le respect des garanties procédurales dues aux résidents. Elle rappelle que la faculté d’héberger un tiers, expression du droit à une vie privée normale, demeure subordonnée au respect d’obligations déclaratives dont la méconnaissance peut justifier la résiliation du contrat et l’expulsion de l’occupant.